Avocat au barreau d’Oran, Me Belkacem Naït Salah traite dans cet entretien l’affaire dite d’El Khabar. Il explique que la démarche du ministre de la Communication, Hamid Grine, n’est pas fondée car, selon la loi, il n’a pas la qualité de plaignant dans une affaire de cessions d’actifs.
Liberté : Le ministère de la Communication a déposé plainte pour annuler une transaction commerciale entre le groupe de presse El Khabar et Ness-Prod. La procédure est-elle légale ? Dans cette affaire, le ministère a-t-il la qualité de plaignant ?
Me Belkacem Naït Salah : Il faut préciser et clarifier la notion de dépôt de plainte. Elle n’est réservée que pour les faits délictuels ou criminels, et ce n’est pas le cas pour cette affaire d’El Khabar. Le ministre a introduit deux instances devant la juridiction administrative qui est une juridiction de droit public. Le système judiciaire algérien se caractérise par la dualité de juridiction : une de droit commun ou on applique le droit privé. Ce dernier régit les relations entre les individus.
Et l’autre administrative où on applique le droit public, parce que l’une des parties est l’État, comme puissance publique, ayant la notion de souveraineté, d’où la question de compétences et de recevabilité de l’instance. Selon le code de procédure civile et administrative, dont les règles sont claires et correctes, la démarche du demandeur, qui est le ministre, est contestable en droit et dans les faits. Parce que la loi a défini les actes qui sont soumis au juge administratif et le pourquoi de la concomitance de la saisine du juge des référés administratif et du fond. Une transaction entre deux parties soumises au droit privé concernant une cession ou acquisition d’actifs ne peut faire l’objet d’une contestation de la part de la puissance publique. En droit, le contrat est la loi des parties, et du moment que le consentement des parties est exprimé d’une manière claire, alors, en quoi le ministère intervient dans une transaction d’ordre privé ? D’où la question d’ès qualités du demandeur et le champ de compétences du tribunal administratif et la question de la recevabilité des deux instances pendantes devant lui. Cette contestation de la qualité du demandeur et de la compétence de la juridiction pousse le juge administratif à résoudre cette problématique par une décision d’irrecevabilité.
La loi organique relative à l’information a prévu une autorité de régulation de la presse écrite. Cette autorité n’est pas mise sur pied ; dans ce cas, le ministre a-t-il le droit de s’y substituer ?
Il est facile de vérifier que la loi organique a instauré une autorité de régulation, qui est une institution indépendante ayant un pouvoir de régulation. Juridiquement, le ministre ne peut en aucun cas s’y substituer puisqu’elle est prévue par la loi organique relative à l’information de janvier 2012. Une loi organique ne peut faire l’objet d’aucune atteinte ni de changement que par une procédure spéciale comme le stipule la Constitution. Cet exercice abusif du pouvoir par le ministre interpelle les consciences et l’autorité de l’État, parce que le ministre ne peut, en aucune manière, se substituer à cette autorité sous n’importe quel prétexte.
Vous affirmez que sur le plan du droit, le ministère n’avait pas à intervenir dans cette affaire, encore moins de la manière dont il l’a fait. Y aurait-il, selon vous, des motivations politiques inavouées ?
Absolument ! Les grands principes du droit algérien interdisent au ministre d’intervenir dans les affaires comme celle qui lie l’entité El Khabar et la société Ness-Prod. Celle-là n’est qu’une transaction commerciale qui se résume à une vente et achat d’actifs soumis au consentement des deux parties au contrat. La transaction a été conclue dans le respect des procédures du code du commerce. Moi, je fais une lecture du droit et des éléments soumis à l’appréciation. Toutefois, il est dommageable que la liberté et le droit d’acquérir des actifs dans une société quelconque fassent l’objet d’un tel vacarme.