Massacre de Tibéhirine : La désillusion de Buchwalter

Massacre de Tibéhirine : La désillusion de Buchwalter

L’assassinat en mai 1996 de sept moines français, décapités par le GIA (Groupe islamique armé) après deux mois de captivité, a fait l’objet de plusieurs versions et permet aujourd’hui encore à certains de faire planer le doute sur les circonstances de la mort des religieux de Tibhirine.

Le dernier «témoignage» en date (il ne s’agit en fait pas de témoignage mais de révélations rapportées de bouche à oreille) est celui d’un général français, François Buchwalter, aujourd’hui à la retraite.



Ce dernier, entendu par la justice française en juin dernier, a affirmé que le massacre des moines de Tibhirine était une «bavure de l’armée algérienne».

Attaché militaire de l’ambassade de France à Alger à l’époque des faits, le général affirme avoir recueilli les confidences d’un ancien militaire algérien dont le frère avait participé à l’attaque.

«Les hélicoptères de l’armée algérienne ont survolé le bivouac d’un groupe armé et ont tiré, s’apercevant ensuite qu’ils avaient non seulement touché des membres du groupe armé mais des moines», a révélé le général Buchwalter, qui dit avoir appris les faits quelques jours après les obsèques des moines.

Il soutient avoir écrit des rapports au chef d’état-major des armées et à l’ambassadeur qui sont restés sans suite.

Cela laisse supposer donc que les autorités françaises sont impliquées dans la dissimulation de cette «bavure».

Une question s’impose : quel intérêt avait la France de 1996 à dissimuler une bavure de l’armée algérienne ?

Surtout qu’à l’époque seule la thèse du «qui tue qui» était de mise.

C’était là une aubaine pour dénoncer «des massacres à l’aveuglette commis par l’ANP».

Pour quelle raison cette occasion n’a pas été saisie ?

On peut supposer alors (puisque nous sommes en plein délire de spéculations et en accordant du crédit au témoignage de l’ours qui a vu l’ours) que la décision de la France de dissimuler la bavure de l’armée algérienne ne repose que sur le fait qu’elle se refusait à reconnaître publiquement que les moines ont été enlevés par un groupe armé.

L’assassinat des moines dans un maquis par des ravisseurs jamais identifiés allait permettre à la thèse du «qui tue qui» de survivre encore longtemps !

Revenons aux faits. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept citoyens français vivant en Algérie et appartenant à la communauté monastique de Tibhirine, près de Médéa, étaient enlevés par un groupe d’hommes armés.

Un mois plus tard, le 26 avril, un communiqué du GIA, portant le numéro 43 et signé par l’émir du GIA, Djamel Zitouni, est publié à Londres par le quotidien Al Hayat.

Daté du 18 avril, et ayant d’abord circulé en quelques exemplaires à Médéa, il revendique l’enlèvement des moines et propose à la France un échange de prisonniers, entre autres Abdelhak Laayada, en prison à Alger depuis 1994.

Deux mois après l’enlèvement des sept moines, un second communiqué du GIA signé par le même Djamel Zitouni annonçait qu’ils avaient été exécutés le 21 mai et accuse le gouvernement français d’avoir «trahi» les négociations.

Les autorités algériennes annonceront la découverte des corps le 31 mai.

Ce sont là les faits connus par tout le monde. Viennent ensuite des enquêtes d’investigation de journalistes et des révélations faites par d’anciens terroristes et autres déserteurs de l’ANP.

Selon John W. Kiser, un journaliste d’investigation, durant la captivité des moines, des négociations entre les responsables français de la sécurité et le GIA ont été menées.

Le général Philippe Rondot, de la DST, était d’ailleurs venu à Alger pour rencontrer des responsables du DRS algériens à cette époque.

Une cassette audio, enregistrée le 20 avril par les moines prisonniers, prouvant qu’ils étaient encore vivants à cette date, fut remise à l’ambassade de France à Alger par un émissaire le 30 avril.

Le livre de René Guitton, donne d’autres éléments supplémentaires.

À partir d’informations obtenues à l’évidence des services secrets français, la DST a mené des négociations tout au long de la période de captivité.

Selon l’auteur, Jean-Charles Marchiani, préfet du Var et proche de Charles Pasqua (ministre de l’Intérieur à l’époque), aurait réussi à établir un contact avec les ravisseurs, et la libération des moines, à en croire Marchiani, aurait eu lieu si la DGSE ne l’avait pas «court-circuité».

Il faut rappeler également qu’après la visite de l’émissaire du GIA à l’ambassade de France et avant le deuxième communiqué du GIA, le président Chirac avait déclaré : «Nous ne négocierons pas».

Une année après l’assassinat des moines, Ali Benhadjar, un ex-émir du GIA, qui s’en est éloigné en 1996 pour former son propre mouvement (la Ligue islamique pour la Daoua et le Djihad) s’exprime sur cette affaire en affirmant que Djamel Zitouni lui demanda au mois de mars 1996 d’enlever les moines et comment il refusa.

Devant ce refus, Zitouni aurait fait appel à des groupuscules d’autres zones.

Abdelkader Tigha, résidant actuellement en Jordanie, ancien adjudant du DRS, a une autre version des faits.

Le «voleur de Bangkok» et «transfuge de l’ANP» a attendu décembre 2002 pour soutenir, dans le quotidien français Libération, que Djamel Zitouni était un agent du DRS et que c’est cette direction qui a organisé l’enlèvement des moines «pour les obliger à quitter le territoire national» !

Si le DRS est derrière l’enlèvement, ne pouvait-il pas savoir où se réfugiait le groupe armé en compagnie des moines otages pour éviter la «bavure» ?

Parce que, à croire Teguia, le DRS n’avait pas l’intention de tuer les moines mais juste de les décider à quitter l’Algérie !

Toutes ces thèses, avancées des années après le drame, par des personnes dont le témoignage ne peut être fiable (vu que chacune a un compte à régler avec une des parties citées) ne peuvent constituer une référence.

Il ne reste donc que des faits : des moines ont été pris en otages par des groupes du GIA dans l’espoir de libérer leurs acolytes; les négociations ont échoué; leur assassinat a été décidé.

Dans le cas où il y aurait eu «bavure», ne serait-il pas plutôt aux services français de déterrer leurs dossiers et de lever «le secret défense» comme l’exige le président Sarkozy mais surtout d’expliquer les raisons de «l’enterrement volontaire» de cette affaire.

Car, pour l’Algérie et même si les déclarations du général François Buchwalter s’avèrent exactes, assumer une bavure en période de «guerre» contre le terrorisme n’est pas un déshonneur.