Mama « Haouraght », agricultrice à Menaâ (Batna) : une histoire d’amour de 70 ans avec la terre

Mama « Haouraght », agricultrice à Menaâ (Batna) : une histoire d’amour de 70 ans avec la terre

S’il est une femme qui inspire autant de respect que d’admiration du côté de Menaâ, une austère commune montagneuse de la wilaya de Batna, c’est bien Fatima Kala, agricultrice de son état, connue dans la région sous l’affectueux sobriquet de Mama « Haouraght » (La jaune en chaoui, pour désigner une chevelure jadis flamboyante).

Cette vieille dame de 86 ans, frêle, au visage, aujourd’hui, profondément buriné et aux bras secs et noueux comme les sarments de la vigne grimpante qu’elle entretient et affectionne tant, a pourtant fait rêver bien des jeunes gens quand, adolescente, elle gambadait dans les champs, gaie et insouciante, cheveux au vent, se souvient Mohamed Benmokhtar, un vieil habitant du village.

Très vite, « Haouraght » fut prise de passion. Pas pour un de ces solides gaillards qui lui tournaient discrètement autour, mais pour le travail de la terre. Une passion aujourd’hui longue de 70 ans et qui se prolongera sans doute tant que cette agricultrice aura un souffle de vie.

A la voir débordante d’énergie, absorbée par son travail dans les champs, l’on a du mal à croire que ce petit bout de femme, alerte et aux yeux si pétillants, est octogénaire.

Tout le monde à Menaâ connaît et estime Fatima Kala qui demeure, ici, parmi les rares personnes à n’avoir jamais songé, ne serait-ce qu’un instant, à quitter le travail de la terre. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, Mama « Haouraght » ne quitte jamais son lopin des yeux.

Il est vrai qu’une vieille femme passant sa vie à « écumer » les champs et à travailler la terre, cela n’a rien de bien exceptionnel, surtout dans les zones de montagne en Algérie, comme en Kabylie ou dans les Aurès.

Il reste que Mama « Haouraght », par son côté attachant, sa vivacité et sa forte personnalité, est un cas spécial. Les habitants de Menaâ le savent bien, eux qui ont insisté pour lui rendre hommage, il y a quelques jours, lors de la célébration de la fête du printemps chaoui.

A 16 ans, le début d’une grande passion

Mama « Haouraght » affirme avec son délicieux petit accent chaoui « ne pas (se) souvenir avec exactitude de la date à laquelle elle a décidé de rejoindre les champs pour travailler le lopin où (sa) famille cultivait des fruits et des légumes ».

Elle affirme néanmoins que son histoire avec la terre a commencé après son mariage. « Je devais donc avoir 15 ou 16 ans », dit-elle.

Elle s’est rapidement retrouvée investie d’une lourde responsabilité puisque son époux, tombé très vite malade, ne pouvait plus travailler sa terre. Elle décida alors de prendre les choses en main pour faire vivre sa petite famille.

Fronçant les sourcils pour « remonter » à 70 ans en arrière, elle souligne, en semant des graines d’un geste machinal, que les choses n’ont pas toujours été faciles.

« Je devais m’occuper de mon mari malade, accomplir les tâches ménagères et aller ensuite, très tôt le matin, dans les champs », dit-elle avant d’ajouter qu’elle devait aussi parcourir, chaque jour, plus de 5 km pour ramener du bois depuis la « Montagne bleue » pour réchauffer les siens et leur préparer à manger, puis chercher du foin pour les vaches avant de les traire ».

Sa fille Mahbouba (60 ans) enchaîne : « depuis ma tendre enfance, j’ai vu ma mère, qui a eu sept enfants dont cinq sont en vie, s’occuper de la terre puisque mon père était invalide.

Mais ce que je retiens surtout c’est son ardeur à la tâche, sa santé et sa façon de respirer la vie à pleins poumons ». Elle ajoute fièrement, avec beaucoup d’affection, que même si sa maman s’approche allègrement des 90 printemps, elle continue d’entretenir sa terre, à cueillir les récoltes et même à écouler sa production les jours de marchés.

Le champ de Mama « Haouraght », un petit éden « parfumé » à la source de Tasserift

Mama « Haouraght », dans le carré familial situé dans une zone de Menaâ, appelée localement Hazdiyin (le pays du palmier), est parfois aidée de sa fille Mahbouba et de son petit-fils Mohamed. Fière de sa terre, la vieille dame affirme avoir réussi un « grand pari » en cultivant des plantes du Tell, mais aussi du Sahara.

En effet, outre les arbres fruitiers (figuiers, grenadiers, abricotiers, pêchers et oliviers), cette agricultrice a également réussi à planter avec succès des orangers et des palmiers.

En fine connaisseuse de la terre et de ses secrets, elle affirme que le climat de la région est favorable à la culture des agrumes et des dattes, contrairement à d’autres régions des Aurès.

Soucieuse de tenter autre chose, Fatima Kala s’est essayée à la culture des légumes pour réussir une nouvelle fois son pari en faisant sortir de terre des légumes bio parfumés aux « saveurs » de Tasserift, un endroit verdoyant où jaillissent les eaux d’une source éponyme réputée pour être la principale source d’irrigation des champs de Menaâ.

Ultime confidence, Mama « Haouraght » souligne ne plus pouvoir se passer de la terre. Ici, dit-elle, « je ressens une sorte d’apaisement. La nature, la verdure et la source d’eau de Tasserift, coulant paisiblement, me sont devenues indispensables ».

Malgré toute l’attention dont l’entourent ses enfants et l’affection qu’ils lui portent (ils la supplient parfois de « prendre sa retraite »), Mama « Haouraght » confie, pour une fois légèrement émue, ressentir chaque jour le besoin irrépressible d’aller vers la terre et de la cultiver. « Vous voyez ces arbres ?, je les ai vus grandir, tout comme mes enfants ».