On dit que le 8 Mai 1945 était jour de marché. A Sétif, Guelma, Kherrata, et bien d’autres villages et douars du Constantinois, des manifestations ont été organisées pacifiquement pour dénoncer la tromperie française.
Mais le face-à-face avec l’armée dérape très vite : un drapeau algérien flotte, un coup de feu est tiré, puis le massacre…Durant plusieurs jours, des femmes et des hommes sont tués, des avions bombardent à l’aveuglette des villages entiers.
Lorsque l’Europe entière fêtait la victoire sur les nazis, lorsque le monde s’est cru débarrassé de la tyrannie hitlérienne, un peuple épris de liberté et de justice pensait qu’il allait enfin fermer la parenthèse de plus d’un siècle de colonisation.
On pensait naïvement qu’en secondant l’armée française, on allait enfin négocier notre indépendance. Quand le peuple avait décidé de réagir, de Gaulle répondit par la force contre les Algériens au nom de «faire respecter la France». Heureusement que le calendrier universel nous rappelle chaque année les sanglantes dates du 8 Mai 1945, du 20 Août 1955, du 17 Octobre 1961.
Est-il encore trop tôt de demander à la France une repentance ou du moins une reconnaissance des crimes perpétrés il y a 65 ans contre la population algérienne? Apparemment, et à en croire les officiels français qui tergiversent encore sur la question, un retour à la normale et une probable reconnaissance nécessitent d’abord que la génération de Novembre 54 se taise et disparaisse, effaçant derrière elle toute trace des génocides perpétrés.
La politique et l’Histoire se confondent tout en arguant hypocritement cet interminable slogan : «laissons l’histoire aux historiens».
Or, pour justement éteindre le feu de la discorde entre les deux pays, ne faut-il pas réfléchir et œuvrer ensemble pour bannir les dérapages, en reconnaissant et en enseignant la vérité et non pas en la maquillant de tromperies qui durent depuis 65 ans ?
45 000 morts recensés du côté algérien, moins de 6 000 reconnus par les Français, cette bataille des chiffres concernant le nombre des Algériens et des Algériennes tués serait, une fois pour toutes,tranchée si l’Etat français éclairait tout le monde en ouvrant les archives.
De quoi a-t-on peur ? Le mal est fait et les dommages sont connus, mais comment faire oublier les souffrances de ces gens tabassés, humiliés et assassinés parce qu’ils ont osé réclamer leur droit ? Comme si ça ne suffisait pas, on ravive les vieux souvenirs, les vieilles douleurs : d’autres voix éraillées, saccadées et discordantes s’élèvent et se donnent la ridicule prétention de condamner une œuvre cinématographique qui porte sur les évènements du 8 Mai 1945.
Il s’agit en fait de l’agitation stérile qui entoure le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb qui sera présenté au festival de Cannes. Les défenseurs d’une nostalgique «Algérie française» sont en perte de vitesse, rien ne calmera leurs excitations et leurs maladresses.
Aujourd’hui en France sur la scène politique les amalgames se succèdent : la question sur l’identité nationale, les affiches du Front national portant atteinte au drapeau algérien…etc. Le dernier dérapage concerne cette fois-ci le film Hors-la-loi. Lionnel Luca député UMP répète à l’envi que ce film s’inscrit « dans un esprit négatif et négationniste ».
Combien de films, de romans ou de tout autre œuvre artistique sortent chaque année pour nous rappeler les atrocités commises par les nazis contre les juifs ? Personne ne trouve à redire, personne ne condamne, personne n’y voit qu’on en fait trop, mettez des doutes sur les chiffres de l’holocauste et vous serez taxés d’antisémite.
Avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-dire avant que les acteurs de ce douloureux épisode du 8 Mai 1945 ne disparaissent à jamais, que leurs voix et leurs témoignages ne s’éteignent et ne se figent seulement dans des écrits, qu’on les écoute enfin et qu’on en tire de vraies leçons d’Histoire.
Kais Benachour.