Choisie par le président Bouteflika “Journée nationale de la presse”, la date du 22 octobre est censée venir rappeler aux journalistes que toutes les avancées dans ce pays ont été arrachées par le sang. Hélas, ils ne le savent que trop bien…
Invité au Forum de Liberté, l’avocat de renom Me Miloud Brahimi a rendu, hier, un vibrant hommage à la corporation de la presse qui, selon lui, a droit à la reconnaissance : “Je suis de ceux qui pensent que nous n’aurons jamais vaincu l’intégrisme sans les femmes et les journalistes.” S’il est vrai que les Algériens ont, de tout temps, payé de leur vie leur liberté, les journalistes n’auront pas fait exception pour leur part. Cela dit, il est loin le temps où paraissait, quelque part dans le maquis, le premier numéro du journal El-Mouqawama El-Djazairia (La résistance algérienne) à l’aide d’une rudimentaire ronéo. Aujourd’hui, l’heure est aux nouvelles technologies.
à en croire l’orateur, la presse algérienne a fait son devoir et n’a pas à rougir, ni à s’autodévaluer, ni même à culpabiliser. Et surtout pas dans le contexte actuel marqué, faut-il le souligner, par des velléités de verrouillage institutionnel et d’infantilisation de l’opinion publique nationale. Interrogé, par ailleurs, sur la valeur juridique du décret instituant cette “journée nationale de la presse”, signé, faut-il le rappeler, à Paris, par le chef de l’état, sur son lit d’hôpital et a fortiori dans une enceinte militaire étrangère, le juriste a simplement considéré cette question comme “hors sujet”. Et pourtant… Il suffisait seulement de ne pas mentionner l’endroit de la signature de cet acte officiel pour mentir par… omission. Concernant la détention du blogueur Abdelghani Aloui, depuis plus d’un mois à Serkadji, Me Brahimi pense qu’elle est “inacceptable”. Une mesure de rétorsion jugée disproportionnée qui frappe un jeune de 24 ans pour avoir eu la mauvaise idée, sur facebook, de s’indigner face à l’aberrante idée d’un 4e mandat pour Bouteflika. “Les pressions existent. Le 15 avril 2011, le président de République avait parlé de dépénalisation de l’acte de gestion et du délit de presse. Qu’est-il advenu de ses engagements ?” L’avocat relève surtout qu’on a seulement dépénalisé l’offense au chef de l’état en remplaçant l’amende par une peine de prison. L’objet même de la censure ne devant pas être rendu public et ne pouvant être apprécié,
Me Brahimi a seulement indiqué que ce jeune, soumis, semble-t-il à un processus judiciaire occulte, ne devrait, en aucun cas, être en prison, et ne serait passible que d’une amende “exclusivement”.
Autre cas ayant défrayé ces jours-ci la chronique au sens propre du terme, celui du billettiste Saâd Bouakba, menacé actuellement de poursuites judiciaires par le ministère de la Défense nationale. Me Brahimi qui a eu à défendre par le passé ce journaliste, dont il avait obtenu d’ailleurs la relaxe, estime que sur ce coup “la télévision ne sert pas le pouvoir. “Bien sûr que le général Giap nous est cher à tous. Mais en termes de hiérarchisation de l’information, il fallait laisser ça à sa place !”, s’indigne-t-il. à l’ère d’un développement gigantesque des nouvelles technologies de l’information, Me Brahimi se désole de cette “vision malheureuse”. Il faut dire que l’avocat n’a pas de mots assez durs pour décrire la situation de l’audiovisuel algérien, “un désastre absolu”, selon lui. “Notre presse écrite est réellement indépendante. Elle occupe le haut du tableau. Mais notre audiovisuel est parmi les derniers au monde”, poursuit-il. Me Brahimi trouve surtout dommage que la télévision nationale n’ait pas évolué au même rythme que la presse écrite qu’il n’a pas cessé, notons-le, d’encenser : “Comme si nous vivions encore à l’ère de lampe à l’huile. Aussi, j’interpelle les pouvoirs publics en leur demandant d’arrêter de regarder en arrière.
De toute manière, ils ne pourront jamais empêcher les Algériens de voir devant ni de regarder les télés étrangères. La population aspire à s’ouvrir sur la modernité !” Concernant l’intrusion de nouvelles télés algériennes, il trouve que cela reste très “insuffisant”. À ce sujet, il dira : “Curieusement, il y a quelques frémissements, une petite libéralisation, mais la frilosité est là et elle est regrettable : les agréments sont délivrés au compte-gouttes. à ce jour, il n’existe aucune radio privée…” Pour lui, l’ouverture de l’audiovisuel est inéluctable : “On n’a pas le choix !” S’agissant de la dernière loi sur l’information dite “loi Nacer Mehal” à laquelle il dit avoir contribué par quelques réflexions. Il estime que celle-ci a été vidée de tout son sens : “On s’attendait à une loi qui vienne mettre fin au monopole public, mais ce n’était qu’un effet d’annonce…”. Et de préciser : “Je dois en vérité dire que le ministre était motivé par une grande ouverture, mais on lui a opposé un obstacle technique et non moins ridicule, et qui a cependant fonctionné : le code pénal est le siège des règles générales.” Il rappellera, par ailleurs, que la notion de diffamation a été introduite “par effraction” dans le code pénal algérien largement inspiré comme toute notre législation par le modèle français.
Et s’il reconnaît que la presse algérienne fait effectivement, aujourd’hui, l’objet d’un harcèlement judiciaire, l’avocat a, tout de même, jugé utile de préciser qu’il existe également des responsables qui sont victimes, selon lui, d’“un acharnement médiatique”.
Il faut dire que Me Miloud Brahimi prête beaucoup de pouvoir à la presse : “Face au pouvoir exécutif, il y a un deuxième pouvoir : celui de la presse.” Le ténor du barreau a vite fait de reléguer, ainsi, le pouvoir judiciaire et législatif à de simples “fonctions”. C’est pourquoi, il estime que “la presse n’est pas qu’une affaire de journalistes”.
Et si elle n’est pas non plus “une affaire de juristes”, il estime pas moins que “le cadre juridique actuel est trop restrictif. C’est tellement fermé, contrôlé…” D’une manière générale, pour lui, la liberté est en total “recul” : “On n’a aucun respect pour la liberté, notre bien le plus précieux. Notre amour de l’argent est supérieur à notre amour de la liberté.” Et si cette situation perdure, c’est parce que finalement, selon lui, “le pouvoir-FLN, formé dans la clandestinité, garde toujours à ce jour le culte du secret. Et le personnel politique qui dirige le pays depuis 1962 est le même”. à le croire, nos dirigeants semblent toujours en guerre. Mais seulement en apparence… En effet, revenant à son sujet-fétiche, à savoir l’abolition de la peine de mort, une thématique qui, décidément, lui tient à cœur, Me Brahimi a regretté le “suivisme” de notre pays en la matière. “Notre conduite est aujourd’hui dictée de l’extérieur”, dit-il. L’avocat ne désespère pas, ainsi, de voir l’Algérie supprimer la peine de mort, et devenir, ainsi, le premier arabe à sauter le pas. Il rappellera que la Turquie et le Sénégal sont les premiers pays musulmans à l’avoir fait. Me Brahimi qui voue, notons-le, une grande considération à la presse algérienne, notamment pour ses “sacrifices”, n’a pas omis de rendre hommage, à cette occasion, à de grandes plumes disparues lors de ce qu’il qualifie comme “la décennie rouge”, une période durant laquelle l’Algérie et précisément l’Armée algérienne étaient mises en accusation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité… “Je n’ai aucune honte à le dire, durant la décennie rouge, je me suis rangé du côté du pouvoir. Il fallait choisir entre un danger mortel et une situation qu’on pouvait dépasser”, poursuit-il. Et de rappeler, non sans émotion, le courage de ces journalistes qui ont été assassinés dans l’exercice de leur métier, qu’ils ont défendu brillamment. “D’autres, en sauvant leur peau et leur liberté, ont tout simplement sauvé le pays”, conclut-il.
M.-C. L