Mémorandum relatif à la sauvegarde du pouvoir d’achat SOS, Algériens en danger !

Mémorandum relatif à la sauvegarde du pouvoir d’achat SOS, Algériens en danger !
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Le document, qui tient sur une quinzaine de pages, vient d’être remis par le secrétaire général de l’UGTA et le président du CNES au chef de l’État. Il promet de faire débat au regard de son contenu souvent percutant, et parfois un tantinet polémiste.

Le document en question, qui a été remis au chef de l’Etat au mois de juillet passé, et dont nous nous sommes procuré une copie, tente de tirer la sonnette d’alarme et de redresser la barre tant qu’il en est encore temps. L’exposé des motifs, du reste, est assez explicite.

On y lit, en effet, que «depuis quelques temps un emballement inquiétant et porteur de perturbations», a été constaté. Sachant que l’Algérie reste toujours dans l’oeil du cyclone, sur fond d’un printemps arabe qui n’en finit plus avec ses soubresauts, il semble que les pouvoirs publics soient appelés à revoir leur copie dans les meilleurs délais, sous peine d’une implosion sociale aux conséquences incommensurables.

Que l’on en juge: «malgré les prévisions prudentes et mesurées des lois de finances, certains indicateurs avancés semblent confirmer que la hausse des prix n’est pas conjoncturelle mais semble s’inscrire dans la durée, et fait de plus en plus partie des anticipations des opérateurs économiques et des citoyens».

Pis encore, explique encore l’exposé des motifs, «l’économie nationale n’est pas à l’abri d’une spirale de dérégulation chronique qui ne ferait que compliquer davantage les efforts de stabilisation sociale et de croissance économique déployés par les partenaires sociaux et les pouvoirs publics».

Le document, particulièrement lucide, va même jusqu’à reconnaître que les récentes hausses des salaires, et autre relèvement du SNMG (salaire national minimum garanti), qui ne répondaient à aucune logique économique, et n’avaient pour but (inavoué ?) que d’absorber la grogne sociale, «ont été très vite absorbés par l’inflation».

On en est en effet à un taux record avoisinant les 12 %, alors qu’il est appelé à continuer d’aller crescendo jusqu’à la fin de l’année au moins, à en croire le remarquable travail fait par l’ONS (Office national des statistiques). Les conséquences, d’ores et déjà, s’avèrent être carrément catastrophiques.

En effet, explique le document, «sur le plan social, les conséquences de l’inflation sont déclinées en de multiples dimensions dont les plus importantes sont d’affecter le pouvoir d’achat, déjà très faible (et là l’UGTA reconnaît implicitement que ses négociations tripartites et bipartites étaient nettement au-dessous des attentes les plus légitimes des couches les plus défavorisées de la population, et le CNES que l’ensemble de ses rapports de conjonctures donnent l’air de ne pas avoir été correctement pris en ligne de compte par les pouvoirs publics) des catégories sociales les plus économiquement exposées, mais aussi et surtout d’imprimer une dynamique soutenue à la stratification sociale par une accélération des disparités en matière de revenus captés».

LES STATISTIQUES ALARMANTES DE L’ONS LARGEMENT CONFORTÉES

Le document, au passage, conforte les statiques de l’ONS, déjà évoquées plus loin dans ce compte-rendu. Il indique en effet que «la part de l’inflation endogène est très importante (et qu’elle) est principalement liée à la faiblesse de la production nationale, à la volatilité de la production agricole (toujours dépendante du climat, et qui ne semble pas avoir profité comme il se doit des énormes sommes d’argent qui lui ont été allouées dans le cadre des différents plans de relance lancés par le président Bouteflika), mais aussi à la spéculation qui s’installe autour des marchés et à un informel de plus en plus tentaculaire».

Là encore, l’ONS tire la sonnette d’alarme avec des statistiques qui indiquent, notamment, que le trabendo représente environ 40 % du marché global national, et que le reste est largement, très largement, dominé par le commerce et les services. Hélas, constate ce document, «les pouvoirs publics ont livré, par des politiques de régulation déficientes, le marché aux forces de la spéculation».

Il ajoute qu’ «en marge de son inertie dans la sphère productive, la scène économique a vu la création d’environ 300 000 magasins de vente en l’état en moins de 4 années». Triste paradoxe algérien, hélas, «malgré cet accroissement du nombre de commerçants, les prix des produits n’ont pas connu de fléchissement».

Et de s’écrier, s’il n’est pas déjà trop tard, qu’«aujourd’hui, il y a urgence pour les pouvoirs publics d’agir sur les effets des processus inflationnistes dans un pays qui ne maîtrise pas son offre, qui subit des coûts de production et d’intermédiation prohibitifs, qui n’a pas la maîtrise suffisante de ses structures de marché et de distribution et dont les moyens d’intervention économiques et sociaux sont mis à rude épreuve par la spéculation».

Le document, donc, dresse une sorte d’échec quasi-total et consommé des diverses politiques économiques et sociales suivies jusque-là. Des preuves ? Il en existe à profusion. L’analyse des facteurs responsables de l’inflation, détaillée en première partie, nous en offre un assez large éventail.

Elle évoque ainsi «l’offre expansive de monnaie, la politique budgétaire expansive, les augmentations salariales, la désorganisation des marchés, la faible maîtrise de la chaîne logistique du commerce extérieur, la spéculation et l’absence de maîtrise de l’informel». Ce sont là autant de facteurs qui font carrément froid dans le dos.

QUAND LE TRABENDO PREND LE DESSUS…

Et, comme tout n’est pas si noir que cela, le document énumère au passage toutes les grandes réalisations sociales accomplies durant les dix années passées. Or, cela n’a pas été sans que le prix fort ne soit, hélas, consenti. En effet, le document révèle que «ces financement n’ont été possibles que grâce à l’amélioration de la fiscalité pétrolière. Pour y faire face, l’État a été dans l’obligation d’abandonner la règle d’or qui consistait à couvrir, jusqu’à la fin des années 80, le fonctionnement courant de l’État par la fiscalité ordinaire».

Et de s’exclamer que «la menace d’insoutenabilité de ces dépenses est bien réelle». Là encore, la Banque d’Algérie a eu à tirer la sonnette d’alarme il y a de cela à peine quelques semaines, indiquant que l’État courait vers de graves déficits, voire le dépôt de bilan, dans le cas où le prix du pétrole persistait au-dessous de 100 dollars pendant quelques semaines.

Le document, véritable réquisitoire en direction des pouvoirs publics, les accuse en quelque sorte de manquer de vision et de pragmatisme dans leurs politiques, pour ne pas dire d’incompétence crasse : «l’offre de produits est victime de nombreuses contingences entre la volatilité de la production agricole, la faible réactivité du secteur de l’industrie et la faible maîtrise du commerce extérieur dans sa dimension programmatique comme dans sa dimension logistique.

Par ailleurs, l’ouverture du marché à une importation excessive des produits de consommation a gravement altéré les produits locaux et généré un modèle de consommation inadéquat avec le modèle de la consommation nationale».

Et, comme un malheur ne vient que rarement seul, le document enchaîne sur ce fameux environnement des affaires, particulièrement hostile pour tout entrepreneur désirant investir au lieu de spéculer et de faire du commerce : «la viscosité et le manque d’engagement dans l’environnement des affaires ne manque également pas d’influer sur les coûts de production dont la quasi-totalité est répercutée en aval sur les prix».

En clair, et sans aller plus loin dans tous ces détails sordides, tous plus inquiétants les uns que les autres, force est de conclure que notre économie est bel et bien sinistrée. Et que c’est à cause de cela (notamment) que le pouvoir d’achat est en perpétuelle chute libre, alors que toutes les tentatives visant à l’améliorer ne font qu’aggraver les choses.

LA RÉPONSE DE BOUTEFLIKA ATTENDUE SUR DES CHARBONS ARDENTS

Cela est d’autant plus vrai et inquiétant que « le cadre législatif et règlementaire ne parvient pas à lutter efficacement contre les pratiques non concurrentielles ». Pis encore, et même si l’on devine un peu pour quoi, le document relève également que «l’action répressive ne semble pas avoir remporté les succès escomptés».

Il en va de même pour toutes ces politiques de régulation, dont les limites ne sont désormais un secret pour personne. Bref, il est plus que temps que le taureau soit enfin pris par les cornes. La question qui se pose, dès lors, est celle de savoir quel accueil va réserver le président Bouteflika à un pareil document-réquisitoire ? Pas mal de scénarios sont envisageables. Nous y reviendrons en détails dans nos prochaines éditions…

Wassim Benrabah