Peu de dates liées à la marche vers le recouvrement de la souveraineté nationale et des droits spoliés, hormis peut-être le Congrès de la Soummam, ont vu ces dix dernières années les projecteurs de l’Histoire et de la recherche braqués sur elles autant que sur celle qui symbolise l’engagement total et les sacrifices des émigrés pour l’indépendance du pays.
Certes, l’Algérie avait institué « la Journée de l’émigration » mais cela ne donna pas lieu à un foisonnement éditorial, ne suscita pas de films et des débats qui tracent les contours de l’identité et de la conscience des peuples. C’est en premier lieu ce dévoilement d’un épisode en réalité souvent invoqué mais si peu connu qui est remarquable. Des travaux d’une grande qualité et précision comme ceux de Jean-Luc Einaudi, Linda Amiri, Neil Macmaster ou Gilles Manceron ont permis de mieux connaître cette journée qui vit des milliers d’Algériens se déverser pour une manifestation pacifique dans les rues de Paris. Femmes, enfants et hommes, qui souvent étaient de simples ouvriers loin de leurs familles, ont refusé, par ce geste, le couvre-feu imposé quelques jours auparavant par le préfet de police Maurice Papon, rattrapé depuis par ses crimes. C’est d’ailleurs dans le sillage des procès intentés à Papon le collabo, en 1997-1998, que s’est engouffrée par effraction la mémoire liée au 17 Octobre 1961. Celle-ci s’est ensuite révélée un chapitre important dans les souvenirs écrits d’hommes comme Omar Boudaoud, Ali Haroun ou plus récemment Ghafir Mohamed dit Moh Clichy, qui furent à divers titres des inspirateurs ou des organisateurs de ces manifestations qui défièrent l’ordre colonial chez lui. Le déroulement de « la bataille de Paris » où des Algériens et Algérienes furent noyés dans la Seine et d’autres parqués dans des parcs et stades, est désormais connu. C’est un repère de la mémoire. En premier lieu pour les enfants de la première génération de l‘émigration qui s’en réfère dans des films, des documentaires qui presque chaque année viennent enrichir une filmographie déjà bien fournie. La France qui a longtemps étendu un voile sur son passé et singulièrement sur ces événements, objet, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Manceron, d’une « triple occultation », redécouvre aussi un épisode peu glorieux de son histoire et les grenouillages qui avaient alors entaché son appareil d’Etat. Des témoignages, dont le dernier livre de Marcel et Paulette Péju ou le film Octobre à Paris, de Jacques Panijel, restés longtemps inédits, ne cessent d’éclairer des zones sombres d’un massacre à grande échelle.
La fin des illusions
Octobre 1961 fut un aboutissement. La Fédération de France du ne fut pas une structure symbolique pour les dirigeants du FLN. Outre que ses cotisations assuraient plus de 80% des ressources qui permirent d’assurer une autonomie aux instances de la Révolution algérienne, son activité à partir d’août 1958 eut un prolongement militaire sur le terrain avec des attaques contre des infrastructures économiques ou des éléments qui étaient impliqués dans les exactions contre des Algériens. Un commando s’en prit même à Jacques Soustelle qui fut gouverneur en Algérie.
Ces attentats des commandos du FLN donnèrent à Papon le prétexte pour multiplier les mesures racistes car bien avant le 17 octobre, les fouilles, les contrôles musclés et parfois les assassinats d’Algériens se multiplièrent.
Les manifestations du 17 Octobre, qui furent très visibles par l’ampleur de la répression, ont prolongé l’action politique du FLN qui avait également sensibilisé des intellectuels de renom, des avocats et des ecclésiastiques sur la justesse de ses positions. Après le 17 Octobre 1961, les masques sont tombés.
De Gaulle croyait-il encore que la logique de répression pouvait payer ou est-ce une manière pour lui de se dédouaner aux yeux des partisans de l’Algérie française ? L’opinion française découvrit surtout la nature d’un conflit qu’elle croyait réduit à des « opérations de maintien de l’ordre ».
Après les manifestations grandioses d’Alger en décembre 1960, le maintien de l’ordre colonial condamné par l’évolution de l’histoire est devenu un non-sens.
La fin des illusions a sonné. L’Histoire aura retenu que les graines du mouvement indépendantiste ont été semées dans les milieux de l’émigration algérienne qui n’avait cessé de jouer un rôle important au point que l’appellation « 7e Wilaya » ne fut nullement usurpée. En France, des associations et des politiques sont toujours tentés par le négationnisme.
A défaut d’une reconnaissance par l’Etat français, la flamme du souvenir ravivée chaque année demeurera un devoir de mémoire. Un rappel de ce crime d’Etat aux consciences hypocrites ou assoupies.
H. Rachid