Décidément, le pouvoir en place continue d’autoriser à grande échelle les pratiques du «gré à gré » dans l’octroi des marchés publics. A quoi bon disposer d’un code des marchés publics, si c’est pour faire d’une exception la règle ? Récemment encore, un programme de réalisation de 11 300 logements de type social locatif (LPL), à Constantine, a été attribué au titre de gré à gré à plusieurs entreprises locales et étrangères, selon l’OPGI locale qui a rendu publique l’annonce le 4 juin dernier. Le coût de ce programme avoisinerait les 300 millions de dollars ! Pour apprécier l’étendue du désastre du «gré à gré», nous livrons à nos lecteurs un survol des «gré à gré» rendus publics ces dernières années.
Toujours selon l’OPGI, la wilaya de Constantine a récemment obtenu une «dérogation du gouvernement», autorisant l’attribution au titre de gré à gré des chantiers de réalisation de plusieurs programmes de logements, notamment ceux demeurés en souffrance depuis plusieurs années pour des raisons liées au foncier et à la défaillance de certaines entreprises, a-t-on souligné de même source. Il s’agit-là d’une «mesure d’urgence» visant à accélérer la concrétisation du programme du logement social accordé à cette wilaya, a-t-on précisé à l’OPGI, faisant état de l’existence d’un «cumul» de plusieurs années de demandes pour ce type de logements. La reprise des travaux de réalisation de logements sociaux, en arrêt depuis un certain temps, dans plusieurs régions de la wilaya, permet de répondre à la demande sans cesse croissante, a-t-on encore estimé, faisant part de l’injection d’un programme de réalisation de 10 000 LSL inscrits au titre de l’actuel quinquennat, en plus des 8 000 unités similaires qui viennent d’être retenues dans le cadre du programme complémentaire. Pour le gouvernement, la wilaya et l’OPGI de Constantine, «l’attribution au titre de gré à gré des marchés de réalisation de logements sociaux constitue une forme de sanction pour les entreprises qui ont «brillé» par le laisser-aller et la négligence constatés sur chantier, précisant que le suivi des travaux de réalisation des programmes sociaux sera désormais, confié aux services de la wilaya». Ces programmes, qui seront lancés durant le deuxième semestre 2011, seront implantés dans la région de Aïn-Abid, à El-Khroub et à la nouvelle ville Ali-Mendjeli, entre autres, a-t-on noté. Cette décision passée inaperçue suscite nombre de questions : est-ce le Conseil des ministres qui a donné son accord ? Si oui, pourquoi cet accord n’a-t-il pas été rendu public, comme c’était l’usage il y a quelques mois encore, à travers les communiqués du Conseil des ministres ? Quelles sont les entreprises locales et étrangères heureuses bénéficiaires de ce gré à gré ? Quelles sont les conséquences sur l’emploi, ces entreprises étrangères exigeraient de ramener leur propre main-d’œuvre ? On justifie ce gré à gré par des retards de réalisation et des maîtres d’œuvre défaillants. Quelles sont les entreprises qui ont brillé par leur laisser-aller ? Ont-elles été sanctionnées ? Si oui, sontelles interdites de marchés publics (comme l’autorise le code des MP d’octobre 2010) ?
Vol au-dessus d’un nid de … «GAG» parmi tant d’autres !
Blagues à part, les lecteurs auront compris en parcourant l’intertitre ci-dessus qu’à propos de «GAG», il s’agit de «Gré à Gré» (GAG, pour faire court), et non pas de gags à en mourir de rire. Nous publions ci-dessous quelques «GAG» décidés ces dernières années par le Conseil des ministres présidés par le chef de l’Etat ou par le gouvernement.
Mai 2006. Les médicaments, c’est… vital ! Surprise de taille en parcourant le Journal officiel n° 21 du 5 avril 2006 : on y découvre un arrêté interministériel, signé conjointement par les ministres des Finances et de la Santé, qui fixe «la liste des produits pharmaceutiques essentiels et vitaux à acquérir selon la procédure de gré à gré après consultation» !
Juillet 2006. Le siège du Conseil constitutionnel au «gré à gré, est-ce… constitutionnel ? Le Conseil des ministres du 9 juillet 2006, présidé par le chef de l’Etat, a donné son feu vert pour le gré à gré dans l’attribution de 3 importants marchés. Extraits du communiqué officiel. Conseil constitutionnel. Dans le prolongement d’un premier contrat de gré à gré décidé par le Conseil des ministres du 30 juillet 2003 portant sur la réalisation du nouveau siège du Conseil constitutionnel, il est proposé, en application des dispositions de l’article 37-4 du décret présidentiel portant réglementation des marchés publics, de recourir à la même procédure du gré à gré pour la passation du contrat d’équipement des bureaux en matériels et mobiliers. Lors de ce Conseil des ministres, le «GAG» a été aussi décidé pour le nouveau siège de la cour d’Alger et la gestion du nouvel aéroport international d’Alger.
Mars 2007. 9es Jeux africains dans l’opacité. Un arrêté interministériel signé le 18 décembre 2006 (JO du 25 février 2007) par les ministres des Finances et de la Jeunesse et des Sports, «fixe la liste des prestations et fournitures devant faire l’objet de marchés de gré à gré après consultation au titre des 9es Jeux africains en Algérie». Cet arrêté n’a été rendu public que le 11 mars 2007, date de sa mise en ligne sur le site Web (*) du Journal officiel, soit près de 3 mois après sa signature !
Avril 2007. En attendant les touristes ! Le 7 avril 2007 était mis en ligne sur Internet le n°19 du Journal officiel daté du… 21 mars 2007 qui contenait l’arrêté interministériel du 17 janvier 2007, fixant la liste des prestations et fournitures devant faire l’objet de marché de gré à gré après consultation, au titre des manifestations et festivals touristiques, arrêté signé par les ministres des Finances et du Tourisme. Que lit-on dans cet arrêté ? En application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 38 du décret présidentiel n°02-250 du 24 juillet 2002 — réglementant les marchés publics —, cette décision interministérielle, donc du gouvernement, a pour objet de fixer la liste des prestations et fournitures devant faire l’objet de marché de gré à gré après consultation au titre des manifestations et festivals touristiques.
Juin 2007. Le «GAG» des prisons. Le Conseil des ministres du 14 mai 2007 vient d’étendre le gré à gré à la réalisation de prisons et à l’achat de… 300 autobus pour le transport des étudiants ! Pour rappel, le même Conseil des ministres avait autorisé ces dernières années d’autres opérations de gré à gré : reconstruction dans la région de Boumerdès après le séisme de 2003 ; marché de l’eau à Alger pour le groupe français Suez ; importations d’équipements médicaux, etc.
Mars 2008. Le spectacle continue, 12 000 places en jeu ! Le Conseil de gouvernement, lors de sa réunion du 4 mars 2008, a notamment entendu une communication présentée par la ministre de la Culture qui porte sur le marché de gré à gré pour la réalisation d’une salle de spectacle de grande capacité (12 000 places).
Juillet 2008. 25 000 logements sociaux à Alger sans appel à la concurrence. Le Conseil des ministres tenu ce 23 juillet 2008, sous la présidence du chef de l’Etat, a notamment adopté un décret présidentiel modifiant et complétant celui du 24 juillet 2002, portant réglementation des marchés publics, décret qui avait déjà été modifié en septembre 2003. Ces modifications «libéralisent » davantage le code des marchés, code qui était déjà très en deçà des normes internationales en vigueur. Le même Conseil des ministres a également entendu une communication sur les marchés de gré à gré simples, conclus pour la réalisation de 25 000 logements sociaux locatifs, destinés à la résorption de l’habitat précaire au niveau de la wilaya d’Alger.
Février 2009. Festival culturel panafricain 2009 d’Alger : au suivant ! Dans le n°5 du Journal officiel daté du 21 janvier 2009, figure un arrêté interministériel daté du 28 novembre 2008 et signé par les ministres des Finances et de la Culture , autorisant le gré à gré pour les marchés publics propres au Festival culturel panafricain 2009 d’Alger ! Autant dire que pour les entreprises — «heureuses élues» pour se partager un pactole de plusieurs centaines de milliards de centimes —, les longueurs d’avance sont considérables, au détriment d’autres entreprises moins chanceuses et probablement «mieux-disantes » si les règles d’une saine concurrence avaient été respectées pour l’attribution de ces marchés.
Mai et juillet 2011. Encore des «GAG» à gogo en Conseil des ministres. Encore des «GAG» décidés par les Conseils des ministres des 2 mai et 10 juillet 2011, mais la nouveauté cette fois-ci, c’est qu’aucune précision n’est donnée sur la nature des marchés, aggravant l’opacité propre au «gré à gré». Que veut-on cacher à l’opinion publique ? 1er acte : Extrait du communiqué officiel : «Le Conseil des ministres du 2 mai 2011 a poursuivi ses travaux par l’examen et l’approbation d’une série de projets de marchés publics conformément aux dispositions pertinentes du code des marchés publics.» 2e acte : «Le Conseil des ministres du 10 juillet 2011 a poursuivi ses travaux par l’examen et l’approbation de projets de marchés publics conformément aux dispositions pertinentes du code des marchés publics. Ces marchés concernent les secteurs des transports, des ressources en eau, des travaux publics, ainsi que de l’habitat et de l’urbanisme.» A ce rythme effréné des «GAG», il est à craindre qu’une bonne partie de la commande publique de plus de 150 milliards de dollars pour 2010- 2014 subisse le même sort.
Djilali Hadjadj