Près de dix ans après le 11-Septembre, le terrorisme islamiste ne recrute plus dans les mosquées mais sur Internet, explique le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic. Les transports en commun demeurent une cible privilégiée, selon lui.
Dans un entretien accordé vendredi 05 août à l’Associated Press, le magistrat confie qu’il ne croit pas à une attaque d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) sur le sol français mais redoute surtout une résurgence du terrorisme d’Etat à la libyenne.
Selon lui, ce qui a le plus changé depuis les attentats du World Trade Center, c’est la façon dont les intégristes musulmans enrôlent des apprentis terroristes. « Avant, on était recruté dans les mosquées », rappelle-t-il, « aujourd’hui, il n’y a pas un seul dossier où les membres du groupe n’aient pas été recrutés par Internet ».
Ce tournant numérique a commencé avec la guerre en Irak en 2003. « On a vu cette montée en puissance de l’outil Internet, d’abord comme propagande puis après pour passer des messages et faire du recrutement », observe le juge d’instruction au pôle antiterrorisme.
Il a constaté une « explosion » du nombre de jeunes qui voulaient partir combattre les Etats-Unis jusqu’en 2008. Mais actuellement, « il n’y a plus de filière irakienne », assure-t-il. « Maintenant, on voit resurgir des filières vers la zone pakistano-afghane. » A cette différence près qu’il est « plus difficile de vendre le Waziristan à des jeunes musulmans que de vendre l’Irak ». Il estime à près d’une vingtaine le nombre de résidents français partis s’entraîner là-bas.
Interrogé sur les cibles potentielles en France, il souligne que les terroristes islamistes éprouvent un « attrait » pour l’attentat aveugle commis à l’explosif. « Il leur faut des lieux publics fréquentés (…) Et du coup, ce sont les moyens de transport qui sont assez ciblés traditionnellement ». Les attentats de Madrid en 2004 ont frappé des trains, ceux de Londres en 2005 des métros et un bus.
Le juge Trévidic ne croit pas à une attaque bioterroriste car « il faudrait des moyens très perfectionnés pour faire autant de dégâts qu’une attaque traditionnelle ».
Le magistrat n’accorde aucun crédit non plus aux menaces proférées par Al-Qaïda au Maghreb islamique contre la France. « L’AQMI n’arrive qu’à taper dans sa zone en enlevant ou tuant des touristes et on n’a rien vu poindre comme opération extérieure importante en Europe », relève-t-il.
Quel que soit le groupe terroriste, le juge se montre sceptique quant à l’éventualité d’une attaque contre un édifice gouvernemental, religieux ou touristique. « A Paris, ce n’est pas forcément évident d’avoir un camion bourré d’explosifs pour faire sauter un bâtiment public », note-t-il. « Il faudrait vraiment quelque chose d’envergure, avec des gros moyens et je ne sais pas s’il y a un groupe aujourd’hui qui est capable de ça. »
« Moi, j’ai toujours en arrière-plan l’idée qu’on peut aussi avoir un terrorisme d’Etat qui revienne, c’est-à-dire non pas des petits groupes de la mouvance d’Al-Qaïda mais des attentats comme on en a connus, beaucoup plus violents et structurés parce qu’ils sont télécommandés par un Etat », s’inquiète-t-il. « Vu le côté un peu flou aujourd’hui de ce que va être le Moyen-Orient et le Maghreb demain, on peut avoir des soucis de ce côté-là », estime le juge Trévidic.
Marc Trévidic, né en 1965, est un magistrat français, actuellement juge d’instruction au Tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme. Il est chargé notamment du dossier de l’assassinat des 7 moines de Tibhirine, en Algérie, enlevés puis tués en 1996.