Nichée au pied du mont de Sidi Mimoun qui culmine à 1.646 m, à la naissance de la chaîne des Babors, Beni Aziz, charmante cité de 20.000 habitants, subjugue immédiatement le visiteur lorsqu’au détour d’un virage, elle apparaît toute riante dans un écrin de verdure, offert entre les lacis de l’oued Bourdim, étonnamment limpide, et l’éclat éblouissant de l’azur. Il est difficile de réaliser, aujourd’hui, qu’il y a 66 ans, ce petit paradis qu’est Beni Aziz au printemps, a été le théâtre, du 8 mai jusqu’au mois de juillet 1945, d’un massacre à grande échelle, prenant les proportions d’un génocide. Un enfer avec sa cohorte de tueries, de viols, d’enfumades et d’exactions hystériques, commises par la soldatesque coloniale, ses corps auxiliaires et les milices déchaînées.
Des témoins des massacres du 8 mai 1945, il n’en reste plus guère dans ce chef-lieu de daïra situé à une soixantaine de km au nord de Sétif.
Une commune que l’administration française avait affublée du nom de Chevreul et où l’on avait dénombré 379 victimes, parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants.
Le Moudjahid Mohamed-Bachir Azzouz avait treize ans à l’époque de ces évènements sanglants qui avaient non seulement définitivement marqué ces jeunes, presque tous futurs combattants de l’armée de libération nationale (1954-1962), mais aussi les générations suivantes qui conservent jalousement, à Beni Aziz, les récits des aînés sur le martyre du 8 mai 1945.
« J’étais élève à la zaouïa Hamlaouia de Téleghma à cette époque », raconte El Hadj Azzouz qui souligne qu’après la mort de Saâl Bouzid (première victime de ces massacres, abattu par le commissaire Olivieri) qui conduisait le cortège de manifestants à Sétif, la population de Beni Aziz apprenait que l’administrateur de Ain El Kébira avait été tué à Amoucha.
Pour tout un chacun, « cela signifiait que c’était le Djihad contre l’occupation coloniale, car la misère et le désespoir étaient tels que la révolte pouvait se généraliser au moindre incident », explique Hadj Mohamed. Le chauffeur de l’administrateur tué s’appelait Amar Bougdoura. Il est rentré au volant d’une « traction » à Ain El Kébira. « Le lendemain, mercredi 9 mai, à Beni Aziz, le neveu de Bougdoura, Amar Boukharouada avait participé à l’attaque contre des gendarmes de Chevreul, armé d’un mousqueton, il y aura un gendarme et un colon tués parmi les européens », se rappelle dans un mélange de souvenirs le moudjahid Mohamed-Bachir Azzouz, pris de frissons à l’évocation de cette sombre époque.
Le surlendemain du 8 mai 1945, jeudi, à Beni Aziz et dans les mechtas de la région, la répression allait s’abattre impitoyablement. A Beni Medjelet, Larbaa, Arbaoua, Ain Sebt, les tirailleurs sénégalais et les tabors marocains, aidés par des milices formées de colons, sévissaient, brûlant, tuant et violant sans retenue, raconte ce témoin, se souvenant que 12 maisons avaient été entièrement incendiées.
Le couple Hadda et Mabrouk Azzouz ont été froidement abattus chez eux, de même qu’à Beni Aziz, un homme et son fils ont été tués de sang-froid, l’un après l’autre. L’horreur fut telle que de nombreux témoins ont longtemps été tourmentés par l’odeur de la chair calcinée de familles entières. Certaines victimes ont été obligées de creuser elles-mêmes leurs tombes, raconte encore Hadj Azzouz. Ce dernier, considéré à Béni Aziz comme « la mémoire » du 8 mai 1945 et de la guerre d’indépendance, cite également quelques personnes arrêtées à Beni Aziz durant le mois de mai 1945 et qui ne furent libérées qu’en 1962 : Larbi Azzouz, Boudjemaâ Boukhrissa, Lakhdar Benyahia, Mohamed Tolba, Ahmed Haridi.
Des centaines d’orphelins ont été dénombrés, la plupart ont été adoptés par des militants nationalistes ou des compatriotes dans toute l’Algérie, notamment dans l’Oranie. L’un de ces orphelins, Messaoud Gridi, est revenu, après l’indépendance, à Beni Aziz où il avait vécu ses derniers jours, il y a peu de temps, relève Hadj Azzouz.
« J’avais 13 ans, au mois de juillet 1945 à Tachouda, à quelques km de Béni Aziz (à) j’étais avec mon père et ma mère parmi des centaines d’habitants des dechras, regroupés de force pour nous obliger à participer à une cérémonie grotesque de reddition. Les soldats nous obligeaient à insulter les dirigeants nationalistes des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), puis tout le monde a été contraint de se prosterner en tournant le dos à la Qibla », se souvient encore ce moudjahid, avant d’affirmer que « si les hommes passent, Beni Aziz n’oubliera jamais ».