Les marches à Alger interdites, celles d’Oran et de Batna non autorisées, le gouvernement algérien a trouvé la parade pour justifier leur refus de permettre aux Algériens d’organiser des manifestations publiques. Si l’interdiction qui frappe les marches à Alger s’appuie sur une loi promulguée en juin 2001, le refus d’autoriser des réunions publiques dans le reste du territoire algérien s’appuie elle sur la loi 91/ 91 promulgué vingt ans plutôt, à l’époque où Chadli Bendjedid était encore président.
C’est sur la base de cette loi dépoussiérée que l’administration a refusé d’autoriser deux marches prévues samedi 5 mars à Oran et Batna.
La CNCD ( Coordination nationale pour le changement et la démocratie ) de Batna, à l’Est d’Algérie, qui avait introduit une demande d’autorisation pour une marche populaire le 05 mars auprès des services de la DRAG (Direction de la réglementation et de l’administration générale), vient de se voir opposer un refus verbal d’autorisation.
Déposée conformément à la réglementation, la wilaya de Batna a refusé de délivrer un écrit motivant la décision d’interdiction orale signifiée aux initiateurs de la marche.
Selon l’un des organisateurs que nous avons joint par téléphone, deux « raisons » ont été avancées par les fonctionnaires de la DRAG. La première est que le nombre de marcheurs n’est pas spécifié dans la demande d’autorisation.
La seconde est que la demande devait être déposée au minimum 8 jours avant la date de la marche. Selon cette même source les fonctionnaires de la DRAG l’ont appelé pour avoir des renseignements sur l’un des organisateurs de la marche.
« Avant de déposer la demande, nous savions pertinemment que nous n’allions pas recevoir d’autorisation mais il fallait passer par là. Nous allons, bien entendu, passer outre et marcher ».
Les responsables de la CNCD-Batna ont donc décidé de maintenir leur manifestation pour appuyer les trois marches d’Alger.
Même son de cloche à Oran, deuxième ville du pays. La CNCD-Oran avait introduit une demande pour la tenue d’une marche samedi prochain dans le centre ville. Là encore, le DRAG qui a reçu deux organisateurs de cette manifestation, leur a opposé un refus verbal.
En revanche, ce responsable a proposé que la réunion se tienne dans une salle.
Deux refus verbaux, deux interdictions qui foulent au pied les déclarations des officiels algériens affirmant que des marches peuvent être organisées en dehors d’Alger.
Lors du Conseil des ministres du jeudi 3 février, le président Bouteflika lui-même avait rappelé que la capitale était toujours interdite aux manifestations. Toutefois, le président avait précisé que les marches pouvaient être organisées ailleurs sur le territoire national.
Le ministre de l’Intérieur, M. Daho Ould Kablia, avait de son côté insisté lors de plusieurs sorties médiatiques que si les marches étaient interdites à Alger pour des motifs de sécurité, elles restaient autorisées partout ailleurs dans le pays.
Si ces interdictions répétitives constituent un déni des libertés et remettent en cause les engagements publics des officiels algériens, elles ne s’appuient pas moins sur un texte de loi encore en vigueur vingt ans après sa promulgation.
C’est que pour justifier légalement l’interdiction des marches sur le territoire national, le gouvernement a trouvé la parade : une vielle loi, la loi 91 /19, promulguée le 02 décembre 1991, à l’époque où Chadli Bendjedid était encore président de la République.
Cette loi relative aux réunions et aux manifestations publiques modifiait et complétait une autre, la loi 89-28 du 31 décembre 1989, promulguée du temps où Mouloud Hamrouche était chef du gouvernement.
Pour bien appuyer les mesures d’interdiction qui frappe ces marches, le ministre de l’Intérieur invitait mercredi 2 mars les journalistes à consulter cette loi. « Les marches, ce n’est pas l’état d’urgence qui les interdisait. C’est la loi qui les interdit. La loi 91/19 et vous n’avez qu’à aller voir le Journal officiel », expliquait doctement Dahou Ould Kablia.
Que dit la loi 91/19 ?
Elle stipule, dans son article 17, que « la demande d’autorisation doit être faite huit jours (8) francs au moins avant la date prévue avant le déroulement de la manifestation ».
Cette demande doit également comporter les noms, prénoms, domiciles des personnes organisateurs. Elle doit être signée par aux moins 3 des organisateurs et indiquer le but de la manifestation, le nombre de personnes prévues, leur provenances ainsi que l’itinéraire, le jour, l’heure et la durée de la manifestation.
En revanche, la même loi stipule « qu’un récépissé de la demande d’autorisation est délivré immédiatement par le wali après le dépôt du dossier. »
Le wali « doit prononcer son acceptation ou son refus par écrit cinq jours (5) au moins avant la date prévue pour le déroulement de la manifestation ».
C’est donc sur ce vieux texte de loi que le gouvernement s’appuie pour interdire aux citoyens de marcher pacifiquement dans les villes de leur pays.