De nombreux entrepreneurs algériens continuent à dénoncer l’ingérence de l’État alors que de l’autre côté, ils tiennent plus que jamais à un État rentier qu’ils veulent perpétuer.
Invité au Forum de Liberté, Mehdi Bendimerad, président de North Africa Partnership for Economic Opportunity (Napeo), est venu présenter, hier, cette initiative américaine destinée à promouvoir l’entreprenariat en Afrique du Nord. Mais de quoi s’agit-il ? D’après l’orateur, cette initiative fait suite au discours de Barack Obama au Caire, en juin 2009, lorsque le président américain avait voulu marquer, selon lui, “une rupture en matière de relations avec le monde arabe et musulman, blessé à la suite des interventions de l’armée US en Irak et en Afghanistan”. Et pourquoi précisément le modèle américain ? Parce que, selon Bendimerad, ce sont, bien évidemment, les Américains, les meilleurs : “En matière d’entreprenariat, les USA sont les champions du monde. Même les dragons asiatiques s’en sont inspirés”, résume-t-il.
Il est vrai que l’expérience américaine et ses politiques publiques en faveur du développement de l’entreprise est susceptible d’attirer effectivement notre attention.
Cette expérience, du reste, très réussie, n’en est pas moins un bel exemple à méditer. Cette réussite peut, en effet, inspirer une vaste réflexion sur les conditions de promotion de l’entreprise algérienne et de l’investissement dans notre pays.
Pourquoi repartir à zéro alors qu’on peut très bien profiter de l’expérience des autres ? Pour combler le retard, il suffirait juste de copier ce qui se fait de mieux dans le monde.
“Nous gagnerons au moins la période de maturation”, argue Bendimerad, qui reviendra sur les différentes activités organisées par Napeo-Algérie, depuis son avènement. “Nous faisons ce que nous voulons nous et pas ce que veulent les Américains”, a-t-il cru bon de préciser. Il estime toutefois qu’il faudrait créer en Algérie un contexte rénové, surtout au niveau des mentalités, pour que la réussite d’une entreprise (aussi légitime soit-elle) puisse constituer un exemple à suivre, notamment pour les jeunes, chez qui, l’esprit d’initiative et le goût d’entreprendre semblent faire, quelque peu, défaut. “La réussite est souvent suspicieuse en Algérie”, regrette Bendimerad. Pour le président de Napeo, qui est également un chef d’entreprise, l’idée est de peser sur l’écosystème afin que les petites idées deviennent grandes. “Nous avons tous une fibre entrepreneuriale”, assure-t-il, en prenant l’exemple notamment du “petit vendeur de thé installé au carrefour” : “Il suffirait de transférer ces activités informelles vers la sphère économique.”
Il faut dire que pour l’hôte de Liberté, il y a aujourd’hui plusieurs motifs à être optimiste : “La donne a changé. Le pays a compris que les gens doivent se prendre en charge eux-mêmes. Même la notion d’entrepreneur a évolué dans le langage populaire, puisqu’elle n’est plus systématiquement liée au bâtiment et aux travaux publics.” Il reconnaît néanmoins que la bureaucratie reste, en Algérie, “un facteur usant”. De même qu’il admet l’existence de “démarches dissuasives, une redondance des documents exigés, des banquiers qui outrepassent leurs prérogatives, etc.”. Cela dit, l’orateur garde grand espoir de voir les choses changer un jour en Algérie.
Mais d’où vient cette confiance ? Mehdi Bendimerad, qui est également membre du bureau exécutif du Forum des Chef d’entreprise (FCE), semble être, ainsi, encore sous le charme de la déclaration de l’ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui aurait invité, la veille, à l’hôtel El-Aurassi, les membres de cette organisation patronale à s’enrichir : “Enrichissez-vous !”, un aphorisme prêté au leader chinois, Deng Xiao Ping, mais dont la paternité revient, en réalité, à l’homme politique français, François Guizot, et dont la formule exacte est : “Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne et vous deviendrez électeurs.” Et à propos d’élection, s’agit-il justement d’un discours de circonstance, un discours électoraliste du directeur de campagne du candidat à sa propre succession, le président Abdelaziz Bouteflika ?
Bendimerad préfère plutôt s’en tenir au “cheminement de la pensée” dans la tête des responsables politiques en Algérie. “Je n’ai jamais entendu une telle expression en Algérie”, s’est-il contenté de répondre.
Soutien à Bouteflika
S’agissant du soutien apporté par le FCE au 4e mandat pour Bouteflika, une option très décriée et susceptible de créer une scission dans l’organisation patronale, Bendimerad n’en démord pas : “Le FCE se porte très bien. Nos institutions marchent très bien et de manière démocratique. Nous sommes la seule organisation patronale qui respecte à la lettre ses statuts. Le président, Réda Hamiani, aurait pu très bien décider seul le soutien au 4e mandat, mais il a préféré se donner les moyens juridiques en consultant l’assemblée générale.” D’après lui, les voix discordantes étaient les bienvenues, mais elles ne se sont pas manifestées : “Nous soutenons, pour notre part, un programme électoral et non pas un candidat”, relativise-t-il. Interrogé, par ailleurs, sur le fait d’accorder un soutien à un seul candidat sans écouter les autres, le membre exécutif du FCE est tout de même revenu à la charge en défendant mordicus, une nouvelle fois, son organisation : “Les autres candidats ne se sont pas prononcés”, a-t-il vainement avancé, occultant la lettre du candidat Benflis. Présente au Forum de Liberté, maître Hind Benmiloud, première présidente de Napeo-Algérie, n’a pas manqué, pour sa part, de lui apporter la contradiction en relevant qu’au plan juridique, “une association n’a pas le droit de se prononcer sur des questions politiques ni même sur un programme électoral”. Pour cette éminente juriste, il s’agit d’une dérive très grave, même si elle ne cautionne pas, par ailleurs, certaines méthodes antidémocratiques, comme l’appel au boycott qui vient d’être lancé à l’encontre de nombreuses entreprises adhérentes au FCE. Bendimerad a tenté alors de faire valoir une “campagne de désinformation” qu’il déplore du reste. Il est à noter enfin que cet épisode du faux suspense du soutien du FCE à un quatrième mandat pour Bouteflika a montré combien la relation entre le pouvoir en Algérie et les hommes d’affaires était symbiotique. Beaucoup veulent, semble-t-il, continuer à tirer profit de la rente, à tout prix et par tous les temps, c’est-à-dire continuer à recevoir des crédits bancaires pour faire de l’import-import, acheter et revendre en l’état.
D’ailleurs, dans ce pays, où les règles de gestion se limitent le plus souvent à la surfacturation, à la fraude fiscale et à la fuite des capitaux, l’entreprenariat qui implique, notons-le, la prise de risque, mérite, aujourd’hui, plus que jamais d’être promu.
M.-C. L