Mekhloufi «Saâdane aurait dû démissionner juste après Oum Dourmane»

Mekhloufi «Saâdane aurait dû démissionner juste après Oum Dourmane»

Lorsqu’on a joint au téléphone l’ex-joueur et sélectionneur Rachid Mekhloudi, un monument du football algérien, notre but n’était pas seulement de connaître sa réaction suite aux déclarations de l’ex-président de l’US Chaouia, Abdelmadjid Yahi. Nous lui avons demandé aussi de nous parler de l’EN et du championnat d’Algérie.

Suivez-vous toujours l’actualité footballistique de notre championnat ainsi que l’Equipe nationale ?

Franchement, je ne suis pas à jour. Parfois, je consulte la presse locale et je m’informe aussi grâce à des amis. Je ne suis plus en âge de supporter la pression d’où qu’elle vienne, pas seulement en football.

Avez-vous suivi le match Algérie-Luxembourg ?

Non, j’étais un peu occupé, car ça a coïncidé avec les fêtes de l’Aïd El Adha. Mais j’ai appris, grâce à des amis, que le match s’est terminé sur un score blanc et que notre équipe a bien joué.

S’agit-il d’amis algériens ou tunisiens ?

Des Tunisiens, mais je n’ai pas avalé ce qu’ils m’ont dit, puisqu’ils font à chaque fois l’éloge de notre sélection, même lorsqu’elle ne joue pas bien. C’est pour me faire plaisir, sans aucun doute.

Mais ils n’ont pas eu tort cette fois-ci, car l’équipe d’Algérie a bien joué et il ne manquait que les buts…

C’est encourageant pour notre équipe, en attendant la prochaine rencontre officielle face au Maroc.

En votre qualité d’ancien joueur et entraîneur, que faut-il faire pour mettre fin à la stérilité de notre attaque ?

Le problème est profond, trop profond même. Il ne suffit pas de changer d’entraîneur ni de joueurs. Notre équipe traverse une période difficile. Il y a une crise de résultats qui s’est répercutée négativement sur le rendement de tous les compartiments. La défense encaisse sans cesse des buts, tandis que l’attaque reste muette. Et ce n’est pas l’avis d’un expert ou d’un spécialiste qui fera changer les choses. Mais c’est par un travail de base bien étudié et une stratégie élaborée soigneusement par les responsables qu’on réalisera ce bond tant souhaité. Même si on était présents en Coupe du monde et d’Afrique, notre football n’a pas encore progressé, car seule la régularité dans les succès nous dira si notre football n’est plus malade.

Quel est ce profond problème et quelle est cette stratégie que vous préconiseriez pour que notre football progresse ?

Je ne peux nier que ce que nous avons réalisé l’année passée est un exploit. Mais c’est comme ça, on se contente d’un seul exploit toutes les deux décennies pour s’endormir par la suite. Il faut continuer à travailler à long terme pendant plusieurs années pour que l’Algérie soit toujours présente aux joutes continentales et mondiales. Vous voulez que je vous parle de ces problèmes qui se sont répercutés sur notre sélection ? Je vais alors vous en parler.

Allez-y…

Où sont les stades qui répondent aux normes pour la pratique du football en Algérie ? Il n’y en a pas. Où sont les terrains d’entraînement en Algérie ? Il n’y en a pas aussi. Où sont les centres de formation en Algérie ? Les équipes qui possèdent des écoles se comptent sur le bout des doigts. Où en est la formation que nous avons entamée lors des années 80, l’âge d’or de notre football ? Les équipes locales sont-elles capables de fournir des joueurs à l’Equipe nationale ? Non. Et la formation des entraîneurs ? On compte toujours sur l’entraîneur étranger au détriment de la formation de jeunes entraîneurs locaux.

Quel est donc le remède, selon vous ?

La formation ! Il faut former des joueurs. La matière première existe en Algérie, nos jeunes ont un toucher de balle magique, ils ont seulement besoin qu’on prenne soin d’eux. Nos entraîneurs ont aussi besoin de formation et d’encadrement. Je profite de l’occasion pour lancer un appel aux autorités dans le pays.

Les autorités doivent exiger aux APC de construire des stades dans les quartiers. Un stade dans chaque quartier au minimum pour jouer au football, au lieu de ne construire que des bâtiments, des villas ou des commerces. Une simple parcelle de terrain qu’utiliseront les jeunes de quartier pour jouer au foot et qui nous permettra de bénéficier de leurs services et de les encadrer par la suite. Les clubs doivent se focaliser sur la formation et ne pas débourser leur argent dans le recrutement. Construire des stades réglementaires pour jouer au football. Quant on arrive à réaliser ces choses de base, on aura une équipe nationale solide et un championnat de haut niveau. J’espère avoir été très clair.

Ce que vous dites est vrai, mais nous voulons savoir si vous croyez que l’Equipe nationale est capable de se qualifier à la prochaine CAN, après ce début raté dans les éliminatoires ?

Je ne pense pas qu’à la CAN 2012 et je ne me focalise pas uniquement sur la phase finale de cette CAN. Mais je regarde l’avenir autrement. Le début des éliminatoires est difficile, mais les chances de qualification restent intactes. Mais croyez-moi, cette qualification sera l’arbre qui cache la forêt. Je suis persuadé que la politique du bricolage continuera et une élimination nous obligera à tout recommencer à zéro. Il y aura des changements au niveau de l’entraîneur et des joueurs, comme cela est toujours le cas, après un échec. Pour éviter tout ça, nous devons tout recommencer maintenant et ne pas attendre 2012. Construisons une équipe solide, une équipe qui travaille à long terme et qui pourra imposer sa suprématie des années durant sur le continent. Et non pas se focaliser sur la qualification uniquement à la CAN.

Les responsables sont à la recherche d’un coach étranger pour renforcer la barre technique voire un conseiller. Pensez-vous que ce soit la solution idoine ?

De grâce, qu’on ne me parle pas du sujet de l’entraîneur étranger. C’est comme si nous n’en avions pas en Algérie. Ce ne sont pas les hommes qui manquent dans notre pays. Les milliards sont là, on peut former des entraîneurs pour ensuite leur faire confiance. Que pourrait faire un coach étranger et dans quelles conditions travaillerait-il ?

Que voulez-vous insinuer par là, s’il vous plaît ?

L’outil essentiel fait défaut : les terrains de football. Le jour où nous disposerons de terrains de football au sens propre du terme et de centres de formation, on pourra alors se permettre d’aller chercher un entraîneur étranger. Faisons donc confiance au coach local et que cesse la politique du bricolage.

Doit-on comprendre que le lancement du professionnalisme est voué à l’échec ?

Il ne suffit pas de parler de professionnalisme ou de pondre des textes. Il faut avoir cette mentalité de professionnel pour y arriver. La dépendra en fait de la stratégie mise en place par des spécialistes compétents, avec une organisation administrative rigoureuse. La réussite du professionnalisme est liée à la disponibilité de terrains de jeu qui répondent aux normes ainsi qu’à la création de centres de formation suffisants. Nous devons mettre tous les moyens pour les jeunes. Si tel est le cas, dans cinq à six ans, nous récolterons les fruits de notre investissement. Ce sujet me fait rappeler une anecdote

Racontez-là-nous…

Dernièrement, je rentrais de Tunisie. A mon arrivée à l’aéroport, une personne s’est approchée de moi et m’a dit : «C’est un honneur de vous rencontrer cheikh. J’ai répondu que j’en étais honoré. Et il m’a posé  une question surprenante. Etes-vous en Algérie, pour discuter du projet du professionnalisme ? J’ai longuement souri et j’ai répondu que je n’étais pas au courant du lancement d’un tel projet.

Vous êtes quelque peu déçu, en tant que spécialiste de football, de ne pas avoir été consulté ?

Bien évidemment ! Les footballeurs de ma génération et ceux qui ont marqué le football algérien en 82 devraient être associés à ce projet. Notre expérience en tant qu’ancien joueur professionnel puis en tant qu’entraîneur nous donne le droit de donner notre avis sur ce qui est bien pour notre football. Malheureusement, on ne nous a pas consultés. Et je vais aller plus loin me concernant. J’ai été mis à l’écart de manière délibérée.

Avez-vous réagi par rapport à cette éviction ?

Oui, j’ai demandé des explications et quelle fut ma surprise quand on m’a répondu que j’avais refusé l’invitation de faire le voyage en Afrique du Sud. J’ai quand même le droit de refuser une invitation. Chacun est libre de ses choix. En ce qui me concerne, je ne pouvais faire le voyage en Afrique du Sud, parce que j’avais des obligations personnelles.

Et maintenant, si l’on vous sollicitait pour aider l’Equipe nationale, quelle serait votre réponse ?

Pourquoi voulez-vous que je refuse d’aider mon pays ? Bien sûr que je serai disposé à venir en aide à l’Equipe nationale. Mais il me sera difficile de revenir sur les terrains, car j’ai 74 ans. Par contre, je pourrais être utile sur le plan théorique. Je dis cela en précisant que je ne suis pas le seul à pouvoir contribuer à donner un coup de main. Il y a de nombreuses personnes qui ont été malheureusement marginalisées et qui sont en mesure d’apporter quelque chose.

Pourriez-vous nous citer quelques-uns ?

Si j’étais responsable de la FAF, je ferais appel sans hésitation aucune à la génération de 82. Les footballeurs qui ont participé à la glorieuse aventure en Coupe du monde en Espagne sont tous en mesure d’aider le football algérien. Ne me demandez pas de vous citer des noms, je pourrais en oublier. Ils sont tous capables de faire avancer notre football. Accordons-leur une chance et je suis persuadé qu’ils apporteront un plus. Il y a dans notre pays des clubs qui continuent vaille que vaille à former des jeunes, mais qui manquent de moyens. D’un autre côté, des clubs aux moyens colossaux ne forment pas de jeunes. C’est cela le paradoxe dans notre pays.

Quels sont, selon vous, les clubs qui s’intéressent à la formation ?

Certains clubs se sont lancés dans la formation, mais les moyens leur font défaut. Je prends comme exemple ce club proche d’Hydra qui n’évolue pas en Division1 (Il veut parler du PAC), même si les joueurs n’adoptent pas une façon de jouer à l’algérienne. Mais le fait que les responsables de ce club aient pensé à créer une académie est en soi une chose formidable. Ce club va récolter les fruits de sa politique dans un avenir très proche. Et je suis convaincu que certains de ces joueurs vont faire partie de la sélection nationale A. Voilà comment on fournit des joueurs locaux à l’Equipe nationale.

Avez-vous rencontré Saâdane en Tunisie ?

Je dois dire que je ne l’ai pas rencontré depuis très longtemps.

Comment sont vos rapports avec lui ?

Saâdane est comme un fils pour moi. Je l’ai connu quand il était sous les drapeaux. Cela ne date pas d’hier. C’est un bon entraîneur. Il a laissé des traces lors de son passage en Equipe nationale.

Mais il est sorti par la petite porte, après le Mondial…

Que l’on ait poussé Saâdane à la démission ou qu’il ait décidé de quitter son poste, je dois dire que s’il est parti dans ces conditions, c’est sa faute. Il aurait dû quitter la sélection, suite à la qualification de l’Equipe nationale au mondial sud-africain. Lors de la CAN 2010, il a réalisé de bons résultats. Au Mondial, ses résultats étaient tout justes moyens. A chaque fois, il avait décidé de continuer. Je me demande si Saâdane était resté à chaque fois à son poste par amour pour l’argent ou pour faire de bons résultats. Il avait la possibilité de partir la tête haute. Mais il est sorti par la petite porte, s’entêtant à continuer à driver les Verts.