Même les… juges

Même les… juges

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le pauvre magistrat était assis sur le banc des accusés où on voyait pêle- mêle des voleurs à la tire, des soûlards, des gens pris le joint aux lèvres, et autres malfrats à la peau dure! Un spectacle désolant.

Que d’eau a coulé sous les ponts alors que des questions étaient posées autour des condamnations de magistrats lynchés au bon moment sous le prétexte de nettoyage par le vide de la magistrature en pleine réforme de la justice, alors que le moment était à la trêve entre la chancellerie et les magistrats que l’opinion publique vouait aux gémonies! Aucune frange de la société n’aimait les juges, les procureurs, les greffiers et même les notaires, les huissiers et ô! comble de l’ironie, même les… deux seuls jurés du tribunal criminel rétabli sur la voie de l’honneur et de la rectitude par l’exemplaire Tayeb Louh, ministre de la Justice, garde des Sceaux en qui le président de la République avait placé une confiance aveugle car le ministre savait ce que voulait dire la répression contre un magistrat. L’affaire du jour a touché un juge inculpé car il ne voulait pas dire oui à un tour de passe-passe que seuls les gens malhonnêtes trouvaient faisables! Bref!Passons et entrons directement dans le processus de liquidation d’un magistrat dont la conscience ne voulait pas qu’il se mouille!

Ahmed S. était un fougueux juge, nommé président de la défunte chambre administrative d’Alger, un poste dévolu aux seuls juges courageux, compétents, loyaux et propres! Il bossait comme quatre et les chefs de la cour d’Alger le savaient bien, très bien même.

Pourtant, le ciel lui tomba sur la tête, le corps et les quatre membres. D’abord, il était près de 14 heures lorsqu’un cri inhumain déchira l’air du 5e étage de la cour. Le silence qui prévalait jusque-là avait été troué carrément par le bruit de pas et de souliers des gens qui accouraient de toutes parts. Une greffière cependant courait en tenant sa robe visiblement arrachée violemment par on ne sut, sur le moment, qui! Le procureur général près la cour d’ Alger était monté du 3e étage s’enquérir de la situation. Un cri d’animal blessé venait d’être poussé et on ne sut pas pourquoi ni comment! Arrivés devant une porte où la femme s’était arrêtée, les employés et six policiers venaient de voir de qui il s’agissait, mais ne dirent pas un mot, le procureur général s’avançait le pas léger et le port droit comme seuls les magistrats de fer savent le faire!

La fille fut abordée par le procureur qui ne s’attendait pas à la réponse de la greffière qui marmonna entre ses grosses mâchoires inondées de larmes argentées: «C’est lui qui a voulu me violer!».

Le chef de cour resta interdit, puis s’exclama, furieux, mais décidé à connaître la vérité, toute la vérité comme cherchent à savoir les magistrats en charge d’un dossier donné.

«C’est lui, qui? Répond malheureuse!», articula le procureur général qui allait être fixé quand l’employée rétorqua: «Si Ahmed, c’est lui, le président de chambre!».

Le magistrat ordonna à l’employée de le suivre au bureau de Ahmed. S. le magistrat dénoncé par sa greffière. La nouvelle fit le tour du Palais de justice des rues Abane-Ramdane et de la Liberté. Alors là, radiotrottoir fit des siennes. L’opinion publique se saisit du «dossier» et le jugement fut donné par les partisans des ouï-dire! Ahmed. S. fut aussitôt suspendu de ses fonctions et la lourde, mais inexorable machine judiciaire se mit en branle contre un grand magistrat qui n’a même pas bénéficié de la présomption d’innocence! Le dossier prit le chemin de l’exécrable «cour» où les suspects n’ont aucune chance de s’en tirer.

Le jour du procès, le pauvre magistrat était assis sur le banc des accusés et inculpés où on voyait pêle- mêle des voleurs à la tire, des soûlards, des gens pris le joint aux lèvres, des auteurs de coups sur ascendants ou sur les épouses, des faussaires, et autres malfrats à la peau dure! Un spectacle désolant pour celui qui connaissait l’ancien magistrat massif, jovial et courtois, aujourd’hui un inculpé au visage livide.

Il faut vite préciser que la crainte d’un verdict lourd a rendu cet exemplaire juge, un malfaiteur sans honte, prêt à payer lourdement le prix d’une forfaiture (qu’il repousse) sans égal; vous vous rendez compte de ce qui s’ est passé en un laps de temps!

Il est temps de passer au procès qui a été expéditif et «méchant» car l’inculpation elle-même ne tenait pas debout, mais que voulez-vous? Le président qui a «fait» l’affaire était tenu par l’ ordonnance de renvoi, un point c’est tout! Le verdict aura été de trois ans d’emprisonnement ferme… avec ô! suprême humiliation, un mariage forcé dont nous ne saurions vous dire s’il a tenu ou pas car le condamné était père d’enfants scolarisés!