«C’est le mektoub»
La nouvelle a tonné hier soir vers 21h00 dans toutes les montagnes de Crans-Montana et a ébranlé toute la délégation algérienne présente aux alentours : Mourad Meghni n’ira pas en Coupe du monde ! Le choc a été terrible et les cœurs se sont serrés douloureusement, en compassion avec le joueur. Ce qui n’était que rumeur et conjecture dimanche soir, après que le joueur eut révélé au staff médical qu’il avait ressenti de vives douleurs à son genou gauche après le match qu’il a livré avec ses camarades, devient aujourd’hui une information majeure qui a mis en deuil 35 millions d’Algériens. Le charmeur du ballon rond ne sera pas dans la liste des 23 qui iront en Afrique du Sud. Le malheur a frappé à la tombée de la nuit, comme pour réveiller les Algériens et les replonger dans les ténèbres.
Le Dr Chalabi l’avait préparé avant de rendre le verdict à Saâdane et Raouraoua
La décision a été prise hier matin, après une longue discussion qui a réuni Saâdane, Raouraoua et le Dr Chalabi qui est arrivé la veille pour trancher sur la question. Ce dernier, extrêmement désolé, avait du mal à claquer cette triste vérité à la face de ses vis-à-vis. Il était carrément désemparé en allant faire miroiter la triste nouvelle au premier concerné. Sans lui dire qu’il allait être écarté, le médecin chef du staff médical des Verts a signifié à Mourad Meghni qu’il courait de gros risques s’il devait s’entêter à vouloir jouer cette Coupe du monde. Pire encore, il lui aurait dit qu’il compromettait carrément sa carrière de footballeur s’il devait jouer le Mondial. C’est ce qui a fait reculer Meghni d’un pas, avant même d’apprendre la décision.
C’est Raouaraoua qui le lui a annoncé
Et pour lui annoncer cette terrible décision, les trois hommes ont dû laisser le soin au président qui s’est proposé pour prendre une telle responsabilité. C’est donc Raouraoua qui avait pris les devants pour dire à Mourad Meghni qu’il n’allait pas prendre part à l’événement le plus important de sa vie de footballeur. El hadj l’a entouré de toute son affection pour lui faire digérer une telle déception. Il lui a fallu user de beaucoup de tact pour le préparer à cette cinglante rupture. Meghni a accusé le coup comme les grands hommes, remettant cela sur le compte du mektoub, avant de s’en aller retrouver sa chambre dans un silence des plus pesants. Il avait sans doute ressassé les moments de doutes, mais aussi ceux des grands espoirs qu’il a vécus depuis janvier dernier chez lui. Sans oublier les grands efforts et tous les sacrifices consentis à Aspetar…
Sauf une poignée de coéquipiers étaient au courant de la nouvelle
En ce jour de pentecôte, les joueurs avaient quartier libre à Crans-Montana. Mais peu d’entre eux avaient le cœur à quitter les lieux. Surtout le nombre très restreint auxquels Mourad avait daigné raconter son épilogue dans cette Coupe du monde qui se termine pour lui, avant même d’avoir commencé. Alors qu’on pouvait s’imaginer que tout le monde était au courant de la triste nouvelle, on était surpris d’apprendre que la grande majorité des joueurs ne savaient pas que Meghni allait les quitter bientôt pour aller subir cette incontournable opération qu’il a longtemps refusée.
Il avait tenté le tout pour le tout dans la semaine
Il y a une semaine de cet implacable verdict, Mourad avait déclaré à la télé qu’il avait envie de tenter le tout pour le tout et voir la réaction de son genou et prendre une décision définitive. Il avait en fait marre de rester dans le doute plus longtemps. «Je voudrais m’entraîner avec le groupe pour avoir une réponse nette et précise», avait-il souligné l’air décidé. Le secret avait été gardé jusque tard dans la soirée. Il fallait que la FAF l’officialise sur son site pour que les derniers soupçons soient dissipés. On avait douté jusqu’au bout, simplement parce que personne n’avait l’audace d’aller demander à Meghni si la rumeur était vraie…
Un jour tu ris, un jour tu pleures…
Une page se tourne donc aujourd’hui avec le départ imminent de ce stratège hors normes que les Verts auront du mal à remplacer, malgré la présence de talents au même poste. Meghni devait apporter ce qu’il y avait de plus authentique dans le style de jeu à l’algérienne. Cette touche si particulière qu’on ne peut apprendre dans aucun centre de formation au monde, si le don ne vous a pas été fait par le Créateur. Meghni a hérité justement de cela de la part de son papa algérien et de sa maman portugaise qui lui a transmis les mêmes gênes que Cristiano Ronaldo. Le rideau s’est refermé hier soir sur l’artiste qui a salué son monde avant de s’éclipser dans sa loge. Le destin est parfois aussi triste que cruel lorsqu’il vous enlève d’un coup le bonheur qu’il vous a donné hier. L’image de Meghni jubilant à Oum Dorman revient aussitôt dans nos mémoires. Un jour tu ris, un jour tu pleures…
Meghni : «C’est le mektoub»
Avant même que le verdict du staff médical ne tombe, Mourad Meghni semblait se préparer psychologiquement à l’éventualité de rater la Coupe du monde. Dans une déclaration, la seule, faite à la télé algérienne en début du stage, le joueur de la Lazio a évoqué les deux possibilités : «Je ferai tout pour jouer la Coupe du monde et si je réussis à me rétablir, je serai heureux, sinon je me plierai au mektoub.» Une déclaration qui en dit long sur l’état d’esprit de Meghni qui était prêt à tous les sacrifices pour jouer cette Coupe du monde, sa Coupe du monde. Tous les sacrifices ? Enfin presque. Le seul qu’il n’avait le droit de consentir à faire, c’est de compromettre sa carrière. S’il avait joué la Coupe du monde, Meghni aurait risqué de mettre fin à sa carrière et ça personne ne peut le lui pardonner, car personne ne veut voir un tel talent s’éclipser comme ça subitement de nos yeux.
«J’ai tout fait pour me rétablir»
Hier sur Al Jazeera, Meghni tentait difficilement de retenir ses émotions. Il arrivait quand même à exprimer son sentiment en déclarant notamment : «Je suis triste naturellement car je voulais tant être en Afrique du Sud avec les potes, mais c’est le destin et je dois m’y plier surtout que j’ai absolument tout fait pour me rétablir. Maintenant que la décision a été prise, je dois me tourner vers l’avenir et l’avenir, c’est l’opération que je dois subir bientôt pour me débarrasser définitivement de cette vilaine blessure.» Plusieurs joueurs se sont déplacés dans la chambre de Meghni pour le consoler.
On l’aurait emmené même sur une civière !
Qu’il était beau le stade de Tourbillon de Sion dimanche, avec Mourad Meghni tourbillonnant majestueusement au dessus des Verts, emportant une partie de nos inquiétudes du jour, comme des feuilles dans un cyclone ! Les supporteurs n’avaient d’yeux que pour lui, courant joyeusement tel un gamin enchantant les foules. Un exhibitionniste, un jongleur de cirque dont aucun artiste ne saura égaler le talent. Ce jour-là, personne ne pouvait douter un instant que la tempête allait souffler dans les cimes de Crans-Montana le lendemain.
Il pouvait supporter toutes les douleurs du monde sans s’arrêter
Meghni était aux anges parmi les siens. Il ne s’entraînait pas comme les autres, mais jouait au football comme dans sa tendre enfance. Il se retenait, certes, par moments d’oublier qu’il préparait une Coupe du monde qu’il ne pensait forcément rater à cause d’un destin qui lui tourna le dos. Mais la joie sur son visage était si intense qu’il ne pouvait rien cacher de son bonheur d’être enfin sur le terrain. Ce jour-là, on jurerait que toutes les douleurs du monde ne l’auraient pas empêché d’aller au bout de ce match plein qu’il disputait entièrement pour la première fois depuis la dernière CAN en Angola. Comment pouvait-il se plaindre de tant d’hédonisme footballistique ? Non, rien ne pouvait altérer ce moment de pure extase, même pas le gros risque qui le menaçait…
Un destin commun qui se sépare avec Yebda
Rien ne pouvait perturber cette félicité qui le prenait en même temps que les supporteurs qui l’acclamaient sincèrement. Curieusement, l’on ne se doutait pas qu’il prenait part à une sorte de jubilé d’adieu avec ses potes, tellement les gens focalisaient sur Meghni. Et pourtant, ce charmeur du ballon rond tentait bien d’annoncer son retour définitif parmi les Verts. Ses coéquipiers étaient fous de joie de le revoir ainsi rayonner comme un soleil. «Je suis très content et confiant de le voir avec l’équipe en Coupe du monde», lâchait son ami Yebda qui ne peut toujours pas s’imaginer que ce destin commun qui les a menés de l’équipe de France à celle de l’Algérie puisse ainsi les séparer à 20 jours seulement de son épilogue.
Le pied de nez raté à ses détracteurs
Ses fans voulaient tant le voir en tenue verte, entonnant ouvertement Qassamen, après avoir refusé de le faire avec La Marseillaise. Cela aurait donné un sens terrible à son histoire. A cet égarement, à cette tentation et à toutes ces promesses non tenues par les responsables du football français qui l’ont laissé tomber comme une chemise usée, alors qu’il espérait tant qu’on lui donna une chance. Cela aurait été aussi un beau pied de nez pour ceux qui étaient persuadés qu’il ne jouerait plus jamais de sa vie une Coupe du monde et qui jubileraient sans doute aujourd’hui dans leur coin.
Un Algérien de son espèce se serait mis debout pour l’hymne de son cœur !
Malheureusement pour lui, Mourad Meghni ne sera pas de retour aux devants de la grande scène, pour défendre les couleurs du peuple. Un peuple qui l’a récupéré de justesse et qui lui a accordé la reconnaissance éternelle dont on l’a privé sur sa terre natale. Mourad aurait sans douté aimé renvoyer l’ascenseur à ceux qui l’ont aimé dès son retour. Echaudé qu’il est, Saâdane ne voulait pas se rater une deuxième fois. Mais le monde des puristes n’accepte toujours pas ces discours rigides lorsque cela concerne un magicien de la trempe de Mourad Meghni. Les amateurs des beaux gestes espéraient tant voir un diamant de l’espèce de Meghni avec le maillot des Verts en Afrique du Sud. Ils l’auraient emmené dans les 23, même sur une civière ! Car on est tous persuadés que l’Algérien arrive toujours à avoir la force de se mettre debout pour entonner l’hymne qu’a choisi son cœur.
Chadli Amri ou Hadj Aïssa pour le remplacer ?
Rabah Saâdane devra dès à présent penser à trouver un remplaçant à Meghni. Ainsi, les fans de l’EN se posent déjà la question de qui de Hadj Aïssa (ESS) ou Chadli Amri (Mayence 05) sera appelé pour faire partie du groupe des 25 présélectionnés, quand on sait que ces deux éléments évoluent pratiquement dans le même registre que Meghni. Le choix ne sera pas simple pour Saâdane, même si le joueur de Mayence 05 semble, de par son statut de professionnel, le mieux placé pour renforcer le groupe de l’EN. Hadj Aïssa, qui revient fort en championnat d’Algérie, pourrait aussi prétendre à une place parmi l’effectif algérien.