Me William Bourdon livre son sentiment sur l’affaire de l’autoroute Est-Ouest “Il y a beaucoup d’enjeux et d’opacité dans ce dossier”

Me William Bourdon livre son sentiment sur l’affaire de l’autoroute Est-Ouest  “Il y a beaucoup d’enjeux et d’opacité dans ce dossier”
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Avocat de Medjdoub Chani présenté comme le principal accusé dans le procès de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest qui s’ouvre ce matin au tribunal criminel près la cour d’Alger, William Bourdon pense que “l’enquête judiciaire est basée uniquement et exclusivement sur les rapports de la police militaire qui ne contiennent aucun élément convaincant”. Il ajoute que la procédure suivie devait permettre à d’autres personnes d’échapper à la justice.

Me Bourdon affirme que Chani Medjdoub a subi des actes de torture qui ont conduit à la saisine d’instances, en dehors du pays, comme le parquet du Luxembourg qui a ouvert une instruction sur les crimes de torture et de détention arbitraire et le comité des droits de l’Homme des Nations unies qui a été saisi concernant la violation de l’interdiction de la détention arbitraire, de la torture et du procès équitable.

Liberté : À cause de votre défection pour officiellement un problème de visa, le procès de l’autoroute Est-Ouest initialement programmé pour le 25 mars dernier a été reporté à aujourd’hui dimanche 19 avril. Quelle est votre version des faits ?

William Bourdon : Il n’y a pas eu de refus de visa de la part des autorités algériennes, simplement le traitement administratif requiert un délai, le visa n’a pas pu être délivré à temps.

Serez-vous présent à l’audience ?

Oui. Nous serons tous présents.

Chani Medjdoub a refusé d’être défendu par le collectif de ses avocats algériens en votre absence. Pourquoi ?

Nous sommes un collectif. Par solidarité envers moi, mes confrères algériens se sont retirés et Medjdoub Chani a, de façon tout à fait rigoureuse, demandé le renvoi en raison de l’absence de son conseil. C’est son droit le plus absolu de choisir librement son conseil.

Chani a été arrêté en septembre 2009 à la sortie de l’aéroport international d’Alger en provenance de Paris, mais il n’a été présenté au parquet qu’une vingtaine de jours plus tard. Pouvez-vous revenir sur cet épisode ?

Medjdoub Chani a fait l’objet d’une arrestation, le 17 septembre 2009, par le service territorial de la Police judiciaire dépendant du DRS, puis placé dans un lieu secret jusqu’à sa présentation devant un juge.

Durant sa détention arbitraire, M. Chani a subi des actes de torture qui ont conduit à la saisine de différentes instances judiciaires :

– européenne : le parquet du Luxembourg a ouvert une instruction sur les crimes de torture et de détention arbitraire subis par M. Chani en Algérie. Les membres de la famille de M. Chani ont récemment été auditionnés ;

– internationale : le Comité des droits de l’Homme des Nations unies a été saisi s’agissant de la violation de l’interdiction de la détention arbitraire, de la torture et du procès équitable (articles 6, 7 et 11 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984).

Il a été présenté, ensuite, à un magistrat instructeur à Alger pour être entendu. C’est en violation des principes les plus fondamentaux, de la Constitution algérienne et de la loi que ces PV d’audition ont été établis à l’issue d’une détention arbitraire de 20 jours pendant laquelle il a été torturé, ce qui vicie l’unique élément à charge du dossier, constamment recyclé tout au long de la procédure car le dossier est absolument vide à l’encontre de M. Chani.

Le collectif des avocats de Chani parle de “l’acharnement” du procureur général près la cour d’Alger, du procureur de la République près le tribunal d’Alger et du juge d’instruction près la 9e chambre du pôle pénal spécialisé à le charger et en faire le principal accusé. Partagez-vous cet avis ?

Oui. Il y a à l’encontre de M. Chani un véritable acharnement, cela ressort de l’utilisation des éléments communiqués par le Luxembourg à l’Algérie dans le cadre d’une commission rogatoire internationale dans le dossier de l’autoroute pour diligenter de nouvelles poursuites contre lui dans un autre dossier.

Le magistrat instructeur s’est servi de ces éléments pour ouvrir une deuxième information judiciaire qui a abouti au renvoi et à la condamnation de Medjdoub Chani à 18 ans d’emprisonnement, sentence ramenée à 15 ans d’emprisonnement en appel et ensuite cassée en janvier par la Cour suprême. L’arrêt de la Cour suprême a cassé celui de la cour d’Alger au motif que les délits de corruption et de blanchiment étaient prescrits et que la loi 06-01 postérieure aux faits allégués ne pouvait s’appliquer rétroactivement.

Par ailleurs, les éléments transmis par le Luxembourg démontrent l’extraordinaire complaisance dont il a été fait preuve en 2010 et 2011 envers la banque Natixis et l’utilisation de ces éléments par le parquet d’Alger révèle l’opportunisme avec lequel ces éléments ont été d’abord dissimulés, conservés, puis utilisés sans aucun fondement factuel ou juridique, pour la seconde procédure.

Quel a été exactement le rôle joué par votre client dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest ?

M. Chani était le conseiller juridique et financier du consortium chinois Citic-CRCC. Son cabinet de conseil est basé au Luxembourg et il a vécu là-bas. Il est accusé de corruption active d’agent public de haut rang aux fins d’obtenir des avantages pour le consortium chinois : soit plus de visas pour les employés chinois, la fourniture de matériels pour les travaux, des expropriations juridiques, des faits de trafic d’influence, et d’avoir dirigé une organisation criminelle et de blanchiment.

Ces allégations sont fondées uniquement sur ​​les déclarations anonymes sans identification des sources. Pas un document ne détaille ces allégations. Toute l’enquête judiciaire est basée uniquement et exclusivement sur les rapports de la police militaire qui ne contiennent aucun élément convaincant. La justice algérienne devra en tirer toutes les conséquences.

Si l’enquête judiciaire avait creusé certaines pistes ouvertes par des prévenus ayant affirmé que des ministres algériens et le marchand d’armes Pierre Falcone ont profité de ce vaste système de corruption tissé autour de ce grand projet, le cours de l’affaire aurait-il changé ?

Beaucoup d’enjeux et d’opacité dans ce dossier. Il existe dans l’urgence un enjeu beaucoup plus essentiel et fondamental que la poursuite d’autres individus ou l’enquête sur d’autres faits. Cet enjeu est celui de la commission de faits de torture et la détention arbitraire d’un individu ensuite poursuivi, alors qu’il n’existe pas le moindre élément à charge, mais au contraire, de très nombreux éléments à décharge, et l’on comprend que cette procédure est en fait le moyen de permettre à d’autres individus d’échapper à la justice en trouvant un bouc émissaire, soit Medjdoub Chani.

Allez-vous demander l’appel à la barre, en tant que témoin, de l’ancien ministre des Travaux publics, Amar Ghoul ?

Non, nous n’avons rien à voir avec M. Ghoul.

M. Chani n’a aucun lien avec M. Ghoul. Ce témoin peut être appelé par d’autres individus pour expliquer la procédure de passation de marché et l’attribution, mais M. Chani ne sait rien sur ce sujet et n’a donc pas de question à lui poser directement.

Vous avez déjà défendu Chani Medjdoub dans le cadre de l’affaire Algérie Télécom. Quelle impression vous a laissé ce procès  tenu en 2012 ?

J’en garde une impression mitigée, car j’ai été autorisé à plaider devant la cour à Alger, et tous les avocats ont pu s’exprimer librement, mais j’ai été totalement stupéfait à l’annonce du verdict. Le dossier était totalement vide à l’encontre de Medjdoub Chani et monté de toutes pièces par l’attitude complaisante de la banque Natixis qui n’a été relevée par aucune autorité judiciaire à l’époque. Dans le cadre de son activité professionnelle de conseil, activité qu’il exerce depuis 25 ans au Luxembourg sans avoir suscité la moindre critique ni même réserve, Medjdoub Chani avait mis à disposition de la banque Natixis Private Banking Luxembourg s. a., ci-après Natixis, deux sociétés offshore. Medjdoub Chani ne connaissait pas la personne qui devait l’utiliser et qui en était le bénéficiaire économique — soit Mohamed Boukhari. La banque ne lui avait fourni aucun renseignement.

Ensuite, des opérations ont été effectuées sans son consentement, sans même qu’il en soit informé, et la banque a manifestement fermé les yeux sur des opérations qui ont été ordonnées, signées par une autre personne que Medjdoub Chani, seul mandataire légalement autorisé. Aujourd’hui, le Luxembourg a ouvert une information judiciaire à l’encontre de la banque sur une plainte déposée par Medjdoub Chani pour faux, escroquerie, abus de confiance, ainsi que sur une plainte complémentaire déposée pour violation du secret bancaire et professionnel, et dénonciation calomnieuse à l’encontre de M. Chani.

N. H.