Mariée de force à de riches Arabes du Golfe trois fois en un mois pour des durées de quelques jours, Aya, une jeune fille de 14 ans, a décidé de briser le mur du silence. Pour la première fois, les parents, le mari et les membres du réseau se retrouvent devant les barreaux.
Je n’ai pas pu supporter cet-te situation. J’ai décidé deprendre la fuite et me réfugier chez des membres de la famille. Mais personne ne m’a soutenue. Mon père m’a condamnée à retourner chez mon mari jusqu’au délai prévu dans mon contrat de mariage « , se rappelle la petite Aya, 14 ans.
Malgré la compassion de sa mère, elle réalise que personne n’est prêt à lui venir en aide et qu’elle ne doit compter que sur elle-même. Elle décide de réagir, d’avoir le courage de dénoncer son père. Elle se rend donc au commissariat de police situé dans son village Tomouh, dans les environs de la ville du 6 Octobre, et raconte toute son histoire et celles de beaucoup d’autres filles de son âge.
La police décide d’arrêter les parents de Aya qui l’ont forcée à se marier à l’âge de 14 ans, de condamner le mari, un vieillard de nationalité saoudienne, qui n’a pas hésité à dénoncer toutes les personnes ayant joué le rôle d’intermédiaire. Le notaire a été également arrêté pour avoir falsifié l’acte de naissance de la jeune fille et pour avoir conclu 125 autres contrats de mariage de mineures dans différentes villes d’Egypte. Les parents désirant marier leurs filles à un âge précoce ont souvent recours à lui. C’est contre une somme de 14 000 L.E., versée par le mari, que le père a décidé de vendre sa petite Aya.
Une somme répartie entre les parents, le notaire et l’entremetteuse. C’est grâce aux enquêteurs du ministère de la Famille, récemment créé, que le cas de Aya a été dévoilé. Aujourd’hui, l’enquête est en cours et les accusés attendent d’être jugés. C’est en fait la première fois que la loi sur l’enfance est mise en vigueur avec une telle sévérité. Un signal à tous ceux qui oseraient marier leurs filles à un âge précoce.
Selon l’article n°126/2008, l’âge a été repoussé de 16 à 18 ans. Ce qui fait que le mariage de toute fille avant l’âge de 18 ans est devenu un acte incriminé par la loi. Une fois le cas dévoilé, la ministre de la Famille et de la Population, Mouchira Khattab, lance un appel au procureur général pour mettre fin à cette pratique.
» Ce mariage prive la jeune fille de son droit à profiter de son enfance, de son droit à l’éducation « , a mentionné la ministre. Une prise de conscience mais surtout une détermination de la part des responsables pour mettre fin à ce phénomène. Aya n’est en fait pas la seule mineure à avoir contracté un tel mariage.
A Tomouh, on considère ce mariage » touristique » comme une survie économique. 74 % des familles de ce village ont recours à ce genre d’exploitation sexuelle. Aya, 14 ans, ne comprenait pas ce que signifiait le mot mariage. Elle était heureuse parce qu’elle allait se marier avec un homme riche qui allait lui réaliser tous ses rêves.
Elle croyait qu’elle allait quitter son village et partir avec lui, faire le tour du monde, ôter sa djellaba noire pour porter des vêtements à la mode et de toutes les couleurs. Elle rêvait même de manger des mets auxquels elle n’avait jamais goûté. Aya a suivi son vieux mari qui habite à Mohandessine, quartier chic du Caire.
Les trois premiers jours, il l’a bien traitée mais Aya a très vite compris que cet homme s’est marié à la plupart des filles mineures de son village. Elle a appris aussi qu’il avait quatre femmes en Arabie saoudite et 11 enfants. » Je ne le supportais plus. Il avait l’âge de mon grand-père « , lance la fille.
Mais la chose qui l’a offusquée était de découvrir que son père se servait d’elle pour empocher de grosses sommes d’argent.
Au début de son mariage, la jeune Aya n’arrivait pas à comprendre ce qu’il lui arrivait. Elle téléphone à son père pour lui dire qu’elle déteste cet homme et n’a aucun désir de terminer la semaine avec lui.
» Ma fille, si tu le quittes avant que la semaine ne s’écoule, je dois rendre le reste de l’argent à cet homme qui t’a épousée pour la semaine, et moi, j’ai dépensé tout l’argent « , dit le père sans se soucier de sa fille.
D’autres filles de son quartier se sont même mariées trois fois en un mois sans que l’on accorde de l’importance aux préceptes de l’islam qui exige qu’une femme divorcée reste pendant trois mois sans mariage, ce qu’on appelle les mois de la edda (délai de viduité). Le but est de savoir si cette femme est enceinte ou pas, avant qu’elle ne se remarie.
En effet, ce business commence dès l’aéroport. Il suffit qu’un touriste arabe débarque au Caire pour qu’un membre du réseau lui montre des photos de jeunes filles.
Et quand le vieillard a fait son choix, ils se mettent d’accord sur le montant de la transaction, fixent la date et le lieu du mariage.
En général, le mariage va durer quelques semaines, quelques jours et parfois quelques heures. Ces hommes âgés prennent leur plaisir puis rentrent tranquillement chez eux, car ce mariage a un délai bien précis.
La règle du jeu : celui qui paie le plus est celui qui pourra prendre la jeune mineure. Ces touristes d’un genre particulier sont issus de toutes les classes sociales.
Ce sont souvent des hommes mariés, parfois des célibataires, des touristes fortunés ou des voyageurs à petit budget. Pour son père, Aya est devenue une marchandise à vendre.
En effet, des Arabes du Golfe et d’autres pays arabes viennent en Egypte pour se marier avec des mineures.
Ce genre de mariage est souvent facilité par les parents, des intermédiaires, des courtiers, des notaires (maazoun), une sage-femme ou un avocat.
Tous travaillent dans la discrétion. Ils se présentent directement chez le père qu’ils choisissent pauvre et ignorant. Quand un Arabe du Golfe riche a l’intention d’épouser une mineure, il téléphone à un des courtiers, nombreux dans ce village. Ce courtier est en général une femme.
C’est elle qui se charge de contacter les parents des mineures. Elle leur annonce qu’un Arabe va leur rendre visite dans quelques jours pour choisir une fille de 12 ou 14 ans. » Les filles arrivent avec leurs pères chez l’entremetteuse.
Chacune enlève son hidjab, ou son niqab, elle ôte sa djellaba. Et pour montrer ses belles formes, elle reste avec une robe à bretelles, ou exhibe son jean serré et lâche ses cheveux teints en blond ou avec du henné « , lance Aya en rapportant la scène qu’elle a vécue avant son mariage.
Et la jeune fille ne peut pas refuser car elle doit obéir à ses parents. En cas de refus, le père utilise avec sa fille les moyens musclés pour l’obliger à accepter un tel mariage.
Et c’est ce qui s’est passé avec Aya qui a refusé le 3e mariage. » Mon père me frappait avec violence, il m’enfermait à la maison et me privait de jouer avec mes voisines.
Je n’avais pas aussi le droit d’aller à l’école « , dit-elle en pleurant. Quatre jours après son mariage, Aya a été battue par son mari et il a commencé à la traiter comme une servante ou tout simplement comme une esclave sexuelle.
Aya est choquée, elle se rend compte qu’elle est devenue une marchandise à vendre.
Le père de Aya qui a six enfants n’a pas les moyens ni de les élever ni de leur apporter de quoi manger.
Il pense aussi que les filles sont une lourde charge pour la famille. La solution pour lui était de marier son aînée à un vieillard fortuné contre de l’argent, des bijoux et des cadeaux. C’était le seul moyen pour subvenir aux besoins des autres enfants plus jeunes que Aya.
Ce père, dont la pauvreté ne pardonne pas le crime, transgresse toutes les mœurs et coutumes du pays, il avait l’intention de refaire la même chose avec le reste de ses filles plus jeunes que Aya.
Il n’hésite pas à encourager Aya à épouser 36 ou 40 Arabes par an puisque celle-ci a pu se marier trois fois en un mois. La différence d’âge entre Aya et ses maris temporaires est scandaleuse .
Leurs âges varient entre 60 et 75 ans. Aya a vite réalisé qu’elle n’était pas la seule dans ce cas. De telles unions ont lieu chaque jour dans son village Tomouh, et 20 autres mineures qui habitent le même quartier qu’elle, dont Zaafarana, 13 ans, Hasnaa, 15 ans, ainsi que Riri, 12 ans, ont subi le même sort.
On explique à ces filles que la religion n’y voit aucun inconvénient. »
Le Coran autorise la polygamie et permet à l’homme musulman d’avoir 4 épouses à la fois « , lance l’une d’elles.
Et c’est ainsi que ces hommes épousent des mineures pour quelques jours et veulent faire croire aux autres et à euxmêmes que c’est la religion qui les couvre dans leurs actes. Dans le village de Tomouh, les membres des associations et des différentes ONG qui s’activent dans le village ont fait comprendre à son père qu’un tel mariage forcé aurait des conséquences fâcheuses aussi bien sur son corps que sur son psychique et que des actes aussi répressifs porteront atteinte à la santé de leur fille : contraintes sexuelles, troubles de sommeil, de l’alimentation, suicide ou tentatives de suicide. Mais, en vain. »
Le père a fait la sourde oreille, il ne pense qu’au gain, avoir de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille « , rappelle Magda, une des membres d’une ONG située dans le village.
Les membres de ces associations et ONG sont souvent des jeunes du village qui n’acceptent pas ce qui se passe autour d’eux, mais n’osent pas faire front aux parents et à la mafia des courtiers qui profitent de la misère des gens de ce village.
Ils ont fait l’impossible pour persuader le père de Aya pour ne pas marier sa fille à un homme plus âgé qu’elle. Mais le père qui veut tout faire pour justifier sa décision cite le cas du prophète Mohamad qui a pris pour femme Al-Sayeda Aïcha à l’âge de 9 ans, alors qu’il était âgé de 60 ans.
» Pourquoi ne pas donc marier ma fille qui est mineure tout comme cela s’est passé avec Al-Sayeda Aïcha ? Un tel mariage n’est-il pas licite ? « , dit le père.
Pourtant, le père de Aya est bien conscient que le mariage de sa fille s’inscrit dans le commerce et que sa fille va être répudiée après quelques jours ou semaines et va retourner chez lui, peut-être enceinte. Ce père risque désormais la prison.
Quant à Aya qui a eu la force et le courage de parler, elle restera à jamais marquée par cette expérience horrible.
Manar Attiya