Majed Nehme, directeur d’Afrique Asie, au temps d’Algérie : «la capacité de reproduction des groupes terroristes est désormais limitée»

Majed Nehme, directeur d’Afrique Asie, au temps d’Algérie :  «la capacité de reproduction des groupes terroristes est désormais limitée»
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Le Temps d’Algérie : Comment voyez-vous l’évolution de la situation au nord du Mali, militairement et politiquement ?

Majed Nehme : Militairement, je crois que tout de même, les groupes terroristes et mafieux seront, et sont déjà vaincus. Ils ont perdu leurs bastions et ont été chassés de toutes les villes et localités importantes. Ils sont acculés stratégiquement et tactiquement.

Mais surtout, ils ne sont plus comme des poissons dans l’eau, dans la mesure où ils ont perdu l’adhésion de la population de cette partie du Mali, musulmane à une écrasante majorité, mais qui ne se reconnaît pas dans les pratiques intolérantes et rigoristes d’un islam dévoyé inspiré du wahhabisme. Contrairement à l’Afghanistan, il ne semble pas qu’ils aient des appuis significatifs de la part de la population et leur capacité de «reproduction» est de ce fait limitée.

Ils sont perçus, notamment l’Aqmi et le Mujao, comme des étrangers. Cependant, dans un territoire si vaste et des cachettes dispersées dans les montagnes, les opérations d’identification de ces lieux seront encore longues. Il restera toujours par-ci par-là quelques irréductibles, une forme de terrorisme résiduel sans avenir.

LG Algérie

Stratégiquement, ils ont perdu la partie, mais pour que la défaite soit totale et définitive, il convient de retourner très vite au traitement politique, économique et social de la question.

Justement, l’absence de dialogue ne risque-t-elle pas de faire perdurer la tension dans ce pays?

En effet, la question du dialogue est délicate ; beaucoup, au Mali, refusent de reconnaître une légitimité au MNLA en tant que représentant de cette communauté qui compte environ un demi million d’individus dans ce pays.

La représentation de cette communauté dans les instances électives locales ou régionales est d’ailleurs très importante, c’est-à-dire qu’il y a un nombre élevé d’élus touaregs proportionnellement à la population représentée. C’est aussi la conséquence des divers accords de paix avec les rebellions dans ce pays.

Ces élus-là qui sont pour la plupart restés «loyaux» à l’Etat malien sont les premiers à rejeter la légitimité du MNLA. Cela dit, dans le cadre de la politique de dialogue et de réconciliation qui vient d’être lancée par le gouvernement de Bamako, il devrait y avoir de la place pour les forces politiques qui, même en ayant pris les armes contre le pouvoir central, ont refusé d’être les instruments des extrémistes d’Aqmi et du Mujao.

Cela ne sera pas facile. Et l’armée malienne, même celle qui n’a pas participé au coup d’Etat du capitaine Sonogo, ne semble pas approuver l’inclusion du MNLA comme interlocuteur légitime du pouvoir actuel en vue de l’organisation des élections dans un climat apaisé. Mais le réalisme impose une certaine vision qui fait défaut cruellement au sein du pouvoir central malien, actuellement très divisé.

Or, tant que le processus démocratique n’est pas rétabli, tant qu’un consensus politique et national n’est pas trouvé, le risque d’une déstabilisation durable du Mali est réel. L’Algérie pousse dans ce sens tout comme l’Union africaine et l’Onu.

Selon vous, Aqmi et le Mujao ne disposent-ils plus des mêmes stocks en carburant et armes en raison de l’offensive militaire lancée par l’armée française et les armées des pays africains?

Comme je viens de le souligner, l’Aqmi, le Mujao, tout comme ses alliés au sein d’Ansar Eddine, ont perdu la bataille. Mais pour que cette défaite soit définitive, il faudra fermer hermétiquement les voies de passage des armes, des combattants et des carburants, particulièrement via la Libye, le Niger et le Mali.

La présence de drones au Niger, tout comme la présence militaire française aérienne et terrestre, ajoutées aux moyens de contrôle des frontières déployés par l’Algérie réduisent drastiquement la capacité de nuisance de ces groupes qui ont par ailleurs subi des pertes humaines importantes.

Par cette offensive militaire, les capacités d’Aqmi et du Mujao sont réduites de combien d’années, autrement dit de combien d’années croyez-vous qu’Aqmi et le Mujao auront besoin pour renouveler éventuellement leurs capacités militaires?

Pour renouveler leurs capacités militaires, il faut des réseaux performants qui outrepassent les limitations géographiques et la surveillance régionale et internationale, et il faut qu’ils puissent s’assurer de l’appui d’une partie de la population.

Autant de données dont on n’a pas une connaissance précise, mais on peut imaginer que cette capacité (de se ravitailler) est, au jour d’aujourd’hui, sérieusement réduite. La présence de quelque 8000 militaires africains et des unités d’intervention spéciale auxquelles songe l’ONU (devant côtoyer des casques bleus, mais avec un mandat offensif) devraient à terme réduire substantiellement leur capacité de nuire et de se reconstituer.

Maintenant, sans une politique cohérente de développement économique et de réconciliation nationale, tout peut arriver… C’est au pouvoir central, aux donateurs et notamment à l’UE qui s’est engagée à financer un programme de développement soutenu, de jouer dès que les conditions le permettront.

Mais au plus vite… Il faut enfin faire pression sur les financiers du Golfe pour qu’ils arrêtent de soutenir, à travers leurs relais libyens et tunisiens et leurs ONG wahhabites, comme ils le font actuellement en Syrie, cette entreprise de déstabilisation. Car comme l’avait souligné, à juste titre, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, la France combat actuellement au Mali des terroristes qu’elle avait armés en Libye.

Mounir Abi