Master Class de Ahmed Bedjaoui au CNCA : Hommage à Degga et processus de production d’un film

Master Class de Ahmed Bedjaoui au CNCA : Hommage à Degga et processus de production d’un film

Fadila Djouder

Le Centre national de la cinématographie et de l’audiovisuel (Cnca) a organisé, avant-hier, dans le cadre de ses Master Class, une conférence sur le thème «Du scénario à la post production : les étapes oubliées», animée par Ahmed Bedjaoui en présence d’une assistance nombreuse, composée d’étudiants de différents instituts d’audiovisuel d’Alger et d’amateurs du septième art.

Avant de débuter son intervention, Ahmed Bedjaoui a voulu tout d’abord dire quelques mots à la mémoire du comédien et acteur Aziz Degga, décédé vendredi dernier. «J’ai une pensée pour Aziz Degga. Les gens l’ont découvert grâce au film «Omar Guetlatou» dans le rôle de Mouh Smina, où il a été magistral. Je suis très heureux pour lui qu’il ait pu être intégré à ce film où il a réussi à donner une dimension réaliste à l’histoire fictionnelle au point où on ne sait pas si c’est un documentaire ou une fiction», a-t-il déclaré. Il poursuivra son témoignage en soulignant qu’«Aziz Degga était le fils de la capitale et de la sphère culturelle. C’était quelqu’un qui nous connaîssait tous.

D’abord, il a été animateur à la Cinémathèque d’Alger, avec un sens de la communication sociale qui a été énorme. Il continuait à animer et à débattre avec les gens même dans les couloirs». Il ajoutera qu’«il remplissait cette univers qui allait du Théâtre national, dont des one man shows mémorables, et également, à la Cinémathèque. De moudjahid, il est passé de la faculté, qui était un espace où vibraient les gens et où se rencontraient les artistes comme Issiakhem et Zinet. Aziz Degga faisait partie de ce bouillon de culture et il était important, au même titre que Momo, comme un des symboles culturels de la capitale ».

Selon Ahmed Bedjaoui, «heureusement que Degga a eu un début et une fin brillantes. Toutefois, je regrette que les comédiens comme lui, à l’exemple de Athmane Alliouet, aient été sous-utilisés. Le théâtre et le cinéma algériens sont passés â côté de grands noms et ce n’est qu’après leur mort qu’on mesure l’immensité de la perte de tels talents».

Revenant à la thématique choisie cette semaine, Ahmed Bedjaoui a voulu prendre comme exemple le film «Bab El Hadid», du défunt homme de cinéma égyptien Youcef Chahine. Il souligne, en avant-propos, l’importance de la transmission intergénérationnelle tout en laissant les jeunes explorer des chemins différents et accomplir leur propre destin. «Je pense que ma génération devrait dégager rapidement et laisser les jeunes prendre la relève», a-t-il estimé. Puis, il s’est adressé aux présents en leur disant : «Si on peut vous apporter quelque chose, une expérience, vous prenez ce que vous voulez et jetez ce dont vous n’avez pas besoin.»

Par ailleurs, M. Bedjaoui avouera que «dans le cinéma algérien, il y a eu de grandes choses qui ont été faites, mais, il y a aussi des défaillances et des manques. C’est ce que l’on peut analyser pour voir ce qui a fonctionné et où sont les dysfonctionnements. A l’avenir, cela contribuera pour que cela puisse marcher, en observant les étapes oubliées. Il est aussi important de voir quel est l’avenir du cinéma dans cette nouvelle Algérie qui est vouée à la liberté d’agir et d’entreprendre».

«Bab El Hadid, la gare centrale», un film unique dans le monde arabe

Les présents ont ensuite assisté à la projection de quelques extraits du film «Bab El Hadid, la gare centrale» de Youcef Chahine, sorti en 1958. «C’est pour moi, un film unique dans le monde arabe. Il a réussi à entrer dans les cent grands classiques de l’histoire du cinéma mondial. Ce film s’est imposé dans la vie de Chahine comme un joyau à part», expliquera l’orateur. Il a choisi de projeter le pré-générique et les 20 dernières minutes du film, «cela montrera comment un film pourrait être complètement maîtrisé».

Il a expliqué les moindres détails de la réalisation du film, en revenant sur les personnages, le scénario et le montage. Ahmed Bedjaoui reviendra ensuite sur la vie intime du défunt homme de cinéma et l’impact que cela a eu sur son cinéma en confiant ainsi que «lorsque Chahine était sur un lit d’hôpital et croyait qu’il allait mourir, il a décidé de mettre fin à son mariage qui a duré 40 ans, avec la femme qui l’a supporté durant toutes ces années. C’est de là qu’il a décidé de faire le film «Alexandrie pourquoi ?» où il a affiché au grand jour son homosexualité. Brisant les tabous avec beaucoup de talent, il a raconté dans ce film l’interdit et la pression sociale sur les homosexuels. C’est ce qui fait la grandeur du film».

En marge de la rencontre, Ahmed Bedjaoui nous fera part de son constat sur la situation du cinéma en Algérie, en déclarant : «Je ne veux pas donner un jugement définitif car le cinéma algérien a fait énormément de choses et rarement connu des films mauvais. On a de grands films, des films de bonne qualité.». Enchaînant que «l’une des spécificités du cinéma algérien est la grande créativité de ses cinéastes». Il dira aussi que «nous produisons cinq à sept films par an, alors que d’autres pays à côté font vingt-cinq films. Mais nous, sur les sept, nous aurons quatre qui seront très bons et eux, ils ont seulement tous les cinq ans un bon film. Notre problème est que n’avons pas de scénaristes et nous avons perdu les salles de cinéma.

Donc le public n’est pas là pour juger des films, ce qui fait de ce dernier un cinéma virtuel», or «ces films coûtent de l’argent, payé par les pouvoirs publics. Les citoyens peuvent exiger de voir ces films, or ce n’est pas le cas». D’autre part, M. Bedjaoui estimera que «nous n’avons pas d’industrie cinématographique. Nous commençons à peine à avoir des éléments et quelques structures pour la post production. Il faut que le cinéma algérien se rende indépendant de l’industrie étrangère et des équipes techniques étrangères, car nous sommes en train de faire la richesse du cinéma d’autres pays de la Méditerranée ». Selon lui, «la seule solution est de prendre des risques, et prendre, par exemple, des assistants comme on le faisait avant».

Ahmed Bedjaoui constatera et recommandera en conclusion qu’«aujourd’hui, nos négatifs sont à l’étranger, ce qui fait que nous sommes dépendants d’eux. Notre problème est que nous pouvons lister nos films, mais nous ne pouvons pas dire que nous avons un cinéma national avec des structures élaborées où les gens viennent et donnent leur avis. Pour cela, il faudrait une industrie pour fabriquer ces films pour être indépendant. A la limite, il devrait y avoir des loueurs de matériels, comme c’est le cas dans beaucoup de pays».