Marche du 19 février à Alger, régime de Bouteflika, corruption, levée de l’état d’urgence, rôle de l’armée en Algérie, coordination nationale pour le changement et la démocratie, participation du RCD aux deux premiers gouvernements du président Bouteflika… Lors de son passage, vendredi 18 février sur le plateau de la chaîne de télévision française France 24, Said Sadi, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, dénonce par-ci et s’explique par là. Compte rendu.
La Coordination nationale pour le changement et la démocratie a tenu sa première action de rue le 12 février .Pour le leader du RCD, la marche un « succès ». « C’est incontestablement un succès. D’une part, le mur de la peur est tombé, d’autres part, le régime a montré son véritable visage », estime Said Sadi qui dénonce le recours par la police à la brutalité pour mater les manifestants.
« Lorsque l’on n’a pas peur, on n’encercle pas une capitale, en y interdisant l’accès des trains et des transports publics, on ne met pas 30 000 policiers au centre-ville, 15 000 autres pour empêcher des citoyens de venir. On n’encercle pas les cités universitaires et les quartiers populaires pour empêcher les gens de se rassembler et d’affluer C’est un signe de panique», explique-t-il.
« Les puissances occidentales ont fait jusque là preuve de complaisance avec le régime algérien »
Au lendemain de la marche réprimée, la France, les USA, l’Allemagne et Parlement européen ont invité les autorités algériennes à faire preuve de « retenue » et à garantir le droit d’expression des Algériens. Sadi se réjouit de ces réactions.
« Les puissances occidentales qui ont fait jusque là preuve de complaisance avec le régime algérien, ont finit par voir qu’il n’y a plus possibilité d’entretenir des relations adultes, transparentes et sérieuses », analyse-t-il.
Marche du 19 février : « Chacun prend ses responsabilités »
Après la marche avortée du 12 février, le CNCD maintient la pression, en appelant à une nouvelle marche samedi 19. Même heure et sur la même trajectoire. De la place du 1er mai jusqu’à la place des Martyrs. Le chef du RCD estime que « chacun prendra ses responsabilités », allusion à la gestion répressive des manifestations publiques par les autorités.
« Nous manifesterons demain et reviendrons à la charge chaque semaine. Une idée d’une grève générale est envisagée si jamais le régime reste dans son entêtement pare qu’il est complètement enkysté et vit dans un déni de réalité », affirme-t-il.
Début janvier, l’Algérie a été secoué par des « des émeutes de manière spontanée », rappelle le chef du RCD pour qui « le pouvoir veut laisser le caractère émeutier à la contestation pour justifier la répression. »
« L’originalité et la crédibilité de la coordination est la jonction avec la casse politique »
L’invité de France 24 a défendu la CNCD, en dépit des divergences qui la traversent. « La CNDC est composée de segments de la classe politique et de la société civile qui ne sont pas sur la même onde politiquement, mais qui sont d’accord sur le changement immédiat du régime et une ouverture de la transition transparente pour remettre a plat l’ensemble de la vie publique confisquée depuis l’indépendance », soutient-t-il.
Pour le patron du RCD « ce qui fait l’originalité et la crédibilité de cette coordination, c’est qu’elle a fait jonction avec la casse politique ».
Bouteflika, un « Bango blanc »
Interrogé si le régime du président Bouteflika ressemblait à celui du tunisien Ben Ali ou de l’égyptien Hosni Moubarak, le président du RCD note des similitudes entre les trois chefs d’Etat en qualifiant, sans le citer, Bouteflika de « Bango blanc ».Omar Bango, président du Gabon décédé en juin 2009, connu pour avoir érigé corruption, népotisme et clientélisme comme mode de gouvernance.
« Sur le fond, avance Sadi, les raisons qui ont amené les révoltes tunisiennes et égyptiennes, ce sont les coups d’Etats, les fraudes électorales, la corruption es familles régnantes et la misère sociale (…) S’il fallait vraiment voir le personnage (Bouteflika, Ndlr), je crois que c’est plutôt un Bango blanc qui recourt au népotisme et à la ruse comme mode gestion publique, mais fondamentalement, les causes qui ont mené a l’explosion sont les mêmes ».
Toutefois, il souligne que chaque pays a son histoire et ses traditions: « On ne photo-copie pas des révolutions », précise-t-il.
Levée de l’état d’urgence est « une ruse »
La décision du président Bouteflika de lever l’état d’urgence en vigueur en Algérie depuis février 1992, le président du RCD n’y voit qu’une une ruse. « C’est une ruse, tranche-t-il. D’abord l’état d’urgence n’est pas levé. Dans la demi-heure qui a suivi, il a dit oui. Puis, il a dit qu’il est maintenu sur la capitale, la ville la plus sécurisée du pays. On ne comprend pas pourquoi il faudrait le maintenir ».
Bouteflika un bonimenteur
Pour Sadi, le président algérien est un bonimenteur. « En disant qu’on pouvait manifester dans d’autres villes, il a menti. La manifestation d’Oran qui a lieu au même temps que celle d’Alger a été violement réprimée », rappelle-t-il. « Bouteflika n’est pas dans une position d’intelligence, mais dans une position de ruse. Mais la ruse est dépassée», note l’invitée de France 24.
Le problème est le régime
Said Sadi estime le problème « n’est pas l’état d’urgence », mais plutôt « le régime ». « Et ce n’est pas le chantage à l’islamisme ou le chaos qui va nous faire reculer, insiste-il. Le danger en Algérie, ce n’est plus l’islamisme, mais c’est le régime »
Il indique par ailleurs que la régime se trompe au misant sur « la lassitude » de la société algérienne. « Il (le régime) ne sait pas qu’il y a un renouvellement de générations et que le rejet sont il est l’objet est plus fort que toutes les fatigues », constate le président du RCD.
Pour la seule année 2010, plus de 9 700 émeutes ont secoué diverses régions d’Algérie, rappelle-t-il « Le pays est devenu un brasier. La gérontocratie vit dans sa bulle, le statut-quo est impossible », s’inquiète-t-il.
L’armée algérienne : « Il faudra qu’elle prenne ses responsabilités
Le leader du RCD est revenu par ailleurs sur le rôle de l’armée « historiquement au cœur du pouvoir depuis 1962 » en Algérie. « L’armé est aussi traversée par les courants qui traversent la société. Il faudra qu’elle prenne ses responsabilités. Sa chance c’est d’essayer de sortir par le haut de cette crise », estime-t-il.
Il prévient : « Si elle s’entête à vouloir confisquer le pouvoir, ça sera un affrontement qui l’emportera elle-même ».
Entrée au gouvernement : « Nous avons testé la crédibilité du régime »
La participation du RCD aux deux gouvernements formées par le président Boutflika entre 1999 et 2003 a suscité et suscite encore critiques et controverses. Certains continuent de reprocher aux dirigeants du RCD d’avoir soutenu Bouteflika au début de son mandat avant de se retourner contre lui.
Sadi s’en explique : « Il n’est pas interdit de participer à une gouvernement. Nous avons pris part parce qu’il (Bouteflika, NDLR) a installé des commissions de reforme de l’éducation, de la justice, etc… ».
Le parti du RCD s’était retiré, indique-t-il, en raison de l’étouffement de ces commissions. « Mais comme toujours, la ruse au lieu de l’intelligence, c’est que ces commissions ont été étouffées. Nous avons créé un acte de pédagogie dans la vie politique algérienne(…) Nous avons testé la crédibilité et les intentions de ce régime et on a prouvé qu’on pouvait participer au gouvernement et se retirer lorsque les principes sont violées », conclut-t-il.
Le RCD comptait deux ministres dans le gouvernement d’Ahmed Benbitour (décembre 1999- août 2000) puis de celui d’Ali Benflis (août 2000-mai 2003) avant de claquer la porte le 1er mai 2001 au lendemain de la répression des manifestations en Kabylie qui avait à l’époque une cinquantaine de morts.