Lancée en 2005, l’opération d’éradication des 96 marchés informels recensés à Alger s’est accélérée ces dernières semaines. L’objectif est de ramener vers l’économie légale les adeptes du commerce illicite ou « trabendo ».
C’est au milieu de ces étals de fortune que les Algérois de condition modeste s’approvisionnent en vêtements, bijoux, livres et autres ustensiles de cuisine. Mais les autorités ont décidé d’éradiquer ces espaces. Après la rue des Mariés, dans la Casbah, ou la commune de Bachdjarah en septembre, ce sont les marchés des quartiers populaires de Boumati dans la zone périphérique d’El-Harrach ou de Belcourt à Alger, qui craignent la prochaine opération de police.
Concurrence illégale
La vente de produits importés illégalement ou contrefaits, le « trabendo », constitue aujourd’hui une économie parallèle. Certaines estimations évoquent un chiffre d’affaires annuel allant de quelques centaines de millions à 6 milliards d’euros. Un secteur clandestin dont les petits vendeurs ne sont que les derniers maillons de la chaîne.
Pour les commerçants qui tiennent une boutique, les trabendistes sont des concurrents très sérieux. « Ces vendeurs ne sont pas déclarés. Moi, je paie des impôts qui sont fixes quelles que soient mes recettes, se plaint Hassan, 65 ans, propriétaire d’un magasin de tapis et tissus au quartier Belcourt. Je suis là depuis 30 ans et je m’en sortais mieux avant que cette économie de bazar ne s’installe dans les années 1990. »
Pour Youcef Lamari, directeur du commerce de la wilaya (préfecture) d’Alger, c’est le manque de places légales de commerçants qui est à l’origine du développement de ce système. « Le vide en infrastructure a été comblé par l’informel, qui donne une image anarchique de la ville, a-t-il déclaré au quotidien Horizons, le 4 octobre. C’est ainsi que nous avons décidé d’éliminer ces marchés tout en mettant en place un programme de réalisation de nouveaux marchés couverts et de proximité. »
Sur les 7 347 commerçants illégaux enregistrés en 2005 à Alger par les autorités, 3 654 auraient été placés dans ces nouvelles structures de vente.
Flou dans l’attribution des places légales
À Belcourt, les petits vendeurs sont incrédules. La rue latérale où sont installés de nombreux étals regorge de jeunes marchands qui affirment ne pas obtenir de place dans ces nouveaux espaces commerciaux. « La préfecture nous a fait remplir des dossiers mais depuis, on nous dit qu’il n’y a rien pour nous, se désole Reda, 26 ans, devant son stand de robes et de livres pour enfants. »
« Des emplacements officiels ont bien été octroyés, ajoute son collègue Mohamed, mais pas toujours à des gens du quartier, ni à ceux qui en ont vraiment besoin. » Sur d’autres marchés également, les vendeurs se plaignent du flou des critères d’attribution de ces places légales.
D’autres n’ont pas pu déposer de dossier. « Je suis un fils de Belcourt, je vends ici depuis 12 ans, explique Mourad, 25 ans, la main posée sur l’épaule d’un copain. Je dois nourrir une famille de cinq personnes, et je gagne quelques centaines de dinars par jour. Impossible d’épargner les quelques 40 000 dinars (environ 400 euros) requis pour la demande d’une place en marché couvert. » La majorité des vendeurs informels, qui n’ont pas de qualification, s’inquiètent donc pour leur avenir.
Pour les autorités d’Alger, le but est aussi de garantir l’origine et la qualité sanitaire des produits – des insuffisances qui affectent aussi les commerces légaux. La sécurité des lieux est aussi une question préoccupante. « En cas d’urgence médicale ou d’incendie, craint Hassan, on ne pourrait rien faire car la rue est complètement bouchée. »
Mais beaucoup d’Algérois trouvent leur intérêt dans ce système informel. Pour la clientèle des quartiers modestes, l’argument financier est le plus fort. « Les prix sont bien moins chers sur ces stands, estime Aïcha, 61 ans, qui a toujours vécu dans le quartier. Et puis on est plus à l’aise pour regarder les produits que dans un magasin. Ici c’est mon marché ; je ne sais pas faire mes courses ailleurs. »