Alger retient son souffle. L’Algérie tout entière aussi. La marche du 12 février est sur toutes les lèvres. L’initiative de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) accapare, en attendant samedi, toutes les discussions, suscite les commentaires les plus engagés comme les plus tièdes… nourrit les espoirs mais aussi quelques inquiétudes chez les pessimistes.
Sofiane Aït-Iflis – Alger (Le Soir) – De quoi samedi sera-t-il fait ? C’est la question que d’aucuns ne cessent certainement de se poser. Alger a rendez-vous avec l’Histoire… une histoire qui, pour le monde arabe, s’accélère. Tunis a fait sa révolution, a contraint Ben Ali à vider le somptueux palais carthaginois pour ruminer les affres de l’exil dans la lointaine Arabie. Du Caire montent toujours des volutes épaisses de colères. La place Tahrir ne désemplit toujours pas, contraignant le Raïs Moubarak à se départir de sa superbe. Alger, qui jusque-là, suit les révoltes tunisienne et égyptienne à travers le tube cathodique et les différents sites internet, se prépare à braver l’interdit qui fait d’elle une citadelle qui doit étouffer ses colères. Elle seule, puisque ailleurs, dans le reste des villes algériennes, les gens peuvent manifester à convenance. Le pouvoir n’aime pas entendre les colères citoyennes gronder de très près.
Aussi a-t-il décidé depuis dix ans déjà d’interdire les marches dans la capitale. Pas toutes, puisque celles qui postulent à renforcer son assise sont tolérées. N’ayant pas pour vocation de brandir des banderoles ou scander des slogans encensant le pouvoir, le système politique en place depuis l’indépendance, la marche nationale et pacifique à la quelle a appelé la Coordination nationale pour le changement et la démocratie est interdite. Plutôt trois fois qu’une. Il y a eu d’abord le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould-Kablia, qui rappela cette loi d’exception qui fait d’Alger une cité interdite aux marcheurs. Il y eut ensuite le vice-Premier ministre Yazid Zerhouni qui insista ferme sur l’interdiction de la marche. Et en troisième lieu, le Conseil des ministres qui renforça l’affirmation. La Wilaya d’Alger, auprès de laquelle la Coordination pour le changement et la démocratie sollicita, formalisme oblige, une demande d’autorisation de la marche, objecta lundi 7 février un refus au motif que la manifestation risque de perturber l’ordre public.
Le lendemain, soit le mardi 8 février, la Coordination pour le changement et la démocratie, réunie à Alger, a déclaré maintenir sa marche. Les autorités sont mises devant leurs responsabilités. A voir l’arsenal d’engins anti-émeutes maintenu à différents endroits d’Alger depuis le 22 janvier dernier, date de l’organisation par le RCD d’une marche avortée, il est aisé de comprendre qu’elles se préparent à réprimer la marche de samedi prochain.
Un avant-goût a été donné hier à travers l’impressionnant dispositif de sécurité déployé pour empêcher que les gens ne rallient le rassemblement de la CNCD devant l’ambassade d’Espagne.
La rue longeant l’ambassade a été barricadée par la police à chacun de ses deux bouts. N’empêche que les membres de la Coordination ont pu se rassembler en contrebas et scander à gorges déployées «Moubarak barra», «Bouteflika barra». Une halte politique fort significative, tant elle participe d’un prééchauffement pour la marche du 12 février prochain. Une marche aux couleurs du changement réclamé par une Algérie plurielle. L’initiative, qui se veut un enchaînement sur les émeutes juvéniles du début de l’année, est le fruit d’un consensus national.
De bords politiques distincts, les animateurs de la CNCD ont, dans une formidable synergie, réussi à transcender leurs clivages et querelles pour se retrouver autour de mots d’ordre faisant consensus. C’est dire que le désir de voir le pays opérer le changement vers la démocratie est une commune préoccupation. C’est pour cela aussi que le pouvoir, manœuvrier à outrance, parfois habile, a raté lamentablement de dissuader la Coordination qui maintient sa marche. L’engagement citoyen a été plus déterminant que la manœuvre des autorités. Samedi, le tournant ?
S. A. I.