Le discours, la veille, du président égyptien Hosni Moubarak n’a pas apaisé la rue égyptienne. Hier, les manifestations, expression de la colère populaire, se sont poursuivies, intensément au Caire, très meurtrières, malgré le couvre-feu étendu. Débordé, Moubarak recourt à la nomination du chef des renseignements Omar Souleimane en tant que vice-président.
Chérif Bennaceur – Alger (Le Soir) -Démission forcée du gouvernement (contraint au rôle de bouc émissaire), effective hier, davantage de libertés et de réformes démocratiques et socioéconomiques, un laïus voulu apaisant… Les annonces du président égyptien, Hosni Moubarak, faites vendredi soir à la télévision, censées calmer l’ébullition populaire, se sont avérées vaines, le lendemain.
Sans impact sur des dizaines de milliers d’Égyptiens décidés à obtenir la chute du régime, qui ont poursuivi leurs manifestations, sans faiblir, intensément au Caire. La capitale, où la grande place du Tahrir était noire de citoyens scandant «Moubarak va-t-en» ou «Celui qui aime l’Égypte ne détruit pas l’Égypte». Mais aussi à Alexandrie, El Ismaïlia, à Suez et dans d’autres villes du pays, malgré la répression policière. Voire, des manifestants déterminés à ne pas travailler jusqu’à l’écroulement du Panorama, siège de la présidence. Plus de trente morts et des milliers de blessés, en majorité des civils, étaient recensés depuis vendredi, et la liste s’allongeait hier, approchant la centaine de morts. Présente avec ses blindés, en renfort avec une police débordée, l’armée avait enjoint «le grand peuple égyptien» à respecter le couvre-feu national décrété depuis vendredi soir et étendu samedi de 16h (14h GMT) à 8h, et à ne pas se rassembler sur les lieux publics et officiels. Mais en vain.
Certes, les communications téléphoniques, sauf l’accès à internet, étaient rétablies hier matin. Mais la rue égyptienne ne décolérait pas, le «Vendredi de la colère» se répétant samedi, la tension persistait. Avec comme effets collatéraux, la destruction du siège du parti gouvernemental, le Parti national démocratique (PND), dont un haut responsable a démissionné hier. La tension était forte, la plupart des postes de police incendiés et même un supermarché du distributeur français Carrefour a été pillé. Une situation qui a motivé la constitution de comités populaires, de chaînes humaines pour protéger le musée du Caire contre les actes de pillage, la fermeture des banques et de la Bourse du Caire. Comme l’ex-président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, dont le triple discours n’a pas empêché le départ forcé, le Raïs égyptien n’a pas convaincu. Attendu en prendre la juste mesure, Hosni Moubarak, débordé, recourt au chef des renseignements, Omar Souleimane, pour assurer la vice-présidence.
Une option inédite depuis 1981. Et de confier la formation gouvernementale au général Ahmed Chafik, après la démission du cabinet dirigé par Ahmed Nadhif. Certes huées par les manifestants, des nominations qui laissent cependant entendre que l’armée égyptienne s’implique directement, même si le retrait de Moubarak n’était pas évident.
Moubarak a bénéficié d’une certaine complaisance de l’administration américaine et du soutien inédit du chef d’Etat libyen, Mouammar El Kadhafi, du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et celle du roi d’Arabie saoudite. D’autant que la diplomatie américaine affiche une position ambiguë, un soutien au peuple égyptien tout en appelant le régime Moubarak à l’entame de réformes concrètes et à la non-utilisation de la force, sans toutefois le remettre en cause, au-delà de la révision de la politique d’aide économique et militaire. Cela même si les capitales européennes, Paris, Moscou et Berlin, condamnaient le recours à la violence. Le roi Abdallah d’Arabie saoudite a également téléphoné samedi au président égyptien Hosni Moubarak pour lui exprimer sa solidarité et dénoncer «les atteintes à la sécurité et la stabilité» de l’Égypte. Le roi était le premier chef d’Etat arabe à réagir publiquement et à prendre position aussi ouvertement en faveur du régime en Égypte. Néanmoins, l’incertitude persistait concernant notamment l’influence de l’opposant Mohamed El-Baradei, l’ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui sommait le Raïs de partir. Pourra-t-il, suffisamment, jouer le rôle d’homme providentiel ? Et les Frères musulmans, quelle est leur influence réelle sur les événements, hors d’en appeler à la transition pacifique ? Et d’autant que le prêcheur influent Mohamed El Karadhaoui s’est rallié à la protesta égyptienne, appelant Moubarak à quitter le pouvoir.
C. B.