ALGER – Cinquante-sept ans après, la France refuse toujours de reconnaitre officiellement les massacres du 17 octobre 1961 à Paris, dont ont été victimes des centaines d’Algériens, comme étant un crime d’Etat, estiment des historiens et des juristes, appelant L’Etat français à reconnaitre sa responsabilité de ces crimes, comme il vient de le faire dans l’assassinat en 1957 du militant français engagé en faveur de l’indépendance de l’Algérie, Maurice Audin.
Dans la nuit du 17 octobre 1961, des centaines d’Algériens et d’Algériennes qui manifestaient pacifiquement dans la capitale française pour dénoncer le couvre-feu inique et discriminatoire décrété à leur encontre par le préfet de police de l’époque Maurice Papon ont été exécutés sommairement par balles, jetés vivants dans la Seine, battus à mort ou pendus aux arbres des bois de Vincennes, selon les témoignages de survivants et d’anciens policiers français.
Le même Maurice Papon avait, lors de l’occupation de la France par les troupes nazies et alors qu’il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, participé à l’arrestation des juifs de la région bordelaise et à leur déportation vers les camps d’extermination d’Auschwitz.
S’il a été condamné en 1998 par la justice française à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité, il n’a jamais été inquiété par cette même justice pour les massacres d’Algériens à Paris.
Selon Mohamed Ghafir, ancien responsable du Front de libération nationale (FLN) dans la région Nord de Paris, pendant la guerre de libération, un millier d’Algériens ont péri lors des manifestations d’octobre 1961, réprimées dans le sang par la police française, Au total, quelque 15.000 Algériens et Algériennes avaient été arrêtés lors de ces évènements et transférés au palais des Sports, au parc des Expositions et au stade Coubertin et détenus dans des conditions effroyables: battus et longtemps laissés sans nourriture et sans soins.
L’historien français Jean-Luc Einaudi, décédé en 2014, avait fait remonter de la mémoire collective en France les massacres du 17 octobre 1961 à Paris.
L’auteur de « La Bataille de Paris » évoque dans son livre « un massacre oublié pendant des décennies, refoulé par la conscience collective, étouffé par le gouvernement ».
Grâce à ses recherches, il était parvenu à mettre en lumière une bonne partie des contours de ces tragiques événements, en divulguant, notamment, une liste de 390 Algériens victimes de la répression sanglante de la police parisienne.
Pour l’universitaire français Olivier Le Cour Grandmaison, les massacres du 17 octobre 1961 de civils algériens à Paris « sont aujourd’hui connus et doivent être maintenant reconnus par l’Etat français, responsable et coupable ».
« Cela passe, entre autres, par la reconnaissance qu’un crime d’Etat a bien été perpétré en ces journées d’octobre 1961 », a ajouté le co-auteur de l’ouvrage collectif, « Le 17 octobre 1961 : Un crime d’Etat à Paris » (La Dispute, 2001).
Pour lui, ces massacres « relèvent d’une terreur d’Etat appliquée depuis longtemps en Algérie, réactivée à la suite du déclenchement de la guerre le 1er Novembre 1954 puis importée en métropole où la torture, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et les exécutions sommaires ont été courantes ».
La législation française sur l’accès aux archives, « une des plus restrictives » La commémoration des massacres du 17 octobre 1961 intervient cette année alors que le président Emmanuel Macron vient de reconnaitre la responsabilité de l’Etat français dans la disparition et l’assassinat, en juin 1957, du militant français engagé en faveur de l’indépendance de l’Algérie, Maurice Audin.
Tout en qualifiant de « pas immense » la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat de Maurice Audin, l’universitaire Olivier Le Cour Grandmaison a affirmé que l’ensemble des crimes coloniaux, commis par la France, doivent être qualifiés « comme ils devraient l’être ».
Il a estimé, cependant, que le président Macron et ses conseillers demeurent « très en-deçà » de ce qui aurait dû être proclamé, rappelant que lors de son déplacement à Alger, en tant que candidat à l’élection présidentielle, il avait déclaré que la colonisation avait été un « crime contre l’humanité », mais s’était bien gardé de réitérer ses propos.
Aux termes de l’article 212-1 du Code pénal français, sont considérés comme des crimes contre l’humanité : « la déportation (…) ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, la torture ou d’actes inhumains inspirés par des motifs politiques (…) organisés en vertu d’un plan concerté à l’encontre d’une population civile ».
« Pour ménager les militaires, la droite et l’extrême-droite, et sans doute aussi, une partie de son électorat, peut-être aussi pour éviter des procédures judiciaires, cette qualification n’a donc pas été employée alors qu’elle est parfaitement adéquate aux pratiques de l’armée française pendant la guerre d’Algérie et aux crimes commis antérieurement à partir du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata », a-t-il assené.
Le président Macron a promis aussi d’ouvrir les archives, mais l’universitaire juge ambiguë sa déclaration à ce sujet.
« Soit cela porte uniquement sur l’affaire Audin, et c’est alors singulièrement restrictif, soit cela concerne l’ensemble de la guerre d’Algérie, et la mesure est autrement plus importante. Reste que cet accès demeure le fait du prince », a-t-il constaté.
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Pour Olivier Le Cour Grandmaison, comparativement à d’autres pays comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la législation française sur l’accès aux archives est « une des plus restrictives ».
« Le président de la République laisse croire qu’il est disposé à solder les comptes du passé criminel de la France en Algérie. Qu’il le prouve en faisant enfin une déclaration précise et circonstanciée sur ce qui s’est déroulé à Paris et en banlieue parisienne », en octobre 1961, a-t-il lancé en guise de défi.
L’historien Gilles Manceron a affirmé, pour sa part, que le « plus important », maintenant est de montrer, à travers la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat de Maurice Audin, que des milliers d’Algériens ont subi le même sort.