Le peuple a le droit de tout savoir…
«Bouteflika va bien!». C’est tout ce à quoi a droit un peuple qui regarde le lourd ciel d’une Algérie inquiète.
Lorsqu’en 2005, Jacques Chirac, pour «un petit accident vasculaire» fut hospitalisé au Val-de-Grâce, les Français avaient toutes les informations en temps réel. Lorsqu’il quitta l’hôpital, sa sortie fut retransmise par les télés et couverte par la presse écrite. Depuis que Bouteflika est hospitalisé au Val-de-Grâce, nous n’avons plus de ses nouvelles à part quelques phrase laconiques. On nous dit qu’il a quitté l’hôpital, mais on ne sait pas si c’est vrai ni où il s’est dirigé. La porte est donc ouverte aux rumeurs et à la manipulation médiatique. Chose qui aurait pu être évitée sans trop d’efforts.
Où peut bien être Bouteflika? La question n’a pas cessé d’intriguer les Algériens. Avoir une communication au-dessous du Smig, l’avoir en hiéroglyphes ou ne pas en avoir du tout, c’est du pareil au même. C’est kif-kif.
«Bouteflika va bien!» C’est tout ce à quoi a droit un peuple qui regarde le lourd ciel d’une Algérie inquiète. Avec cette phrase laconique, il doit savoir se débrouiller pour se nourrir pendant toute l’absence du président de la République. Pour travailler. Pour se loger. Pour retenir sa colère contre les tutelles dans beaucoup de secteurs. Pour prévoir l’avenir du pays aussi.
Une question au présent
«Bouteflika va très bien!». C’est déjà mieux. Un «très» de plus pour indiquer un degré élevé de «bien». Un mot que les chargés temporaires et officieux de la communication officielle ont dû peiner pour le trouver et ils ont dû réfléchir pendant quatre siècles avant de se décider enfin à le dire. Mais un «Bouteflika va très bien» ne suffit pas à répondre au besoin d’un peuple, plusieurs fois millénaire, qui réclame son droit d’être au courant de ce qui se passe. Alors, pour faire mieux, c’est un audacieux «Bouteflika m’a téléphoné!»qui surgit des grottes profondes et silencieuses de ce qui nous sert, pour un jour ou deux encore, d’institution de communication. Le ministère de la Communication, déconnecté, ne communique surtout pas car ce n’est pas son rôle réel que de communiquer.
Tout ce à quoi a eu droit la tribu des 35 millions d’Algériens qui scrutent un seul et même point au-delà de la ligne de l’horizon, c’est donc une phrase, une seule et simple phrase. Une phrase basique composée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément d’objet direct. Mais lorsque le verbe est conjugué au passé, pour des citoyens envahis par la rumeur, l’information ne fait plus partie du présent. Alors ils posent la question au présent: où est Bouteflika?
La question demande réponse. Oui, elle demande réponse parce que le pays et, contrairement à ce que soutiennent ceux qui ont inventé, autrefois, les comités de soutien et la moubaya’a, ne connaît pas son avenir. Le pays fonctionne au ralenti depuis quelque temps déjà. On le voit, on le sent, on l’entend. On le sait tout simplement. On le perçoit dans les murmures tremblants de ces individus qui, hier encore, appelaient de toutes leurs forces à un quatrième mandat. On le sent à leur silence qui ressemble plus à la fuite du lâche qu’à la temporisation du sage. On le voit à la paralysie des deux plus lourds partis du pays. On le touche à l’hésitation du mouvement chez tous ces danseurs du ventre. On le perçoit aussi au bégaiement de ces faux orateurs, autrefois au discours si fluide, si pompant et si sûr. On le voit à ces grèves qui se multiplient d’un côté du pays à l’autre, comme répondant à un coup de sifflet. On le voit à ces revendications qui s’agglutinent sur les pancartes. Le lourd silence qui règne là-haut, sur le sommet de la montagne, est aussi plus qu’inquiétant. Il ressemble au calme qui précède la tempête.
Louisa Hanoune et les autres
Comme tombé en panne depuis quelque temps, le pays ne se contente plus que de respirer en priant pour que les apôtres du chaos n’aient pas raison parce que, de la misère de ce monde, nous avons eu notre lot! Cela nous suffit! L’Algérie peut mieux vivre. Elle doit mieux vivre. Il faut d’abord que le spectre menaçant du chaos s’en soit éloigné.
Depuis que le faux printemps arabe a rendu dangereuse toute hésitation et a vidé toutes les tentatives de changement de leur sens, il est devenu particulièrement dangereux de vouloir traverser les ponts avant d’en avoir vérifié les bases. Et, depuis que les prophètes de l’aggiornamento au changement pointent un peu anormalement le doigt vers nos proches et lointains voisins, il est devenu fort risqué d’ouvrir la porte de l’aventure.
Si Louisa Hanoune a tort quelque part dans ce qu’elle dit, si elle échoue parfois dans sa tentative d’établir des relations entre les choses et si sa manière de dire ces choses paraît parfois un peu exagérée, que l’on se rassure, elle a bel et bien raison dans beaucoup de ce qu’elle dit. Et, surtout, dans ce qu’elle refuse, par retenue et par conscience de dire. Ce n’est ni l’éclat de rire de quelques consciences engourdies ni ce qui ressemble à un recadrage par le ministère des Affaires étrangères qui lui diminuerait de son mérite, celui de lutter, seule ou presque, contre le sommeil des uns et la surdité des autres.
Lorsque les vautours étalent leurs monstrueuses ailes et commencent à tournoyer dans le ciel, on n’a pas besoin d’être très intelligent pour comprendre qu’il y a une proie en vue! Lorsque les vautours de l’humanité, pour leur part, étalent leurs effectifs et commencent à faire bouger leurs armées, là, on a besoin de l’être pour saisir qu’il y a des richesses en vue. Qu’elles se trouvent ici ou ailleurs, ces vautours n’en ont cure. Qu’elles se trouvent sur ou sous le sol, ils la voient et en connaissent exactement les dimensions, les limites et les caractéristiques. Est-il bien nécessaire de rappeler que ces vautours de l’humanité n’ont ni amis ni copains?
Les scénarios des manifestants qui tournent vite à autre chose, on en connaît un bout depuis la Tunisie et l’Egypte. Ceux des manifestants qui deviennent, par le miracle de la télévision (El Jazeera surtout), des révolutionnaires, on en connaît aussi un bout depuis Benghazi. Si «qui s’est fait mordre par un serpent prend peur à la vue d’une corde» comme on dit, alors que ferait-il à la vue d’un véritable serpent?
Devant l’intersection…
Ce n’est pas la maladie de Bouteflika en soi qui fragilise le pays. On réclame la prétention de dire, tout de même, que l’Algérie n’est pas liée au destin d’un homme. Qui qu’il soit! Mais c’est ce que cette maladie aiguise comme appétits, chez les uns et les autres, qui l’expose fortement et en menace la sérénité et peut-être même, la stabilité. L’Algérie est riche. C’est de l’avis de tous, ce qui a fait ses problèmes et c’est ce qui fera certainement ses problèmes à venir d’autant plus que l’appétit n’est pas que de l’extérieur et que la lutte pour le contrôle des richesses pourrait s’avérer dangereuse pour l’avenir du pays.
Ce n’est certainement pas ce que dit ou fait Louisa Hanoune qui évitera les appétits ou repoussera le danger, si jamais il survient, mais c’est le refus des autres, ses compatriotes, de lui prêter oreille et de l’écouter qui pourrait accélérer éventuellement les problèmes car il ne s’agit pas de moulins. Loin s’en faut!
Nous sommes aujourd’hui devant une intersection qui, qu’on le veuille ou non, imprimera son caractère à l’Algérie de demain. Le pays s’apprête à passer à autre chose. Que Bouteflika se remette de sa maladie (ce que nous lui souhaitons sincèrement) et reprenne son travail ou que cela le pousse à abandonner ses fonctions, qu’il écourte l’actuel mandat ou qu’il décide d’aller à terme, nous sommes bel et bien à un moment de transition car l’histoire du quatrième mandat s’évanouit chaque jour un peu plus. Or, l’histoire le dit dans toutes ses pages, les moments les plus compliqués sont ceux de la transition.
Le chemin à prendre est sérieux, top sérieux pour être débattu derrière un écran depuis, on ne sait plus, quelle ruelle d’on ne sait plus quel village de tel ou tel autre pays d’Europe ou d’ailleurs, ou abordé derrière quelques pseudonymes qui ne garantissent pas toujours l’anonymat. A cette intersection se joue le devenir de l’Algérie et celui des Algériens. Il devient, dès lors, nécessaire pour les institutions qui en ont la charge, de communiquer sérieusement avec le peuple. Aussi bien à propos de la maladie du Président, dont on nous cache tout, que pour le reste. Toutes ces rumeurs qui s’accrochent à vous dès que vous mettez les pieds dehors méritent bien que l’on en dise quelques mots. La stratégie du pourrissement qui semble avoir été choisie n’aide en rien le pays. Il est temps, pour chacun et pour tous, de se poser la question de savoir pourquoi nous ne pouvons pas ressembler aux autres pays du monde. Nous en avons, pourtant, les moyens et les ressources.