Après onze jours de soulèvement populaire en Egypte, la mobilisation est toujours intacte.
Après une journée de jeudi marquée par des affrontements entre pro et anti-Moubarak à la place Tahrir, des dizaines de milliers d’Egyptiens étaient massés hier, après la prière hebdomadaire, dans les différentes villes pour exiger le départ «immédiat» du président Hosni Moubarak, qui a dit redouter le chaos s’il démissionnait.
Hier, les manifestations se sont déroulées dans le calme, et les partisans du président, à l’origine des violents affrontements ces deux derniers jours, n’étaient pas visibles, l’armée ayant déployé des dizaines de véhicules pour créer une zone tampon autour de la place, a rapporté l’agence APS.
Le mouvement de contestation a appelé à une mobilisation générale après la prière en début d’après-midi, pour ce qu’il a baptisé «le vendredi du départ», et espère réunir un million de personnes dans le pays au 11e jour d’une révolte qui a fait au moins 300 morts et des milliers de blessés, selon l’ONU. A la place Tahrir, symbole de la contestation populaire, des dizaines de milliers de manifestants ont participé à la prière hebdomadaire, tandis que d’autres étaient assis à côté. Dès la fin de la prière, les manifestants ont commencé à scander «Irhal, irhal» (dégage, dégage) à l’adresse de Moubarak qui a affirmé mardi qu’il ne briguerait pas un sixième mandat à la présidentielle de septembre après avoir passé près de 30 ans au pouvoir. Les manifestations d’hier ont été marquées par la visite de deux hautes personnalités, le président de la Ligue arabe Amr Moussa et le ministre de la Défense Mohamed Hussein Tantaoui.
«L’homme vous a dit qu’il n’allait pas se représenter», a lancé le ministre en référence à Moubarak, qui a promis de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle prévue en septembre mais a refusé de se retirer du pouvoir avant la fin de son mandat actuel expirant fin août. Pour sa part, le Premier ministre, Ahmed Chafik, a appelé les manifestants à mettre pacifiquement un terme à leur mouvement de contestation, estimant que leurs revendications avaient été satisfaites à 90%. En colère et déterminés à faire aboutir leur révolte, les manifestants scandaient sans cesse des slogans demandant le départ «sans délai» de Moubarak et refusant tout dialogue avec le pouvoir entamé par le vice-président Omar Souleimane.
L’opposition refuse le dialogue
Le guide suprême des Frères musulmans, principale force d’opposition, Mohammed Badie, a déclaré qu’il était prêt au dialogue avec Souleimane mais uniquement après le départ de
M. Moubarak. Il s’est dit favorable à une «période transitoire que dirigera le vice-président». «Nous sommes pour le dialogue avec quiconque veut mener des réformes dans le pays, après le départ du président», a insisté Mohammed Badie qui s’exprimait pour la première fois publiquement depuis le début de la contestation. «Une seule revendication qui soit satisfaite et nous nous engagerons ensuite dans le dialogue», a-t-il déclaré aux médias. La télévision publique égyptienne a annoncé jeudi le début du dialogue entre l’opposition et le gouvernement, mais la coalition nationale pour le Changement, composée de plusieurs formations de l’opposition, a exclu de nouveau tout dialogue avec le pouvoir et a exigé le départ sans délai de Moubarak.
Les ambitions de Amr Moussa
Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, s’est déplacé vendredi à la place d’Al-Thrir, au centre du Caire pour «aider à l’apaisement» en prévision des manifestations baptisées «le jour du départ». «Je ne crois pas qu’il va partir. Je pense qu’il restera jusqu’à fin août», a dit M. Moussa, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères.
Sur la radio Europe 1, le secrétaire général de l’organisation panarabe n’a pas exclu vendredi de briguer la succession de M. Moubarak. A une question sur son éventuelle candidature aux élections présidentielle, Amr Moussa a répondu : «Pourquoi dire non». «Je suis à la disposition de mon pays bien sûr. Mais on va voir les développements politiques. Je suis prêt à servir comme un citoyen qui a le droit d’être candidat», a déclaré Amr Moussa, soulignant qu’il «est prêt à jouer un rôle dans le transition en Egypte». Moussa n’a pas écarté non plus la possibilité d’intégrer un éventuel gouvernement de transition, et souhaité un «consensus national». «On ne peut pas ignorer Les forces politiques, y compris les Frères musulmans», principal mouvement d’opposition du pays, a-t-il ajouté.
Pression internationale
Selon le New York Times, les Etats-Unis sont en train de discuter avec des responsables égyptiens des modalités d’un départ immédiat de M. Moubarak et du transfert du pouvoir à un gouvernement de transition dirigé par le vice-président Omar Souleimane.
Les Etats-Unis, sans aller jusqu’à l’ultimatum, insistent sur la nécessité pour le président Moubarak d’engager sans délai la transition du pouvoir, tout comme la majeure partie de la communauté internationale. Ce plan en discussion proposerait également «le transfert du pouvoir à un gouvernement de transition dirigé par le vice-président Omar Souleimane, avec le soutien notamment de l’armée égyptienne», précise le quotidien new yorkais.
La proposition demande aussi au gouvernement de transition à faire participer les membres d’un large éventail de groupes d’opposition, y compris l’organisation interdite des Frères musulmans, d’entamer l’ouverture du système électoral du pays pour des élections libres et équitables prévues en septembre. Selon le New York Times, bien que les hauts responsables du gouvernement américain ne donnent pas les détails des scénarios alternatifs, mais ils font part clairement que leur solution privilégiée serait M. Souleimane comme la figure de transition.
Pour sa part, l’Union européenne a affirmé par la voix du chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, que «c’est au peuple égyptien, au gouvernement égyptien de faire avancer ce processus de transition». Le chef du gouvernement britannique, David Cameron, a jugé «insuffisantes» les premières mesures prises vers la transition par le pouvoir égyptien. «Les mesures prises jusqu’ici n’ont pas répondu aux aspirations de la population égyptienne», a estimé M. Cameron, jugeant que l’Egypte «devrait prendre des initiatives pour montrer qu’il existe un chemin clair, crédible et transparent vers la transition politique».
L’ONU exige une enquête sur les violences
Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a appelé vendredi les autorités égyptiennes à ouvrir des enquêtes «transparentes et impartiales» sur les récents affrontements survenus dans le pays, en proie à une puissante révolte populaire. «Des violences (…) ont eu lieu mercredi et nous avons assisté à des scènes choquantes de groupes s’opposant avec des cocktails Molotov et des pierres», a déploré le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay. Elle a regretté une absence notable «de la police et de l’armée qui n’ont pas réussi à séparer les deux groupes, avec des conséquences tragiques».
«Des enquêtes doivent être menées pour déterminer si ces violences ont été planifiées, et si c’est le cas, par qui», a réclamé Mme Pillay, insistant sur des enquêtes «transparentes et impartiales». De violents affrontements étaient survenus mercredi et jeudi au centre du Caire, en Egypte, entre des partisans du président Hosni Moubarak et les manifestants anti-gouvernementaux, faisant au moins huit morts, selon un bilan officiel.
H. L.