Mawlid ennabaoui , Est-ce normal que nous fêtions le Mawlid?

Mawlid ennabaoui , Est-ce normal que nous fêtions le Mawlid?

Le bonheur n’est finalement pas nécessairement électronique. Le Mawlid ennabaoui était une de ces belles occasions que l’on fêtait en famille.

Le Mawlid Ennabaoui revient cette année aussi et nous trouve comme il nous avait laissés l’année passée. Dans le même intervalle d’espace. Dans le même segment de temps. Avec les mêmes problèmes et les mêmes peines. Toujours portant le fardeau de nos éternelles questions et traînant, pour l’éternité, notre quête d’une vie meilleure que nous ne savons ni où chercher ni même comment l’approcher. Le Mawlid Ennabaoui, au lieu d’être un simple moment de commémoration sans profondeur des évènements, devrait être d’abord, un grand moment de remémoration des sens et des portées et une occasion pour nous de tirer les enseignements qui s’imposent.

Chaque année, c’était la même chose

Depuis que nous étions enfants, nous aimions voir arriver ce jour du Mawlid Ennabaoui. Tant pour les bougies que nos mères allumaient dans chaque pièce, dès la tombée du crépuscule, que pour les jeux nocturnes auxquels nous nous adonnions. A l’époque, il n’y avait pas encore de pétards, ni des feux d’artifice et la majorité d’entre nous allumaient un bout de bougie dans une boîte de conserves que l’on prenait soin de trouer au fond pour assurer l’arrivée de l’air si utile au feu. Avec ces boîtes, nous courrions longtemps avant de nous lancer, une fois le bout de bougie consommé, dans d’autres jeux dont celui qu’on préférait était la «ghomayda». A l’époque, nous n’avions ni télévision, ni tablettes électroniques, ni consoles vidéo, ni appareils photos incorporés dans des smartphones, mais nous étions heureux. Beaucoup plus heureux en tout cas que semblent l’être les enfants d’aujourd’hui en dépit des tonnes de pétards qui se déversent sur le marché malgré leur interdiction à la vente, et en dépit des quantités incroyables de variétés de feux d’artifice que l’on trouve aujourd’hui sur les étals et, le plus souvent, à même le sol. Le bonheur n’est finalement pas nécessairement électronique. Le Mawlid ennabaoui était une de ces belles occasions que l’on fêtait en famille. Les plus âgés d’entre nous et nos parents nous parlaient de l’évènement à l’occasion mais, à cet âge, nous ne comprenions pas réellement.

Un peu plus tard, ceux qui parmi nous commençaient à aller à la mosquée commençaient à entendre les prêches conçus spécialement pour cette nuit. Entre la prière du Maghrib et celle d’El Icha, l’imam tenait un court prêche de circonstance. Dans ce discours, généralement, il racontait la vie du Prophète Mohamed (Qsssl) depuis sa naissance, en passant par son allaitement par Halima Essa’adiya et le célèbre épisode de l’ange qui vint le voir à cet âge pour, disent certains, «lui purifier le coeur». La mort de sa mère Amina, sa protection par son oncle Abu Talib, ses voyages avec la caravane lorsqu’il était employé par Khadidja qu’il épousa par la suite, la révélation au «ghar Hira», et tous les autres évènements jusqu’à la hijra puis le retour à La Mecque victorieux sont racontés avec force et détails. Ensuite, on avait droit à une partie du discours d’adieu (khotbat el wada’a) qu’il prononça au mont Arafat et l’on terminait toujours ce prêche en nous racontant sa mort.

Chaque année, c’était la même chose. Le même prêche, le même discours. Les mêmes noms revenaient, les mêmes évènements souvent dits et redits par les mêmes personnes. Nous étions jeunes et nous aimions entendre et entendre à nouveau. Cela nous faisait certes une impression du déjà entendu mais, lorsqu’on a l’âge que nous avions, surtout dans une mosquée, on écoute… religieusement!

Il est temps de fêter le Mawlid autrement

Le temps est passé. Beaucoup de temps est passé. Cela fait pour certains d’entre nous près d’une soixantaine d’années depuis qu’ils ont entendu ce discours pour la première fois et depuis qu’ils l’entendent chaque année à l’identique et au pareil. Lors de la commémoration de la fête du Mawlid Ennabaoui en 2014, rien ne laisse croire que l’on cessera de reprendre les mêmes thèmes et les mêmes termes que ceux utilisés depuis quinze siècles. Force est de constater que, et c’est la conséquence directe de cette reprise à l’identique du discours, les gens ne s’intéressent plus tellement à la fête du Mawlid ennabaoui. À la mosquée, il en est certains qui n’écoutent plus. Les débuts de soirées consacrées aux récompenses aux enfants qui apprennent le Coran ou aux adultes ayant appris les hadiths ne changent rien à la donne depuis longtemps. N’est-il pas temps de fêter cet événement autrement?

Si Mohamed (Qsssl) était parmi nous…

Lorsqu’on fait le bilan de toute une vie passée à fêter le Mawlid Ennabaoui, on est stupéfait de constater que rien n’a évolué. Que nous en sommes toujours au point de départ. Est-ce une fatalité pour les musulmans que de patiner et faire du surplace? Si une vie entière à fêter le Mawlid n’a pas suffi à faire de nous une société économiquement développée et socialement et culturellement en avance, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Des trois choses, l’une! Soit c’est cette religion qui aurait pour caractéristique de maintenir les sociétés qui l’adoptent dans le sous-développement économique, social et culturel, soit c’est nous qui ne sommes pas faits pour être développés comme certaines nations, soit alors c’est notre compréhension de notre religion et du discours de Mohamed (Qsssl) qui serait erronée.

Nous savons tous, et même les détracteurs de l’Islam le savent, cette religion n’est en rien pour le maintien du sous-développement. Elle est, au contraire, venue affranchir les hommes et les nations pour les propulser vers les voies du progrès comme elle l’a déjà fait par le passé lorsque les hommes avaient su la comprendre et la vivre. De fait donc, la première possibilité est écartée. Par ailleurs, il n’y a rien ni personne qui puisse affirmer que nous soyons inférieurs aux autres sur aucun plan. Les autres ne sont ni plus intelligents que nous ni plus entreprenants ni même plus doués. Le bon sens et l’intelligence sont si bien répartis sur terre que prétendre le contraire serait faire preuve d’ignorance. La seconde hypothèse se trouve elle aussi écartée de fait et ne reste que la troisième, celle qui stipule que nous ne comprenons pas correctement notre religion.

C’est, en fait, ce qui correspond à notre réalité. Depuis que certains d’entre nous ont entrepris de réduire notre religion à une gandoura et à des poils de barbe, nous avons entamé notre plongeon dans l’absurde. Depuis que d’aucuns, ignorants pour la plupart, se sont mis en tête de restreindre la religion à leur intelligence limitée et à leur permission douteuse, nous avons commencé la chute dans l’abîme de l’inconcevable!

Que savons-nous en réalité, de notre religion? Rien sinon ce que d’autres veulent bien nous en dire. De nos jours qui dit Islam, en Occident, dit terrorisme, dit problèmes, dit voile, dit «nisf sak», une barbiche et tout cet ensemble de choses insignifiantes et superficielles qui marquent un comportement plus superficiel encore. Où sommes-nous donc allés chercher cette perception de la religion?

Mohamed (Qsssl) était autre. Il était bien différent de ce que veulent nous faire croire certains aujourd’hui. Et ses compagnons et contemporains ont toujours insisté dans les descriptions qu’ils ont données de lui sur ses valeurs, sur sa morale, sur son comportement et, par-dessus tout, sur sa tolérance vis-à-vis de l’autre et sur son amour de son prochain. Où en sommes-nous aujourd’hui sur ces plans?

Nos valeurs n’ont jamais cessé d’être dissoutes dans les attraits terrestres passagers et elles ont carrément été égarées par la poursuite des ersatz d’une modernité vide de sens et aux contours indéfinis. Notre morale est plus que douteuse tant dans nos relations entre individus que dans celles plus élevées entre pays musulmans. Notre comportement est fonction des intérêts et nous sommes plus intolérants que jamais les uns envers les autres. Nous ne savons plus vivre ensemble, nous ne savons même plus mourir ensemble. Il n’y a qu’à voir nos cimetières séparés, nos mosquées séparées, nos quartiers séparés… Pour rester en Algérie, à lui seul, le problème qui secoue Ghardaïa ces jours-ci est suffisamment révélateur de notre éloignement de notre religion et de notre Prophète (Qsssl). Mais, bien sûr, il n’y a pas que cela!

Toutes les tueries qui ont fait des milliers de victimes lors des années de feu que nous avons vécues dans notre chair, toutes les injustices dont ne cessent de se plaindre les Algériens depuis l’aube à la tombée de la nuit, tous les torts subis par chacun de nous à tout moment de sa vie sont des symptômes d’une vie qui est plus éloignée encore qu’on le pense du chemin voulu par Mohamed (Qsssl). Et si telle est la situation, avons-nous encore moralement le droit de nous revendiquer de cet homme immense à qui Dieu a révélé sa religion? Suffit-il d’organiser des concours de «tartil» du Coran chaque année pour être convaincu que nous sommes de vrais musulmans? Est-ce suffisant de s’abstenir de manger durant le mois de Ramadhan pour se proclamer musulmans? Suffit-il de se laisser pousser une longue barbe pour s’élever dans les rangs des mérites? Ou bien une gandoura est-elle suffisante pour nous faire un retour dans le temps de 15 siècles? Est-ce suffisant d’aller au pèlerinage pour se proclamer d’une pureté qualifiante?

Franchement, si Mohamed (Qsssl) était parmi nous, il nous aurait sans doute tenus éloignés de lui. Et il aurait raison! Nos cheikhs qui ne connaissent rien à la religion sinon le farfelu qu’ils importent on ne sait d’où et qui, en plus, font de la fetwa leur triste gagne-pain, nos responsables qui ne craignent pas Dieu dans leur manière de gérer le pays et qui ajoutent à la peine de leurs concitoyens, nous-mêmes dans nos rapports les uns aux les autres et dans celui à notre pays… rien de tout cela ne peut se prétendre de Mohamed (Qsssl).

La fête du Mawlid Ennabaoui est une halte pour les uns et les autres. Et tant qu’elle nous sert surtout à préparer la «chakhchoucha» ou le couscous alors qu’elle devrait, en principe, nous permettre de nous interroger sur ce que nous avons accompli par rapport aux enseignements de Mohamed (Qsssl), elle ne sera qu’une date comme une autre. Comme un simple 3 mars ou un 7 février, voire un 48 juin. Sans grande signification et sans conséquences.

Tant que…

Tant que cette fête sert à d’aucuns pour venir raconter des bêtises au nom d’un Islam qu’ils ne connaissent qu’à travers leur indigence d’esprit et tant que des victimes de crises incompréhensibles de religion continuent à évaluer leur appartenance à la nation de Mohamed à travers leurs poils, nous ne risquons pas de faire un pas, un seul pas, en avant. Tant que notre degré de religiosité se mesure à la distance que nous maintenons entre les jambes lors de notre prière et tant notre pureté se conçoit au nombre de fois que l’on utilise le siwak avant d’entamer la «takbirat el Ihram», nous n’avons pas le droit de nous revendiquer de Mohamed (Qsssl)! Tant que nous n’avons compris de la religion de Dieu que ce qu’elle ne contient pas et tant que chacun de nous se croit apte à faire de la «da’wa» même lorsqu’il ne sait pas encore lier ses lacets, nous n’avons pas le droit de nous revendiquer de Mohamed (Qsssl)! Tant que la mystification nous sert d’argument, tant que chacun de nous se croit détenteur de la vérité absolue, tant que nul n’accepte l’idée de l’autre, nous n’avons pas le droit de nous revendiquer de Mohamed (Qsssl)! Nous pouvons fêter le Mawlid Ennabaoui chaque année si nous le souhaitons, chaque mois et, pour ceux qui le peuvent, même chaque jour. Cela ne servira à rien, absolument rien si ces fêtes ne sont que festins, réjouissances et ripailles!

Fêter le Mawlid Ennabaoui c’est d’abord se rappeler qui fut le Prophète Mohamed (Qsssl). C’est aussi se demander pourquoi il a été envoyé par Dieu. Lorsqu’on ne comprend rien à la religion de Mohamed (Qsssl), on se contente, certes, de raconter sa vie et ne faire que cela chaque année. On mettra l’accent tantôt sur un épisode de sa vie et, tantôt, sur un autre et, avant même que les fidèles aient quitté la mosquée, ils auraient oublié ce qu’ils avaient entendu comme cela se passe depuis que nous nous rappelons avoir entendu ces prêches la première fois. Lorsqu’on est un peu mythomane, rien ne nous empêche aussi d’exagérer certains aspects «prétendus» de sa vie pour le «rehausser» aux yeux des uns et des autres, ignorant que, ce faisant, nous lui portons atteinte plus que tout autre. Rien ne nous empêche d’ajouter des épisodes, de chercher des hadiths rares, surprenants, parfois désarçonnant même, pour épater peut-être, ou dans la perspective d’aider à «le faire aimer» plus… chacun conçoit la «da’wa» à sa manière et c’est la première perte de notre nation!

Il suffit de se rappeler ce que fit «Nouh ibnou abi Meriem» et qui lorsque certains allèrent lui demander pourquoi il avait menti en ajoutant des hadiths qui n’existaient pas, eut cette phrase incroyablement étonnante «je n’ai pas menti contre lui mais à son avantage». Non, l’Islam n’a pas besoin qu’on le soutienne à coups de mensonges, tout comme il n’a pas besoin d’ailleurs que des ignorants incapables se mêlent de ses affaires en s’adonnant à la da’wa ou à la fetwa. Il a juste besoin que ce genre s’écarte de son chemin, ce serait lui rendre service.

De même, Mohamed (Qsssl) n’a pas besoin qu’on mente pour montrer son chemin, ou pour dire sa grandeur. Mohamed (Qsssl) n’était qu’un humain. Prophète sans doute, mais humain d’abord! C’est d’ailleurs ce qui ajoute à sa grandeur et à l’immensité de ce qu’il avait accompli. «Mohamed, n’est qu’un prophète qu’ont précédé d’autres prophètes. Vous retournerez-vous sur vos pas s’il venait à mourir ou à être tué?» (Al Imrane, verset 144). Malheureusement, et à bien réfléchir, ce verset nous semble adressé plus qu’à ceux qui côtoyaient Mohamed (Qsssl). Nous avons rebroussé chemin pour nous consacrer au futile et nous adonner à l’ignoble. Nous avons perdu l’amour de la patrie pour l’amour de nous-mêmes et nous avons échangé la foi en Dieu contre celle en l’argent et en tous les brillants d’une vie incroyablement délétère. Est-ce normal, après cela, que nous fêtions le Mawlid Ennabaoui?