Le concept d’informel, découvert dans les années 1970, existe dans toutes les économies. «C’est une réalité universelle mais à des proportions qui varient selon les capacités d’emploi offertes dans le marché formel».
N’ayant pas pu accéder à un emploi, les jeunes Algériens, souvent sans niveau scolaire requis, versent dans le marché informel. Un marché qui, malgré sa répression, est en augmentation constante en Algérie. Actuellement, pour ces jeunes ce n’est plus de l’argent de poche dont il est question mais d’un revenu qui leur permet de prendre en charge leurs familles.
Pour débattre de cette question qui touche des milliers de jeunes Algériens et Algériennes, l’émission «Question d’Actu» de Canal Algérie, a tenté avant-hier de comprendre ce phénomène grâce aux explications de spécialistes.Ainsi, pour comprendre comment ces jeunes sont arrivés sur le marché de l’informel, Mohamed Saïb Musette, sociologue et chercheur au Cread, indiquera que «quand on est défavorisé et qu’on n’a pas accès à l’emploi à ce niveau, on ne cherche même pas la réglementation. On va s’adonner à un travail honnête, en achetant et revendant un produit donné», soulignant que «le concept d’informel, découvert dans les années 1970, existe dans toutes les économies. C’est une réalité universelle mais à des proportions qui varient selon les capacités d’emploi offertes dans le marché formel». Plaidant en faveur de ces jeunes «très malléables» avec lesquels «on peut faire beaucoup de choses» et auxquels «il faut faire confiance, et parler avec eux leur langage», Mohamed Saib Musette dira que ces «jeunes c’est un monde à part. Entrer dans ce monde et vous verrez qu’il y a beaucoup de créativité».
«Il y a un cri de la jeunesse pour un emploi digne»
Aussi, déplorera-t-il qu’«on en ait fait des inutiles» et que «chaque année on exclut de l’école 500 000 jeunes qu’on met à la rue et que les parents n’arrivent plus à tenir». Et là, ces jeunes, étayera le sociologue, «essaient de gagner leur vie par tous les moyens, en vendant dans la rue. Ils essaient de vivre, de survivre». C’est ainsi que le sociologue mettra sur la table «les différentes tentatives de ces jeunes à quitter le pays». Il s’agit là, expliquera Mohamed Saib Musette, d’un «cri de la jeunesse pour un emploi digne, un salaire décent qui correspondent à ses capacités». Dans ce contexte, il s’interrogera sur l’utilité réelle des différents dispositifs d’emploi qu’il qualifiera de «précaires». A l’instar de ces médecins pris dans ces dispositifs à qui on donne 7 000 DA alors qu’on les fait travailler encore plus que ceux titulaires. L’informel, soulignera-t-il, touche toutes les catégories sociales et toutes les tranches d’âge à même de travailler. Par ailleurs, le sociologue abordera les grandes activités de l’informel, qui, dira-t-il, sont l’œuvre de couches sociales aisées. Ainsi, parlant de l’importation des pétards à la veille du Mouloud, les jeunes qui revendent ces produits affirment tous, selon lui, qu’«avant de s’en prendre à eux, vendeurs, il faudrait s’interroger sur qui a ramené et fait passé ce produit ? Pour nettoyer un escalier, c’est d’en haut qu’il faut commencer à balayer non pas par le bas».
2/3 des ménages en Algérie s’approvisionnent du marché informel
Quant à Bouchama Chouam, professeur en économie à l’université d’Oran, il fera le constat selon lequel pour une question de coût, «les 2/3 des ménages en Algérie s’approvisionnent du marché informel». Il relèvera qu’au stade actuel «il est question d’analyser la nature de ce marché informel». Il expliquera alors que souvent il est question de lutter contre le marché informel alors qu’«il ne s’agit pas de lutte car il n’ y a pas d’ennemi en face, il n’existe pas. L’ennemi, c’est un agent économique qui n’est pas déclaré et non domicilié». Il arguera que «dans les pays développés, prenant l’exemple de l’Italie, il n’a jamais été question de chasser le marché informel, mais plutôt de l’organiser, de le ramener vers le formel». Par ailleurs, le professeur relèvera que certes «l’informel est lié dans une large mesure au problème du chômage, mais ce dernier n’est pas la seule explication de la propagation de l’informel. Il y a certains qui de par le formel gagnent beaucoup plus en travaillant dans l’informel».
«Il faut éviter de provoquer ces jeunes»
De ce fait, Bouchama Chouam dira qu’«il faut éviter de provoquer ces jeunes qui sont dans l’informel. Il faut réfléchir plus à trouver des solutions qu’à les réprimer, il faut communiquer avec ces jeunes. Souvent lorsqu’on leur demande pourquoi ne pas créer une petite entreprise, ils ignorent comment ouvrir une activité commerciale, en raison d’un manque de communication. Les pouvoirs publics dépensent certes beaucoup d’argent, mais ils communiquent très mal».
70% de personnes à moyen revenu dans l’informel
En outre, Mme Amel Lakehal, directrice de la population et de l’emploi à l’Office national des statistiques (Ons), soulignera qu’il y a une conjugaison de plusieurs facteurs économiques et sociaux qui font qu’un taux de 44% de la population active a été enregistrée en 2009 dans l’informel, hormis le secteur agricole, contre 34% en 2001.
Ainsi, parmi les facteurs ayant contribué à la prolifération de l’informel, la responsable à l’Ons citera le passage d’une économie administrée à une économie de marché, une croissance démographique qui a suscité une tension sur le marché de l’emploi, en ce sens où dix millions huit cent mille personnes sont âgées entre 15 et 20 ans en 2009, soit 31% de la population algérienne. Sur cette question de statistiques, Bouchama Chouam reprenant la parole affirmera qu’«il est très difficile d’apprécier réellement la population exacte qui exerce dans le marché informel». Et d’ajouter que «70% des personnes dont le revenu se situe en moyenne autour de
20 000 DA et moins vont acheter les produits de première nécessité dans ces marchés informels». Ce qui démontre l’ampleur de ce phénomène en Algérie. C’est la raison pour laquelle, poursuivra-t-il, «il faut raisonner à une stratégie à long terme» sur ce phénomène.
21,52% de femmes exercent dans ce secteur
Pour Yamina Rahou, sociologue au Centre national de recherches en anthropologie sociale et culturelle d’Oran (Crasc), dont les travaux de recherches sont essentiellement axés sur les femmes, affirmera qu’une étude menée en 2006 sur les femmes et leur intégration économique, dont une partie a concerné le travail informel et qui ont touché 14 wilayas, les chiffres ont révélé que 21,52% des femmes exercent dans l’informel. Ces femmes sont en majorité des jeunes femmes célibataires âgées entre 16 et 25 ans dont le niveau d’instruction est situé entre le moyen et le secondaire. Elles représentent donc les exclues du système scolaire. Elle sont pour la plupart d’entre elles issues de familles nécessiteuses. 45% d’entre elles travaillent dans l’informel pour disposer d’un revenu personnel, pour les autres c’est pour aider leur famille. Il est incontestable que l’informel a permis à ces jeunes filles d’accéder à une certaine indépendance financière et de participer à la prise en charge de leurs familles.
L’activité informelle permet aussi à d’autres d’accéder à l’activité privée. Parallèlement à cela, il y a des contingents de femmes diplômées qui arrivent sur le marché du travail. Donc nous sommes face à deux défis. D’une part, comment insérer dans des activités légales celles qui travaillent déjà dans le cadre de l’informel, d’autre part, répondre à cette forte demande de l’emploi formulée par les femmes diplômées.
Par Lynda N. Bourebrab