Manifestations contre la cherté de la vie : Scènes de saccage et importants dégâts dans plusieurs villes

Manifestations contre la cherté de la vie : Scènes de saccage et importants dégâts dans plusieurs villes

Plusieurs édifices d’intérêt public ont été saccagés par des jeunes dans plusieurs villes de l’est du pays, en signe de protestation contre la cherté de la vie.

Scandant des slogans « contre les augmentations des prix des denrées et le chômage », les manifestants s’en sont surtout pris aux sièges d’institutions publiques, à l’exemple des sièges communaux, banques et bureaux de poste après avoir bloqué de nombreux accès à l’aide de pneumatiques en feu.

A Ras El Oued, deuxième ville de la wilaya de Bordj Bou-Arréridj, où les premiers signes de protestation avaient éte constatés dès jeudi, l’agitation s’est poursuivie vendredi matin par l’occupation des artères principales où l’on a constaté que des édifices publics sont gravement endommagés pour certains, comme la Sonelgaz, les sièges de l’APC et de la daïra, la direction des impôts, les locaux de la CNEP et des Postes et télécommunications (ACTEL), et plusieurs établissements solaires.

Au chef-lieu de la wilaya, des jeunes du quartier populaire d’El Djebbes ont tenté vers 20 heures de s’attaquer par des jets de pierres au siège de la sûreté de wilaya avant d’être repoussé par les services d’ordre. Ces jeunes, après avoir brûlé quelques pneus dans la rue menant à la cite des « 1.008 logements » ont pris pour cible les sièges de la banque Société Générale, de la CNEP d’un opérateur privé de téléphonie mobile, implantés à la lisière du quartier El Djebbes.

A M’sila, les manifestants ont investi dans la nuit les rues de la ville, s’adonnant à des actes de pillage, selon des témoignages recueillis, auprès de nombreux citoyens qui ont exprimé leur « écoeurement » face à de telles scènes.

Les quartiers « Ichbilia », Boukhmissa, « 270 logements », Mouilha, « 500 logements », Guerfala et La Rocade ont été également le théâtre de cette subite protestation. La bibliothèque communale a été complètement saccagée et ses équipements volés, ainsi que le bureau de poste d’Ichbilia, une station-service à la sortie Est de la ville, le siège de la BEA où des micro-ordinateurs ont été emportés, le Musée du Moudjahed, le siège de l’Inspection du travail, la subdivision de la DUC, les directions de la planification, des Mines et de la PME.

Dans la ville de Sétif, alors que le siège de l’APC, a été épargné grâce à l’intervention des forces de l’ordre, c’est l’antenne administrative du quartier de Bel-Air qui a été ciblée dans la soirée de jeudi par les jeunes manifestants causant des dégâts importants à cet édifice.

Les troubles se sont propagés dans les quartiers périphériques de « El Hidhab », « Tandja », les « 500 logements » et la cité Hachemi, donnant lieu à des blocages de chaussées par des pneus brûlés, au saccage du siège d’un opérateur privé de téléphonie mobile et à des échauffourées avec les forces de l’ordre. Aïn Fakroun (Oum El Bouaghi), de violentes manifestations de jeunes ont également eu lieu dans la même nuit, conduisant à d’importants dommages, notamment dans le mobilier urbain (destruction de candélabres d’éclairage public) et au siège d’un opérateur téléphonique.

Dans la wilaya de Mila, en plus de barricades dressées au moyens de pneus brûlés à l’entrée du chef-lieu de wilaya (RN 79, près du quartier Sennaoua), de jeunes manifestants ont bloqué plusieurs routes (RN 5 et 100) à Chelghoum Laïd où des scènes de saccage ont été enregistrées au siège de l’APC, au technicum Kheïra-Zerrouki et au nouveau CEM.

Des scènes analogues ont été observées en fin d’après- midi à Jijel (quartier dit des « 40 hectares »), à Souk Ahras où des affrontements avec les forces de l’ordre ont été constatés dans les quartiers Ibn Khaldoun, Mouloud Feraoun, « 108 logements » et Laâlaouia, et dans certains quartiers périphériques de la ville de Constantine (Sidi-Mabrouk inférieur, Oued El Had et Ziadia, en plus de la localité de Zighoud-Youcef.

Des scènes analogues ont été observées dans la région d’Alger et d’autres villes encore.

Destruction des biens publics et privés : De nombreux citoyens indignés

De nombreux citoyens ont déploré hier la manière dont des groupes de jeunes ont protesté contre la hausse des prix de produits de première nécessité, estimant que les manipulations sont « toujours possibles avec cette frange de la population « .

« Dans bien des pays en développement ou industrialisés, des augmentations, voire des mesures très sévères comme en Grande- Bretagne, Portugal, Grèce, n’ont pas provoqué de violences », a relevé un enseignant en retraite, M. Rachid B, visiblement étonné par ce brusque mouvement de protestation même si la « mal vie » touche un pan important de cette jeunesse. « Quand on parle de flambée des prix, je vois des travailleurs manifester et non pas forcément des jeunes », a-t-il ajouté, notant que dans ces pays « soumis à l’approbation populaire, les mesures d’austérité, de diminution des salaires, et certaines prestations sociales exceptionnellement impopulaires et drastiques, n’ont nullement provoqué autant d’actes de violence ». « La vie est de plus en plus chère, certes, mais nos jeunes n’avaient vraiment pas besoin de s’exprimer de cette manière », affirme M.H Mourad, chauffeur de taxi. »J’ai parfois l’impression qu’ils sont inconscients », a-t-il poursuivi, relevant que brûler un bus ou casser un candélabre d’éclairage public c’est « surtout pénaliser le commun des citoyens des bienfaits de la vie citadine ».

Destruction d’une usine à Baraki : 300 emplois perdus

Au marché d’El-Harrach où chacun s’improvisait analyste de situation, un commerçant de fruits et légumes laissa choir qu’il ne voyait pas « de lien apparent entre la flambée , dans le monde, des prix du sucre, et ces mouvements de jeunes qui cassent plus qu’ils ne construisent « . « Je ne sais ce qu’il y a dans leur tête, la jeunesse d’aujourd’hui étant imprévisible, mais j’ai une envie de leur faire comprendre que saccager et piller » les biens d’utilité publique « n’est pas la solution ». « C’est simple, le résultat est que moi qui n’y suis pour rien dans le prix du sucre, je suis victime car je ne peux pas utiliser le bus, la poste, la mairie que mon pays a mis à ma disposition », a-t-il dit.

Il s’est demandé comment peut-on admettre de tels actes lorsque, par exemple à Baraki, la destruction de l’usine Continental, spécialisée dans le montage de téléviseurs, a fait perdre 300 postes d’emploi. La destruction d’un musée à Sidi M’hamed (Alger) a eu également pour conséquence la perte d’un nombre important d’emplois. Des réactions similaires ont été recueillies à Staouéli , Cheraga, Ain Benian, et Alger-Centre où un fonctionnaire a, lui aussi, insisté sur la nécessité de se pencher davantage sur les fléaux qui minent la jeunesse, et améliorer leur cadre de vie.

« Certes l’Etat déploie d’énormes moyens pour satisfaire les besoins de la jeunesse, mais ne peut cependant répondre à moindre coût à ces attentes spécifiques en termes de logement et d’emplois mais aussi de qualité de vie » , a-t-il ajouté, notant que « l’accumulation des retards est telle qu’il est difficile de tout satisfaire en une période somme toute très courte dans la vie des nations ». Un économiste D. Mouloud, a affirmé que « les recettes pétrolières affichées font illusion et on oublie un peu trop rapidement que toutes les recettes des hydrocarbures de cette année ne représentent que le chiffre d’affaires d’une seule grande multinationale » .

Il a poursuivi que  » rien que pour son développement, une société d’un pays asiatique émergent, bien connue chez nous, a décidé de consacrer plus 30 milliards de dollars uniquement pour améliorer ses produits existants ».

« Ce n’est que ces 5 dernières années, que l’Etat a bénéficié de recettes exceptionnelles qui ont tout de même permis de résorber une grande partie des retards accumulés, et ouvert des perspectives historiques inédites, pour un vrai décollage économique et social du pays », a-t-il dit.

Les imams appellent les fidèles à contribuer à « calmer les esprits »

De nombreux imams des mosquées d’Alger ont saisi l’occasion de la prière du Dhor d’hier, pour appeler les fidèles à contribuer à « calmer les esprits » et à faire cesser les protestations survenues ces derniers jours dans la capitale et d’autres régions du pays. A la mosquée d’El Houda à la place du 1er Mai, l’imam a rappelé aux nombreux fidèles venus accomplir leur devoir religieux que « saccager des édifices d’intérêt public ou des biens privés pour revendiquer un quelconque droit est un acte incompatible avec les préceptes de l’islam ».

« Vous les parents, les frères et les voisins vous devez porter conseil aux nombreux jeunes qui sont descendus dans les rues d’Alger et d’autres villes pour casser et incendier des biens publics et privés. Et leur dire que cela n’a rien avoir avec la raison ni la religion », a-t-il indiqué à l’attention d’un parterre de pratiquants d’horizons différents.

L’islam qui est une religion de paix et de tolérance n’encourage pas, a-t-il dit, « les musulmans à casser et à brûler leurs propres maisons pour exprimer leur désapprobation quant à la cherté de la vie, le chômage ou autres maux sociaux ».

A la mosquée Haouari-Boumediène à Tessala El Merdja, l’imam a appelé, quant à lui, « les jeunes Algériens à faire preuve de patience face aux problèmes sociaux ».

Il a évoqué, dans ce contexte, la conduite du Prophète Mohamed (QSSSL) qui a durant toute son existence usé de patience face aux problèmes de la vie.

Il a dénoncé dans son prêche les actes de « violence et de vandalisme » commis par certains émeutiers, appelant, par ailleurs, les pouvoirs publics à contribuer à l’amélioration des conditions socio-économiques des citoyens.

La mosquée « El Djihad El Akbar » au quartier des Sources dans les hauteurs d’Alger, a profité de ce rassemblement pour prier « Dieu pour le retour de la paix et de la sérénité au sein de la société algérienne ». Dans son prêche retransmis en direct sur les chaînes de la télévision nationale, l’imam de la mosquée « Aboubaker Essedik » à Oran, a appelé au dialogue pour la résorption des problèmes sociaux, tout en condamnant les actes de violences ayant troublé la vie des habitants de nombreuses villes et régions du pays.