Me Farouk Ksentini, président de la commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme au temps d’algérie : «la question des droits de l’homme n’avancera pas sans une justice de haute qualité»

Me Farouk Ksentini, président de la commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme au temps d’algérie :  «la question des droits de l’homme n’avancera pas sans une justice de haute qualité»

Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, devra présenter incessamment son rapport annuel sur l’état des droits de l’homme en Algérie durant l’année 2012. Le rapport en question sera remis au président de la République.

Me Ksentini a tenu à dévoiler dans cet entretien la teneur des observations faites sur le respect des droits de l’homme. Sans ambages, il évoque de nombreuses insuffisances, surtout l’état de la justice et de l’école.

Le Temps d’Algérie : Vous comptez présenter incessamment au président de la République le rapport de votre commission sur l’état des droits de l’homme en Algérie. Pouvez-vous dévoiler les grandes lignes de ce document ? Quelles sont les améliorations et lacunes enregistrées en la matière ?

Me Farouk Ksentini : De manière globale, la situation des droits de l’homme dans notre pays a fait des progrès. Mais, nous considérons que ces progrès ne sont pas suffisamment rapides. Nous évoluons encore lentement dans ce domaine. Ce qui exige du temps et des moyens. Seulement, si l’on doit faire une évaluation objective de l’évolution des droits de l’homme on peut dire que les choses s’éclaircissent et s’améliorent de manière substantielle, notamment à l’occasion des réformes initiées par le président de la République.

La loi sur les associations, la loi électorale et le renforcement des libertés individuelles confirment l’encrage plus important de la démocratie en Algérie. Par rapport aux années 1970, 80 et 90, les choses se sont beaucoup améliorées. Toutefois, il reste à faire encore des progrès. Il s’agit surtout de la justice.

L’Algérie doit se doter d’une justice de très haute qualité, parce que les grands défenseurs des droits de l’homme ce sont les magistrats. La question des droits de l’homme n’avancera pas sans une justice de haute qualité. Cela dépend évidemment de l’indépendance des magistrats. A l’occasion de ce rapport, nous avons demandé un renforcement de l’indépendance des magistrats. Les textes de loi existent dans ce sens. Mais, cette indépendance doit être encouragée et renforcée.

Sur le plan des droits sociaux, il existe une réelle souffrance manifeste des populations, surtout en matière d’emploi, d’accès au logement, aux soins et à l’éducation. Le pouvoir d’achat et l’inflation sont également de véritables problèmes. Nous avons donc demandé au gouvernement de s’emploiyer à réduire cette souffrance sociale et améliorer les conditions de vie d’autant plus que les moyens financiers existent maintenant. Les efforts des autorités en la matière restent insuffisants. L’exemple de l’habitation est très illustratif de l’état des droits sociaux.

L’Algérie a besoin de 2 à 3 millions de logements par an. Seulement, elle ne réalise que 500 000 logements par an. Ce qui fait que le déficit est extrêmement important à combler. En contrepartie, les citoyens sont pressés et ne peuvent pas attendre des décennies pour se loger. L’état de la santé publique laisse à désirer. Il faudrait que des efforts soient faits pour répondre aux attentes des citoyens. Il y va de même pour l’école qui est toujours d’un niveau faible. Compte tenu des moyens financiers mobilisés par l’Etat, l’école aurait pu être meilleure. C’est une réalité amère que nous avons relevée et à laquelle il faudrait apporter des solutions.

De nombreux jeunes manifestent dans plusieurs régions du pays pour réclamer le droit au travail. A défaut de répondre à leur demande, les autorités concernées ont fait appel à la justice. Certains ont été condamnés à des peines de prison. Comment expliquez-vous cela ?

Ce sont des manifestations normales et acceptables. Lorsqu’une population exprime pacifiquement ces droits sans violence, il faudrait considérer cela comme une expression démocratique. Il faut reconnaître seulement qu’il existe des disparités énormes entre le Nord et le Sud du pays. Le Sud manque toujours d’infrastructures et la vie est chère. Cette disparité crée un sentiment de discrimination insupportable chez les populations.

Ce qui est tout à fait normal et leur droit le plus absolu. Il faut venir à bout de ces problèmes. Cela dit, la répression ou la prison n’arrange rien à la situation. Je suis contre la répression. Si on doit les condamner, il faudrait opter pour des peines d’intérêt général ou à des amendes symboliques. Il faut surtout prendre en compte leur demande.

Souvent les ONG internationales épinglent l’Algérie sur les questions de respect des droits de l’homme. Estimez-vous que leurs critiques sont fondées ?

Personnellement, je milite pour laisser entrer les ONG à enquêter sur l’état des droits de l’homme en Algérie. Quand on empêche l’entrée d’une association dans notre territoire, il faut s’attendre à des jugements sévères d’autant plus qu’elle n’a pas les données réelles et vérifiées.

Aussi, elles sont (ONG) souvent sévères à l’égard de l’Algérie pour d’autres raisons, notamment de manipulation. Malheureusement, l’Algérie ne se défend pas et ne communique pas convenablement. Ce qui fait qu’elle est jugée très sévèrement par les ONG. Cependant, il ne faut pas  se référencer aux appréciations et aux jugements des organisations internationales parce que nous savons d’avance que les rapports sont sévères et orientés contre l’Algérie. Les ONG, elles-mêmes, savent qu’elles sont manipulées.

Que pensez-vous de la question de financement extérieur des organisations algériennes ? Est-ce que la nouvelle loi sur les associations est respectée en la matière ?

Les financements extérieurs sont très délicats. Ils peuvent conduire à la manipulation. C’est presque inévitable. C’est pour cela, il faut être très vigilant en ce qui concerne ce type de financement. A mon avis, il faudrait les interdire. Je suis totalement d’accord avec les associations algériennes qui acceptent de s’autofinancer ou de recevoir des financements internes. Aujourd’hui, il existe malheureusement des associations qui reçoivent des financements extérieurs.

Pour des raisons évidentes, je ne peux pas les citer. C’est regrettable, car cela ne sert pas souvent les intérêts du pays. Je pense que l’Etat devrait mettre un terme à cette situation sans la moindre hésitation. Parce qu’il est dangereux et peut conduire à des situations extrêmement néfastes pour l’Algérie. D’où l’intérêt d’encourager le financement intérieur et le contrôle de l’Etat.

Propos recueillis par Farouk B.