La transition dans les pays arabes ayant connu cette année des changements politiques importants sera » délicate « , car il faudra maintenant » gérer les contrecoups négatifs de ces mouvements « , notamment sur le plan de la stabilité interne, a estimé le ministre algérien des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci, dans un entretien à l’hebdomadaire français Paris Match.
Les révoltes de certains peuples arabes représentent » une vraie opportunité, car cela permet de libérer des énergies sociales et politiques importantes dans les pays voisins, et c’est très bien. Mais il faut aussi gérer les contrecoups négatifs de ces mouvements. Le premier défi c’est l’instabilité. Cela va prendre du temps et être difficile à gérer, car ces pays sont dans une situation économique et sociale difficile. Donc la transition sera délicate « , a dit le ministre.
Pour M. Medelci, le cas libyen est cependant » exceptionnel » du fait d’interférences étrangères dans ce conflit interne. » La Libye est un cas tout à fait exceptionnel, car ce ne sont pas simplement les acteurs libyens qui ont fait les événements, c’est la communauté internationale qui s’est considérée responsable. Il n’y a pas beaucoup de cas où l’Otan s’approprie une révolution « , a-t-il répondu à la question de savoir si la situation en Libye (avant la mort d’El Gueddafi, ndlr) » inquiétait » l’Algérie.
» Pour des raisons historiques, nous sommes (en Algérie) extrêmement chatouilleux sur la question de la souveraineté nationale. Pour nous-mêmes, et donc pour les autres. Mettre de côté cette souveraineté et s’introduire dans un pays -même au nom de valeurs reconnues- pour remplacer le représentant du pouvoir, ce n’est pas notre vision des choses « , a ajouté le responsable de la diplomatie algérienne.
Interrogé au sujet de possibles retombées des troubles en Libye sur la sécurité régionale, M. Medelci a répété que les questions de sécurité dans les pays du Sahel restaient » préoccupantes » et que l’Algérie travaillait de concert avec ces pays pour y faire face. » L’Algérie a mis plusieurs années à se débarrasser du terrorisme et à stabiliser son front interne. Mais dans les pays du voisinage, les questions de sécurité restent préoccupantes.
Nous travaillons ensemble pour faire front commun. Avec la crise libyenne, le plan de charge de nos pays s’est multiplié par un cúfficient considérable « , a encore observé le ministre. M. Medelci a en outre plaidé pour une » forte coopération internationale » en vue de découvrir les armes tactiques libyennes, notamment des missiles sol-air, éventuellement passées aux mains de groupes terroristes.
» Nous n’excluons pas du tout qu’il y ait des armes de ce type dans la nature. Nous n’en avons pas la preuve mais, aujourd’hui, il faut une forte coopération internationale pour découvrir rapidement ces armes éventuelles, et les neutraliser « , a-t-il déclaré. L’accueil par l’Algérie d’une partie de la famille El Gueddafi, comprenant des femmes et des enfants en bas âge, était dictée par un » devoir humanitaire « , a réaffirmé par ailleurs le ministre des AE, tout en soulignant que leur arrivée en Algérie n’était » pas coordonnée « . » Ils sont les hôtes de l’Algérie, pour un temps, et j’espère que nous aurons la possibilité de transcender la question de la famille El Gueddafi, qui est aujourd’hui l’arbre qui cache la forêt « , a dit le ministre.
L’intégralité de l’interview :
Paris Match : Les révolutions du » printemps arabe » représentent-elles, à vos yeux, une chance pour la région ou un nouveau problème ?
Mourad Medelci : C’est une vraie opportunité car ça permet de libérer des énergies sociales et politiques importantes dans les pays voisins, et c’est très bien. Mais il faut aussi gérer les contrecoups négatifs de ces mouvements.
Le premier défi, c’est l’instabilité. Les pays qui ont connu ces révoltes populaires sont aujourd’hui en transition. Ça va prendre du temps et ça va être difficile à gérer, car ces pays sont dans une situation économique et sociale difficile. Donc la transition sera délicate.
P.M. : La guerre civile chez votre voisin libyen inquiète-t-elle particulièrement l’Algérie ?
M.M. : Il faut bien dire que la Libye, c’est un cas tout à fait exceptionnel. Car ce ne sont pas simplement les acteurs Libyens qui ont fait les évènements, c’est la communauté internationale qui s’est considérée responsable de la solution. Il n’y a pas beaucoup de cas où une révolution a été appropriée par l’Otan.
P.M. : Justement, pourquoi l’Algérie a-t-elle été perçue comme hostile à cette intervention ?
M.M. : Pour des raisons historiques, nous sommes extrêmement chatouilleux sur la question de souveraineté nationale. Pour nous-même, et donc aussi pour les autres. Mettre de côté cette souveraineté et s’introduire dans un pays – même au nom de valeurs reconnues- pour remplacer le représentant du pouvoir, ce n’est pas notre vision des choses.
P.M. : En quoi les troubles en Libye augmentent-ils l’insécurité régionale, notamment celle liée à Aqmi (Al Qaida au Maghreb islamique) ?
M.M. : L’Algérie a mis plusieurs années à se débarrasser du terrorisme et à stabiliser son front interne. Mais dans les pays du voisinage, les questions de sécurité restent préoccupantes. Aujourd’hui nous travaillons ensemble pour faire front commun. Avec la crise libyenne, le plan de charge de nos pays s’est multiplié par un coefficient très considérable.
P.M. : Certains analystes suspectent que des armes tactiques libyennes, notamment des missiles sol-air pouvant frapper des avions de ligne, ont pu passer aux mains de groupes terroristes. Le pensez vous ?
M.M. : Nous n’excluons en aucun cas qu’il y ait des armes de ce type dans la nature. Nous n’en avons pas la preuve, mais aujourd’hui il faut une forte coopération internationale pour découvrir rapidement ces armes éventuelles, et les neutraliser.
P.M. : Toujours sur la Libye, certains ont critiqué votre accueil de la famille Kadhafi. Pourquoi l’avez-vous fait ?
M.M. : Pour comprendre, il faut être imprégné de nos valeurs.
Ce sont des valeurs humanitaires, qui sont également les vôtres. Un beau matin, à 8h30 un poste frontière nous appelle pour dire : il y a deux voitures dans lesquelles se trouvent des enfants en bas âges, des femmes enceintes, elles demandent que vous puissiez les secourir. Il n’y avait pas l’ombre d’une hésitation, c’était le devoir humanitaire. Leur arrivée n’était pas coordonnée.
P.M. : Où sont-ils aujourd’hui ?
M.M. : Ils sont les hôtes de l’Algérie, pour un temps. J’espère que la situation en Libye va aller vers la stabilisation et que nous aurons la possibilité de transcender la question de la famille Kadhafi, qui est aujourd’hui l’arbre qui cache la forêt…
P.M. : Certains s’inquiètent pourtant que la famille de Kadhafi continue de peser sur les événements, notamment sa fille Aïcha, qui a appelé à la poursuite des combats.
M.M. : Elle a eu la mauvaise idée de dépasser les droits qui étaient les siens, mais elle a bien compris maintenant, très bien compris.
Par ailleurs, demain, la question va se poser de savoir qui devra faire l’objet d’une action judiciaire. Lorsque les institutions libyennes nouvelles auront à répondre à ce type de questions, nous travaillerons avec elles.
Propos recueillis par Alfred de Montesquiou