«Je voulais gagner le match du Gabon pour son âme»
Dans cette troisième et dernière partie, Raïs Mbolhi Ouahab revient sur les différentes étapes de sa carrière, les raisons de ses changements de pays, la situation de la sélection nationale, le décès de sa mère avant le match face au Gabon et quelques zones d’ombre de sa personnalité.
Après l’Olympique de Marseille, où êtes-vous allé ?
En Ecosse, à Heart of Midlothian, le club où évolue actuellement Bouzid. C’est un agent de joueurs qui m’avait proposé à ce club. On m’a bien accueilli. C’était ma première expérience à l’étranger et c’était très difficile, tellement difficile que j’ai perdu patience et j’ai quitté le club, après six mois pour aller ailleurs.
Parce que vous n’avez pas pu gagner votre place ?
Oui, parce que je ne jouais pas, surtout que c’est le gardien de but de la sélection d’Ecosse qui était à Heart et je n’avais aucune chance avec lui. J’ai toutefois beaucoup appris de Craig Gordon et de son expérience. Déjà, juste en voyageant, un homme apprend beaucoup. Que dire quand, en plus, il se frotte à de grands gardiens de but comme Barthez et Gordon.
Ne pensez-vous pas que vous avez été malchanceux d’avoir de grands gardiens de but concurrents à l’âge de 20 ans ?
C’est vrai. J’ai croisé de très grands gardiens de but dans la carrière. C’est avec de tels monuments que nous apprenons et progressons. Par exemple, je ne pense pas qu’un gardien de but aura une carrière comme celle de Barthez. Peut-être que c’est à son contact que j’ai atteint ce niveau, bien que j’en sois encore au début du chemin.
Qu’avez-vous appris de lui, par exemple ?
Tout ce qu’on peut imaginer. Personnellement, je rêve d’accomplir une carrière comme la sienne.
Après l’Ecosse, vous êtes parti en Grèce, c’est ça ?
Exactement. Un manager m’avait proposé à un club nommé Ethnikos. L’expérience n’a pas été à la hauteur de mes espérances. J’ai rencontré les mêmes problèmes que dans mes clubs précédents. Ce sont ces souffrances qui m’avaient appris à la patience et la prise de décisions. J’ai tout connu à mes débuts et cela m’a aidé à acquérir de la maturité que j’essaye d’employer à présent.
Avez-vous beaucoup joué en Grèce ?
J’ai joué en deuxième Division avec Ethnikos. J’ai participé à quelques matches, surtout après l’arrivée d’un nouvel entraîneur qui m’a donné ma chance. Je ne l’ai pas déçu. J’étais fier de moi, car je commençais à avoir de la compétition. Ce qui était important pour mes débuts, car rien ne remplace la compétition pour un gardien de but. Après cette expérience, je suis allé directement au Japon.
C’était dans un club de 2e Division, n’est-ce pas ?
Non, je vous rectifie : c’était un club de 3e Division. C’était il y a 3 ans. C’est Philippe Troussier qui m’avait contacté et proposé de le rejoindre dans le club dont il était le directeur technique. J’ai accepté. Je n’avais aucun problème pour jouer au Japon ou partout ailleurs.
Vous avez accepté facilement de jouer en 3e Division, alors que vous avez été formé dans l’un des plus grands clubs d’Europe, l’Olympique de Marseille ?
Oui, sans problème. J’étais en train d’apprendre et, en tant que gardien de but, il me fallait avoir de la compétition. J’avais toujours eu de la malchance et il fallait chercher mon bonheur ailleurs. Le Japon est un pays que j’ai aimé à un point inimaginable. J’y ai beaucoup appris. C’est sans doute grâce à cette étape que j’ai atteint mon niveau actuel et que je suis arrivé en Bulgarie.
Vous avez sans doute joué comme titulaire, n’est-ce pas ?
Effectivement. J’ai joué presque tous les matches avec beaucoup de succès. Comme je vous l’ai dit, je me suis vraiment senti bien au Japon. Le mode de vie m’a beaucoup plu et je m’y suis très vite adapté. Ce n’était pas mon premier club en tant que titulaire, mais mon deuxième car, à Ethnikos, j’ai été souvent titularisé.
Racontez-nous votre transfert au Slavia Sofia…
Je jouais à Ethnikos aux côtés d’un joueur serbe, Pavli Bobara. Alors qu’il était au Slavia, il m’avait proposé à ses dirigeants qui étaient à la recherche d’un gardien de but. Il est actuellement en Roumanie.
Avez-vous fait des essais ou bien avez-vous signé directement ?
Non, je suis passé par une période de tests. Ils ne me connaissaient pas et il fallait que je leur montre ce que je valais et c’est ce que j’ai fait. Ils m’ont testé en match amical et ils ont été séduits. Ils m’ont alors rapidement fait signer.
Que s’est-il passé par la suite ?
Après avoir signé, j’ai été titularisé dès le premier match. J’ai fait une saison pleine.
En général, le premier contrat n’est pas financièrement avantageux, n’est-ce pas ?
En venant en Bulgarie, je cherchais moins l’argent que relancer ma carrière et jouer des matches. Vous savez, l’argent vient tout seul quand on s’impose.
Comment a été la première saison ?
J’ai joué tous les matches comme titulaire. Je ne me suis jamais senti étranger au club. Au fil des matchs, je me suis adapté au mode de vie et j’ai fourni de belles prestations. J’en suis à ma deuxième saison en Bulgarie et je suis satisfait de la façon avec laquelle se passent les choses. S’il n’y a pas un grand club qui se profile à l’horizon, je reste en Bulgarie jusqu’à ce qu’il y ait du concret. Je ne suis pas pressé. Comme je vous l’ai déjà dit, je préfère rester encore 6 mois s’il le faut. Je suis encore jeune.
Comment les choses se sont-elles passées avec votre entraîneur Zaharov qui vous a découvert la première fois (et non pas Mikhaïlov, comme indiqué par erreur dans une précédente édition, ndlr) ?
J’ai tiré profit de sa longue expérience. J’ai vraiment trimé, mais mes efforts ont été récompensés. Je suis satisfait.
Il y avait un problème de communication au départ, non ?
Au début, oui. Il me transmettait ses consignes par l’intermédiaire des joueurs. Cependant, je me suis adapté et j’ai appris la langue. A présent, mon niveau en langue bulgare est très acceptable.
Comment jugez-vous votre première saison avec le Slavia ?
A mon avis, nous avons fait un excellent parcours. Nous n’avons perdu que deux fois seulement en une année. Cela donne une idée sur ce que nous avons fait. Personnellement, je suis très satisfait de cette expérience. Grâce à ce club, de nombreuses portes m’ont été ouvertes, el hamdoullah.
Vous êtes actuellement prêté au CSKA Sofia, l’un des deux plus grands clubs bulgares avec le Levski Sofia. Présentez-le aux Algériens qui ne le connaissent pas…
C’est un grand club qui dispute toujours les compétitions européennes. C’est le club le plus titré de Bulgarie. La chance n’a pas été de notre côté en ce début de saison. Ça ne se passe pas comme nous l’avions souhaité, mais les choses vont s’améliorer.
Même Levski voulait vous avoir et il est actuellement sur vos traces. Le saviez-vous ?
Franchement, je ne suis pas au courant de cela, car mon seul souci est le terrain. Le président du Slavia est le mieux à même de répondre à votre question.
Vous rappelez-vous la première fois que la Fédération algérienne de football vous avait contacté, alors que vous étiez à l’Olympique de Marseille, afin de jouer en sélection de jeunes ?
Ooooh ! Comment ne pas m’en rappeler ? J’avais préparé mon bagage et attendu le moment de partir, mais José Anigo (Directeur sportif de l’OM, ndlr) m’en avait empêché. Je ne sais pas pourquoi. C’était il y a 9 ans. A présent, je joue pour l’Algérie.
Avez-vous pris cela comme une injustice ?
Non, je ne vois pas les choses de cette manière. Cependant, croyez-moi, je voulais du fond du cœur aller en Algérie pour défendre les couleurs de mon pays.
Nous allons vous poser quelques questions sur la face cachée de votre personnalité, si vous le permettez…
Je suis à votre disposition.
Quelle est la meilleure saison réalisée jusque-là ?
Peut-être celle de la saison passée. Même à Marseille, avec l’équipe réserve, j’avais fait un excellent parcours. Cela dit, je ne pense pas avoir fait une saison exceptionnelle l’année dernière car je suis convaincu que je peux faire encore mieux. Certes, j’ai été performant, mais je connais mon réel niveau.
Quel est le meilleur match de votre carrière ?
(Après un long silence, il sourit) Les deux matches que je n’oublierai pas sont ceux que j’ai disputés lors du Mondial.
Avez-vous joué mieux contre l’Angleterre ou contre les Etats-Unis ?
J’ai revu les deux matches et je n’ai pas été très satisfait de mon rendement car je ne regarde pas les aspects positifs, mais plutôt les choses négatives. Quand je revois un match, je fais mon autocritique. Je pense avoir commis quelques erreurs dans ces matches.
Nous avons lu quelque part que vous n’avez pas été bon dans la relance au pied à cause du ballon de la Coupe du monde, Jabulani. Est-ce vrai ?
(Rires) Je vous ai bien dit que certains journalistes écrivent n’importe quoi. La qualité du ballon était peut-être discutable, mais je n’avais aucun problème à sortir le ballon du pied ou de la main.
Justement, votre opinion sur le Jabulani ?
Il crée des difficultés supplémentaires au gardien de but. Cela dit, il n’y a pas que M’bolhi qui a joué avec ce ballon. C’était le même ballon pour tous les joueurs et les gardiens de but. Donc, pas d’inquiétude à ce sujet.
Quelle a été la pire saison dans votre carrière ?
J’étais dans l’équipe de l’Olympique de Marseille U16. Nous avons perdu un match 5-0. C’est mon plus mauvais souvenir.
Avez-vous joué longtemps pour les équipes de Frances de jeunes ?
5 ou 6 fois. Je ne m’en rappelle pas très bien.
Qu’avez-vous ressenti en portant le maillot de la France ?
J’étais heureux de jouer pour l’équipe de France car cela voulait dire que j’étais parmi les 22 ou 23 meilleurs footballeurs de mon âge dans le pays. C’était la seule source de mon bonheur. Après cela, j’ai fait le choix évident, celui de l’Algérie.
Quel a été votre sentiment en écoutant l’hymne national algérien être entonné durant la Coupe du monde ?
C’était un moment émouvant qui ne s’oublie pas, surtout en Coupe du monde. Certains pourraient penser que ce n’est rien, mais j’avais ressenti tout mon corps frissonner.
Peut-on connaître votre niveau d’études ?
J’ai arrêté les études à l’issue de ma troisième année au collège, après seulement 9 ans de scolarité.
Etes-vous marié ?
Non, je suis célibataire.
A quand le mariage ?
Peut-être bientôt.
Je vous cite des noms et vous commentez par un seul mot. Paris ?
92.
Marseille ?
L’OM.
Olympique de Marseille ?
Spinosi.
CSKA ?
L’Europa League.
Slavia ?
Le décollage.
L’Algérie ?
Le cœur.
Ziani ?
Un grand joueur.
Kadir ?
(Rires) Un grand joueur.
Ghezzal ?
(Il rit aux éclats) Je veux rectifier pour Kadir pour dire : un ami. Quant à Kader (Ghezzal), c’est également un ami… Non, non ! Attendez un peu… Quel mot pour le qualifier ?… Mettez : Kader, c’est la famille.
Chaouchi ?
Un excellent gardien de but.
Votre club préféré en Algérie ?
Je ne connais pas et ne suis pas le championnat d’Algérie. Peut-être le club de Maghnia, la ville de ma mère, s’il y a un club là-bas.
Il y en a même deux : l’IRB Maghnia et la JS Maghnia.
Alors, les deux.
Avez-vous suivi les matchs de l’Algérie qualificatifs à la Coupe du monde ?
Evidemment ! Je les ai suivis le match sur les nerfs, car je suis Algérien avant tout. J’étais très heureux, car nous nous sommes qualifiés (il l’a dit au pluriel, ndlr) aux dépens de l’Egypte.
Vous êtes quand même malchanceux, puisque vous n’avez pas encore gagné avec les Verts…
On ne peut pas gagner à chaque match. Actuellement, nous traversons une mauvaise période au sein de la sélection. Tout le monde doit se mobiliser et prendre ses responsabilités. Nous ne sommes pas encore éliminés et nous nous qualifierons inch’Allah. Ce serait très bien de se qualifier après avoir galéré.
Pensez-vous que votre première victoire, ce sera face au Maroc ?
Pourquoi pas avant, en matchs amicaux ?
Avez-vous joué aux côtés de joueurs algériens dans votre carrière ?
Non, excepté Khelifia dont je vous ai parlé.
Le décès de votre mère, que Dieu ait son âme, a-t-il été un moment douloureux dans votre vie ?
C’était une période très dure pour moi. J’ai tenu à jouer le match contre le Gabon pour son âme, voilà tout. C’est vrai que j’étais sous le choc, car elle était le pilier de la famille et toute ma vie, mais ainsi va la vie. Il y a des gens qui meurent et d’autres qui naissent. On ne peut pas changer le cours de la vie.
N’avez-vous pas été affecté lors du match du Gabon ?
Je suis rentré dans le match concentré à 100 %. J’ai oublié ce drame pour essayer de gagner. C’est un moment très douloureux à chaque fois que j’y repense (il est visiblement très affecté)… J’ai joué pour elle, mais nous avons malheureusement perdu.
Avez-vous des amis ?
J’en ai, mais ils ne sont pas nombreux.
Quel est votre ami le plus intime ? Est-il footballeur ?
Mon ami le plus cher est Therry Racon, actuellement professionnel en Angleterre (à Charlton, ndlr).
Avez-vous des rapports avec le joueur de Manchester United, Patrice Evra ?
Je ne le connais pas bien.
En marge d’un match amical disputé par la France à Tunis, il nous a déclaré vous connaître et a dit que vous étiez un bon gardien de but…
C’est parce que je me suis entraîné à Manchester United durant trois jours et il m’avait facilité la tâche et je l’en remercie. Mais je ne le connais pas personnellement. C’est un grand joueur et il n’est pas facile d’être capitaine de l’équipe de France.
Un message au peuple algérien ?
Je lui dis que nous sommes aujourd’hui dans une position difficile, mais nous avons besoin de son soutien. Inch’Allah, nous nous qualifierons pour la CAN et nous partagerons ensemble des moments de bonheur.
Promettez-vous la qualification au public ?
Je ne promets rien, car je ne peux pas prévoir ce qui pourrait se passer. Mais je peux dire que nous ferons tout pour décrocher la qualification. Nous ne ménagerons aucun effort afin de redonner de la joie aux Algériens.
Qu’avez-vous à ajouter au sujet de la sélection nationale ?
Que dire de plus ? Nous avons tout dit dans cette interview, non ? L’essentiel est la qualification. Peu importe la manière. Je demande à tout le monde de ne pas excercer sur nous de la pression, car tout le monde en Algérie parle et donne son avis et cela est mauvais. Le peuple algérien a le droit de dire ce qu’il pense, mais il y a des gens qui devraient savoir comment agir dans ce contexte. Je ne donne pas des ordres, je ne fais que donner mon point de vue. Il y a des journalistes qui parlent trop et exercent ainsi une grande pression sur nous.
Mais la critique est nécessaire, surtout que la sélection appartient à tout le peuple…
Je suis d’accord avec vous, mais dans des situations difficiles, tout est compté. Nous n’avons pas besoin de pression supplémentaire. Qu’on nous laisse en paix pour que nous puissions nous qualifier !
Puisque vous ne lisez pas les journaux, de quoi avez-vous peur ?
Mes coéquipiers les lisent.
De plus, vous êtes des footballeurs professionnels, non ?
C’est justement ça : nous sommes professionnels et c’est à nous de trouver le moyen de réagir dans de telles situations. Inch’Allah, inch’Allah, inch’Allah (il l’a dit trois fois, ndlr), nous nous qualifierons. Ce n’est pas une promesse, mais une chose pour laquelle nous allons nous sacrifier, car le bonheur des Algériens nous est très cher. Nous les avons habitués aux joies ces deux dernières années et nous ne devons pas les décevoir. La sélection ne doit pas se contenter d’une participation à une Coupe du monde. Nous ambitionnons d’aller encore plus loin. C’est pour cette raison que je dis qu’il y aura de la joie inch’Allah.
Merci Raïs de nous avoir offert l’opportunité de réaliser cette longue interview.
Il n’y a pas de quoi.
Surtout que nous redoutions, au départ, que vous refusiez de nous accorder une interview, du moment que vous avez boycotté tous les journalistes…
Non, pas du tout. Je suis quelqu’un de bon, croyez-moi, mais je répète pour la troisième fois que j’aime rester dans mon coin. Je n’aime pas faire du bruit ou attirer l’attention. Je suis très réservé, un homme vivant dans l’ombre. Je vous demanderais juste une chose.
Laquelle ?
Que cette interview soit reproduite fidèlement. Je ne mets pas en doute votre crédibilité, mais je tiens à ce que soit écrit uniquement ce que j’ai déclaré.
Nous nous y engageons.
Merci de votre intérêt et de vous être déplacé jusqu’ici pour moi. Cela rend fier, vraiment. Je vous souhaite beaucoup de succès.