Maître Ali Haroun interpellé sur la situation du pays, se livre à nous en toute liberté, à travers l’entretien que voici.
L’Expression: Le président de la République a lancé plusieurs appels pour la constitution d’un front interne uni. Cela dénote de la menace qui pèse sur l’Algérie. Certains partis politique vont à contresens de ce discours. Pensez-vous que le danger soit réel?
Maître Ali Haroun: Je ne pense pas qu’il existe un parti algérien qui veuille du mal à l’Algérie, il voit peut être l’avenir de l’Algérie différemment du pouvoir, mais au fond il est Algérien, il a droit au chapitre. Il a le droit de parler et dire je suis d’accord avec toi, comme j’ai le droit de lui dire tu te trompes, c’est cela la démocratie. Alors ce consensus, on voudrait que tout le monde comprenne l’intérêt global de l’Algérie. Il est difficile maintenant que les positions sont sclérosées, les jeunes disent «pas de discussion avec le système», les autres ne veulent pas discuter avec l’opposition, si elles ne discutent pas avec le système, pour moi, qu’on le veuille ou non, le système existe et l’opposition aussi, ceci dit, il y a des problèmes fondamentaux et des problèmes secondaires. Il est clair que l’Algérie est dans le collimateur des autres pays. Elle est devenue le plus grand pays d’Afrique après la scission du Soudan. Elle a donné un exemple extraordinaire au monde, y compris aux Français et aux Américains. L’Algérie était pratiquement sous embargo politique et économique durant dix ans, elle a lutté contre le fléau de l’intégrisme et le terrorisme seule, et elle est restée debout cela n’est pas donné à tout le monde. Regardez ce qui se passe au Moyen-Orient, en Libye, en Syrie. Nous sommes debout, la République est sauvée. Nous sommes toujours un Etat respectable, oui nous avons des difficultés comme tous les pays; mais nous sommes un Etat respecté, et ça c’est important, et il faut le préserver.
A l’heure de la révision de la Constitution, comment voyez-vous la gestion du pays?
La Constitution a un seul but, qui est de déterminer le modèle de gestion du pays. Il faut d’abord qu’on affirme les grands principes. En premier, l’intégrité du territoire, surtout l’unité intérieure. Je suis foncièrement opposé au discours de certains qui parlent d’autonomie de telle ou telle région. C’est très dangereux, car on commence par l’autonomie et on ne sait pas où ça se termine. Après, il y a les droits de l’individu, et je l’ai dit à Ghozali en 1991, quand il constituait son gouvernement, alors que j’étais en dehors de la scène politique depuis 29 ans, depuis la déception de l’été de la discorde, Ben Bella nous a écartés. Je me disais qu’on avait raté l’indépendance, on aurait pu faire de ce pays un pays merveilleux. Il n’y avait pas eu de consensus à Tripoli, on s’est brisé. Alors je réponds à Ghozali, que oui l’Algérie est libre et indépendante, et souveraine de son destin, mais le citoyen n’a pas de droits. Il n’y a qu’à voir comment il est traité par la police, l’administration, les autorités. Et tant qu’un citoyen vit dans un pays aussi libre soit-il, sans être libre envers son gouvernement, alors ce n’est pas un pays libre et c’est comme cela qu’on a créé le ministère des Droits de l’homme. Nous étions les premiers, l’Algérie devrait s’enorgueillir. Ensuite, il faut déterminer comment gérer le pays. Churchill disait que le système démocratique est mauvais, mais c’est le moins mauvais de tous. Alors, nous ne sommes pas une royauté, nous avons une oligarchie qui est constituée pour diriger le pays, on a été pendant 130 ans dépossédés de la faculté de gérer notre destin, et nous avons payé très cher pour recouvrir ce droit. La voie démocratique, c’est les élections, mais il faut arrêter de truquer les votes, cela ne sert à rien. Tant qu’on trafiquera les élections, et tant que nous avons des potiches à l’Assemblée, on n’avancera pas, il faut des élections libres et claires. Il faudrait que le député représente la voix du peuple. Et non pas désigné par le biais des jeux de têtes de listes. Il obéira dans ce cas aux directives des partis qui l’ont désigné, et ne traduit pas la voix du malheureux électeur.
Comment voyez-vous, ce jeu de représentativité de certains partis, qui n’hésitent pas à diaboliser des contestations populaires pour les retourner contre le système, alors qu’il leur suffit de se préparer pour les échéances électorales et prouver leur poids?
Oui normalement, je suis d’accord avec vous, seulement il faut des élections honnêtes, sinon, on n’aura rien fait, car je vous le dis comme je le pense et je parle des grands partis, au pouvoir ou non, rien ne me prouve qu’ils sont représentatifs de leurs électeurs. Car quand il y a trafic des élections on ne saura jamais la volonté populaire, et le pays doit être géré selon la volonté du peuple. Et ceci est un point sur lequel, normalement un consensus devrait se faire justement. Ce n’est pas impossible, il faut s’asseoir autour d’une table et poser clairement les vrais problèmes. J’ai été invité par M. Ouyahia, durant la consultation pour cette révision. J’ai adressé un rapport écrit, dans lequel j’ai mentionné tous les problèmes graves du pays. Ce rapport a été publié, et j’ai parlé du troisième mandat, j’ai dit que ce n’était pas bon, car la responsabilité d’un pays c’est lourd. Un président qui reste au pouvoir dix ans, au bout il est lessivé. Il faut des capacités d’abord physiques, et intellectuelles énormes, et sur un plan démocratique, il n’existe pas de règne de 10, 20 ou 30 ans. Sinon c’est le pouvoir absolu et héréditaire. Je pense et je peux me tromper, que dans l’entourage du président, certains avaient un intérêt à ce qu’il y soit encore. Il est resté, c’est un choix, je ne le conteste pas. Je lui aurais dit personnellement, mais je ne l’ai pas rencontré, mais je l’ai écrit. Je n’ai de haine pour personne, j’essaie de voir quelle est la meilleure gestion pour notre pays. Et ce sont les minorités qui font l’Histoire, donc une petite minorité convaincue à la tête, elle donne le bon exemple, et je vous rassure, cette minorité on l’aura
Comment entrevoyez-vous l’aboutissement de cette révision de la Constitution?
Vous savez, je suis optimiste, j’ai toujours été optimiste car en dépit des problèmes que nous avons actuellement, la sécurité des frontières, le terrorisme, les prix du pétrole qui baissent, la dépendance aux importations, la situation internationale. La situation n’a jamais été aussi grave, que sous la colonisation. Il faut savoir que nous étions quelques jeunes qui avions défié la troisième puissance mondiale. C’était le désespoir la partie s’était brisée entre messalistes et centralistes, et on ne savait plus quoi faire. Et voila que sort du peuple une frange qui ose dire non, on fait la révolution et on libère notre pays, c’était une magnifique épopée. C’est pour cela que je suis optimiste. Depuis Massinissa, Jugurtha, Firmus il y a eu des héros qui ont combattu pour les intérêts de la nation, l’Histoire le prouve. Dans la même logique, il y aura des héros de votre génération c’est comme ça, parmi vous il y aura des gens qui vont reprendre le flambeau. Qui vont se dire, nous sommes là pour le pays, car se sont les circonstances qui font les héros, et ce ne sont pas les héros qui font l’Histoire. Ceci étant, si il y a sincérité, honnêteté et transparence aux élections, nous auront réglé 80% des problèmes. Par ailleurs, dans la situation politique actuelle, nous n’avons pas besoin du bicaméralisme. Du fait que nous avons un gouvernement central, et non fédéral, nous n’avons pas besoin de Sénat, ce sont les élus locaux qui élisent les sénateurs. Et là où nous avons un réel problème, vous avez un tiers qui est nommé, alors ce n’est pas des élus, alors soyons respectables et respectons la volonté populaire, l’Algérie n’a pas besoin de Sénat. Surtout que ce dernier ne fait pas de proposition de lois, il ne peut pas les amender, je ne vois pas donc la nécessité. Il aurait été intéressant si les sénateurs étaient sur une autre base que celle de la prescription. Des sénateurs élus sur une base de secteurs d’activité seraient plus productifs. Vous aurez des sénateurs qui représenteront l’agriculture, l’industrie, les finances, le commerce. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui où on voit des gens payer des sommes astronomiques pour être sur la liste, ce n’est pas sincère, nous sommes 40 millions, et nous avons 450 députés, c’est trop, aux USA ils sont 350 millions, ils sont 600 députes c’est devenu une sinécure, et puis il faut un règlement intérieur pour le fonctionnement de cette assemblée. Il faut une obligation de présence, j’irai jusqu’à penser à des jetons de présence et les absents ne seront pas payés.
Nous assistons actuellement, à une série de grands procès relatifs aux grands scandales financiers, la corruption, que penser de ces interminables lenteurs judiciaires?
Dame justice est une grande dame, mais qui se meut lentement dans tous les pays du monde.une justice rapide expéditive, n’est pas toujours juste. Un procès n’est jamais aussi simple que l’on croit. Lorsque vous devez juger, défendre, vous verrez qu’il y a beaucoup de choses à préciser, juger un homme c’est très important. Il faut du temps pour réunir le maximum d’éléments qui nous rapprochent de la vérité.
Pour revenir à la corruption, je vous dirait que pour moi, l’origine de la corruption n’est pas économique, mais politique. Lorsque l’Etat algérien s’est constitué en 1962, cela s’est fait sur une corruption. Cette dernière ne portait pas sur quelques milliards, mais sur toute l’Algérie. Je n’ai rien contre Ben Bella, mais durant la guerre il était hors d’Algérie. Il était détenu, arrêté, je l’ai respecté. Et puis voila un monsieur qui devient président de la République, et qui fait une Constitution, vous allez me dire, qu’il a été élu, je vous dirai, que c’est la corruption par les armes. Alors comment voulez-vous que le simple employé qui pense que tel ou tel ministre a spolié en milliards les biens de l’Etat ne soit pas tenté de soutirer 10.000 dinars par-ci ou par-là, c’est la corruption économique. Mais elle a toujours été du haut vers le bas et non le contraire. Ces dernières années, la corruption s’est démocratisée.
Quel est votre regard sur le principe de la liberté du culte?
Cela est très important, car c’est l’une des conditions des droits de l’homme, le Bon Dieu nous a tout donné, la conscience, l’intelligence, la réflexion, Sur un plan religieux, on ne doit de compte qu’à Dieu. Et puis ce droit figure dans la Constitution, alors il faut respecter le droit des autres Algériens qui n’ont pas la même foi. A ce sujet, je peux vous dire que pendant la guerre de libération, il y avait des chrétiens, des catholiques, et même des papes en France, qui ont épousé notre cause, et ils ont fait de la prison. Alors que pour certains ils n’ont jamais vu l’Algérie.
Un mot sur l’officialisation de la langue amazighe?
Je ne vois aucun inconvénient à l’officialisation de la langue amazighe. Ecoutez, je vois autour de moi, que tout le monde a dans son histoire, un grand-père, un oncle, qui est descendu de la Kabylie. Avant l’arrivée de Okba, il y avait les Berbères. Je suis parti a Ouargla, les gens autour de moi parlaient berbère, les noms des parcelles c’est des noms berbères. Il s’agit pour l’officialisation de tamazight, d’harmonisation avec le langage technique de nos administrations, de façon à en faire une richesse et non une source de discorde.