Mémoire collective : Un pan de l’histoire d’Algérie vient de perdre «l’usage de la parole»

Mémoire collective : Un pan de l’histoire d’Algérie vient de perdre «l’usage de la parole»

Depuis quelques années, et même de nos jours, l’histoire de l’Algérie contemporaine revient en surface dans les médias écrits, audio, et télévisuels ; certains, véritables acteurs du mouvement national et de la révolution, se taisent ; d’autres, figurants, exécutants et loin du feu de braise de la guerre de libération, ne cessent de parler, de raconter, de gesticuler. Une autre catégorie, politiciens, spécule sur l’histoire et déclare des vérités et des contre-vérités qui provoquent et dérangent.

Dans notre tradition millénaire, on interrogeait les vieux et les sages du village pour avoir des récits authentiques et fidèles transmis de génération à génération à travers une tradition orale. Ou sont nos historiens, ou sont nos chercheurs ? Le territoire algérien est un musée à ciel ouvert, c’est une réalité que même les historiens et les anthropologues étrangers approuvent; on peut aussi avancer que l’Algérie renferme en son sein des personnalités historiques encore vivantes, c’est un véritable musée de l’homme en « temps réel». Parmi les « historiques », il y a ceux qui nous ont quittés, comme Abdelhamid Mehri, Ahmed Ben Bella, Mohamed Mechati, personnalités politiques de premier ordre, qui portaient en eux de véritables encyclopédies de l’histoire du mouvement national.

A-t-on interrogé et fait parler le défunt Abdelhamid Mehri de son vivant ? Mehri était un membre influent du comité central du PPA/MTLD, un véritable homme politique, intègre, et un grand homme d’Etat. Comment peut-on parler et écrire sur l’histoire contemporaine si on n’interroge pas les acteurs qui ont vécu les évènements ? Il y a quelques jours, nous avions appris que l’un des derniers historiques du mouvement national vient de perdre l’usage de sa parole ; il s’agit de Hocine Ait-Ahmed, lui qui a commencé à militer pour la cause nationale à l’âge de 16 ans, au temps du débarquement des Américains en Algérie en 1942, lors de la 2e Guerre mondiale. Il entre au PPA et devient responsable de l’OS (Organisation Spéciale, branche armée du PPA/MTLD) en 1947, suite à la maladie de Mohamed Belouizdad ; il est le responsable de l’attaque de la poste d’Oran perpétrée par un groupe de militants de l’OS encadrés par Ahmed Ben Bella. En 1953 déjà, il a été à la tête de la délégation du PPA-MTLD, le principal parti indépendantiste, à la conférence de Rangoun, en Birmanie. Il a porté la question algérienne devant les instances de la conférence des pays non-alignés à Bandung, le 28 avril 1955, avec la participation des présidents, chinois Chou Enlai, yougoslave Tito, indien Nehru, égyptien Gamal Abenacer et consorts. Comme il a ouvert un bureau du FLN à New York en 1955 et a installé M’Hamed Yazid en qualité de représentant du FLN auprès de l’organisation des nations unis.

Dans son livre, Ferhat Abbes, premier président du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), écrit : «Hocine Ait-Ahmed effectue un immense travail d’information. Il se rend à Bombay, à Calcutta et développe le point de vue algérien». Sait-on, au moins, qu’après trois mois de la tenue de la conférence de Bandoeng, quatorze chefs d’Etat écrivent une lettre dans laquelle ils demandent au secrétaire général de l’ONU d’inscrire la question algérienne à l’ordre du jour de la session ordinaire de l’Assemblée générale? Hocine Ait-Ahmed est arrêté, en compagnie d‘Ahmed Ben Bella, de Mohamed Boudiaf, de Mostapha Lacheraf et de Mohamed Khider, le 20 octobre 1956, lors du piratage par l’aviation française de l’avion de la délégation algérienne, allant de Rabat à Tunis. La suite de son histoire tout le monde la connait ; en fait, on ne sait que peu de choses de son itinéraire, et de son histoire politique et sociale, car peu d’historiens et de chercheurs se sont intéressés à son parcours militant durant son vivant, durant sa vie politique. Maintenant, en âge avancé, 89 ans, malade en convalescence, il perd une de ses armes les plus écoutées, les plus redoutées et les plus respectées, Sa voix, Sa Parole. On sait une chose, au moins, c’est qu’un pan de l’histoire d’Algérie vient de perdre «l’usage de la parole» .

Rachid Moussaoui