L’exploitation du gaz de schiste, tel que décidée par les pouvoirs publics, n’a pas fait que des heureux puisque, pour des considérations essentiellement écologiques, des associations du Mouvement associatif, mais aussi des experts et des partis politiques, ont fait montre de leur opposition à cette exploitation même si de l’autre côté de la barrière, notamment le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, des assurances ont été données.
Qu’est-ce que le gaz de schiste ?
Le gaz de schiste, aussi connu sous le vocable de gaz de roche-mère (ou plus rarement «gaz de shale», de l’anglais shale gas), est un gaz naturel contenu dans des roches marneuses ou argileuses, riches en matières organiques, roches qui peuvent avoir une structure litée de schiste. Contrairement au gaz naturel conventionnel qui est retenu dans une roche perméable permettant une exploitation facile, le gaz de schiste est piégé dans les porosités d’une roche rendue imperméable par l’argile qu’elle contient. L’extraction du gaz de schiste, particulièrement difficile, nécessite le recours systématique aux techniques combinées du forage dirigé et de la fracturation hydraulique à grands volumes particulièrement coûteuses. Les roches-réservoir contenant du gaz de schiste peuvent aussi contenir de l’huile de schiste (pétrole), mais dans des proportions beaucoup plus faibles.
Premières
exploitations
C’est à partir des années 2000 qu’a démarré l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste. Conjuguées à la hausse des prix des énergies conventionnelles, les avancées dans le domaine des techniques d’extraction ont permis de financer les investissements très importants nécessaires pour permettre la mise en production de nombreux puits aux États-Unis. La superpuissance a en effet joué un rôle de pionnier dans la mise en exploitation de cette nouvelle ressource. Selon les statistiques disponibles, le gaz de schiste représentait, durant l’année 2012, une proportion importante du bouquet énergétique. Les réserves dans le monde sont estimées en 2013 à 207 billions de m3 de gaz de schiste (32% des réserves totales de gaz naturel) et 345 milliards de barils d’huile de schiste (10% des réserves totales de pétrole). Les réserves de gaz de schiste sont réparties sur tous les continents, mais la Chine, l’Argentine, l’Algérie et les États-Unis en sont dans cet ordre les plus gros détenteurs.
Couacs à l’exploitation du gaz de schiste
C’est principalement pour des considérations liées au volet du respect de l’environnement que l’exploitation du gaz de schiste n’est pas du goût de certains experts. Les problèmes environnementaux associés à l’extraction du gaz de schiste, notamment l’utilisation intensive et la pollution des réserves d’eau, ainsi que l’émission de gaz à effet de serre, a entraîné dans certains pays, y compris en Algérie et aux États-Unis, une vive polémique. Le sujet fait l’objet de controverses très vives qui opposent d’une part ceux qui considèrent que cette énergie est en passe de suppléer aux réserves des énergies conventionnelles.
L’avis de l’expert Chems-Eddine Chitour
Dans un entretien accordé à un confrère, l’expert Chems- Eddine Chitour, professeur de thermodynamique à l’École nationale polytechnique d’Alger, et également auteur de plusieurs ouvrages sur l’énergie et les enjeux géostratégiques, revient sur le sujet. «L’exploitation du gaz de schiste utilise une technologie assez ancienne, mais aussi nouvelle. On y procède par une fracturation à forte pression avec énormément d’eau, contrairement aux gisements classiques conventionnels qui utilisent moins d’eau», explique-t-il, pointant du doigt le fait que lors du process, l’on administre également des milliers de produits chimiques qui sont pour la plupart aromatiques, donc cancérigènes. La pollution vient du fait que ces produits vont remonter en surface, mais en passant d’abord par la nappe albienne qui sera donc polluée.
Il ne faut pas prendre le risque de polluer la nappe albienne, tranche l’expert qui, cependant, juge qu’il faut prendre le temps que la technologie devienne plus sûre. «Il ne faut pas que le gaz de schiste soit perçu comme une malédiction. Il faut que ce soit une bénédiction», estime Chitour, soulignant que l’Algérie se doit de se préparer, dès maintenant, à aller vers une transition énergétique.
Évaluation du potentiel dU gaz de schiste algérien
L’Entreprise nationale des hydrocarbures, Sonatrach, s’est chargée de l’évaluation du potentiel national en gaz de schiste, et pour ce faire, elle a fait appel à des consultants majeurs étrangers. Les gisements sont de taille mondiale, a-t-elle estimé dans ses conclusions. Les responsables de Sonatrach ont confirmé les chiffres communiqués par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), selon lesquels l’Algérie disposerait de réserves de taille mondiale, évaluées par l’AIE à 700 TCF (Trillions de mètres cubes).
L’avis de Abderrahmane Mebtoul
Dans une longue contribution, largement médiatisée, le professeur des universités et expert international, Abderrahmane Mebtoul, revient sur le sujet du gaz de schiste et fait part des dégâts environnementaux qui peuvent résulter de son exploitation. «Le gaz de schiste n’est qu’une énergie parmi tant d’autres pour assurer la sécurité énergétique, dont la commercialisation ne se fera pas avant 2020», a notamment dit le consultant, citant à l’appui les déclarations du ministre de l’Énergie. Reprenant le rapport de l’AIE de l’année 2013, l’expert indique qu’il y aurait dans le monde environ 207 billions de mètres cubes de gaz de schiste répartis comme suit: la Chine 32, l’Argentine 23, l’Algérie 20, les USA 19, le Canada 16, le Mexique 15, l’Australie 12, l’Afrique du Sud 11, la Russie 8 et le Brésil 7 billions de mètres cubes. En Algérie, les gisements de gaz de schiste sont localisés, principalement, dans les bassins de Mouydir, Ahnet, Berkine-Ghadames, Timimoun, Reggane et Tindouf.
Les a priori des autorités publiques
Le Conseil des ministres de mai 2014, en vertu de l’application de la loi des hydrocarbures votée en janvier 2013, a autorisé l’exploitation du gaz de schiste, mais à une seule condition: aucun avis d’appel d’offres ne peut être retenu s’il s’avère qu’il détruit l’environnement, notamment par la pollution des nappes phréatiques et s’il est fort consommateur d’eau.
Réaction du ministre de l’Environnement
Essayant de parer aux foudres des militants écologiques, le ministère de l’Environnement est intervenu dans le débat et s’est engagé solennellement à user de technologies propres dans l’exploitation des ressources en gaz de schiste du pays. Mme Dalila Boudjemâa a, en effet, affirmé, lors de déclarations publiques, que son département fait sienne la préservation de l’écosystème des zones forées. L’exploitation du gaz de schiste en Algérie utilisera un procédé basé sur de nouvelles technologies moins polluantes, a notamment déclaré la ministre. Afin d’extraire le gaz de schiste, il sera fait usage d’une méthode et de produits moins polluants, sans contaminer l’environnement, a promis la ministre. Selon elle, l’Algérie est à l’abri de la pollution engendrée par l’exploitation des ressources en gaz de schiste. «L’Algérie dispose des moyens nécessaires à mettre en place pour se prémunir contre toutes ces formes de pollution», a-t-elle également souligné. Autre assurance promise par la ministre de l’Environnement: la réutilisation de l’eau usée pour fissurer la roche contenant le gaz de schiste. Le ministère de l’Environnement «a exigé et obtenu des différentes parties concernées, que cette eau qui remonte à la surface soit traitée et réinjectée dans le sol pour l’exploitation de nouveaux forages».
Montée au créneau du MNND
Une fois et pas de deux, le Mouvement national pour la nature et le développement (MNND), l’un des rares partis écologiques algériens, est monté au créneau afin de marquer son opposition à l’exploitation du gaz de schiste. Dans un long communiqué rendu public, le Mouvement y revient sur les «facteurs négatifs de l’exploitation du gaz de schiste», dont il énumère une très forte consommation d’eau douce pour chaque puits foré, entreposage à l’air libre de produits chimiques hautement toxiques et dangereux, la pollution irréversible des nappes phréatiques et cours d’eau, et aussi les problèmes de santé publique. «L’option pour l’exploitation du gaz de schiste est inopportune, car elle est sujette à une catastrophe écologique d’une grande ampleur dès lors que la technologie et les techniques d’exploitation ne sont pas encore mûres et ont montré leurs limites», avance, en guise de préambule, les animateurs de ce parti politique, qui soulignent que d’autres opportunités existent dans le pays.
Et de citer à cet égard, l’exemple de l’énergie solaire, dont les potentialités énormes, affirment-ils, peuvent même nous permettre d’envisager leur exportation. «Il est illogique de penser au gaz de schiste alors que les autres sources d’énergie n’ont pas été prises en compte, ou pas assez développées.
On ne peut passer sous silence les risques énormes subis par certains pays comme en Pennsylvanie, aux États-Unis, où l’exploitation du gaz de schiste a fait des ravages sur l’environnement, la santé publique et la vie locale», ont encore ajouté les responsables du MNND qui qualifient la décision des autorités publiques d’unilatérale et qui en appellent à l’organisation d’un référendum sur la question. «Nous estimons, à juste titre, que cette décision est d’une exceptionnelle gravité, compte tenu des enjeux majeurs qui nous attendent, requiert l’Association et la participation de tous», lit-on encore dans le communiqué.
«Les gisements de gaz de schiste en Algérie se présentent beaucoup plus comme un risque, voire une calamité, que comme une opportunité ou un bienfait économique», conclut le Mouvement national pour la nature et le développement.
Mohamed Djamel