Maître Fatma-Zohra Benbraham, connue pour son engagement et son militantisme pour les droits de l’homme, se lance aujourd’hui dans un nouveau combat. Celui d’obtenir le statut de chahid aux enfants tués ou blessés, par les forces de l’ordre de la France coloniale et les ultras, lors des manifestations du 11 décembre 1960 qui ont propulsé la cause algérienne aux Nations unies. C’est au forum d’El Moudjahid qu’elle a annoncé, hier, sa détermination à aller jusqu’au bout et son intention de saisir le ministre des Moudjahidine pour ouvrir ce dossier mis entre parenthèse par les historiens. Pour justement rendre justice aux enfants de Décembre.
La conférence de l’avocate, qui n’est plus à présenter, a porté sur cette journée écrite en lettres de sang il y a 51 ans. C’est avec beaucoup d’émotion que l’assistance a suivi le récit de maître Benbraham. Car il faut dire qu’évoquer le 11 décembre, c’est dérouler une page de notre histoire. L’histoire d’un pays pour lequel, par un dimanche pluvieux, des enfants ont accompagné les adultes pour crier leur refus du colonialisme, leur fierté d’être algérien, leur amour pour l’Algérie. Ils avaient 10, 12, 14 ou 15 ans, et ils ont abandonné leurs jeux pour se joindre aux manifestants. Ils s’appelaient Saliha, Farid, Omar, et les rafales meurtrières les ont cueillis en plein envol vers la liberté. Mais les manuels scolaires ne parlent ni de Farid, ni de Saliha, ni des autres dont on dit qu’ils sont quelque 320. Pour la militante, le statut juridique qu’elle revendique pour ces « héros en herbe » permettrait à ceux qui ont survécu de « bénéficier de tous les droits, comme à l’exemple de pension ». Comme elle a appelé à effectuer un recensement de ces enfants. A cet effet, elle a suggéré de recenser les enfants tués lors des manifestations, entre les 10 et 13 décembre, en opérant des déplacements aux cimetières et de se référer à l’état civil de l’époque. Pour maître Benbraham, il faudrait aussi songer à ériger une stèle à leur mémoire. Et en appelant les étudiants et les chercheurs à se pencher sur cette période de notre histoire qui « reste très peu étudiée ». Pour la conférencière, les historiens doivent accorder plus d’intérêt à cette page, car, comme elle le dit, ce qui s’est passé ce mois de décembre 1960 a fait découvrir à la France « la maturité politique » du peuple algérien dont le cri de révolte qui a raisonné dans l’enceinte de l’instance onusienne n’était autre qu’une alliance ALN-FLN-GPRA et le peuple. La conférencière est longuement revenue sur la répression sanglante de ces manifestations intervenues, faut-il le rappeler, le jour de la célébration de la Journée mondiale des droits de l’homme, qui coïncide avec la date du 10 décembre depuis 1948. Des manifestations spontanées provoquées par une rixe entre des Européens et des Algériens (surnommés à l’époque musulmans) à Alger-Centre. Une bagarre qui a mis le feu aux poudres, et aussi dévoilé, au monde entier, grâce à la presse étrangère qui l’a répercutée dans ses écrit, la férocité des forces coloniales. Maître Benbraham a tenu à préciser que les manifestations du 11 décembre 1960 n’ont pas eu seulement à Alger, mais dans d’autres villes du pays, à l’image d’Oran, Annaba, Tlemcen Sidi Bel Abbès (ville garnison) ou des citoyens ont peint leur canne en vert, en référence à l’emblème, pour signifier leur attachement à l’indépendance de l’Algérie. Dans toutes ces villes, des voix se sont élevées soutenues par des youyous stridents de milliers de femmes, brandissant vers le ciel et à la face du monde les couleurs interdites, vert, blanc, rouge qui éclairent l’étoile et le croissant. Une autre précision de taille. Dans la Kabylie (la Wilaya 4), il n’y a pas eu de manifestations du fait que la région était assiégée. Mais la France voulait faire croire que cette région lui était acquise. Maître Benbraham a également rappelé que le 11 décembre, c’est aussi la naissance de la tristement célèbre OAS. Mais la leçon à retenir de ces manifestations qui ont duré 3 jours et donné un tournant décisif à la révolution de Novembre, c’est la grande surprise accordée par le peuple algérien à la France coloniale. Une victoire politique et psychologique sur un pays qui venait d’amorcer son entrée dans le club des puissances mondiales avec les essais nucléaires dans la région de Reggane. Et ceci est une autre page dramatique dans l’histoire de notre pays.
Nora Chergui
Lorsque le peuple parle
Le Centre culturel islamique d’Alger a abrité, jeudi après-midi, une conférence-débat sur les glorieuses manifestations du 11 Décembre 1960, animée par M. Tayeb Boussaâd, enseignant au centre universitaire de Ghardaïa. L’assistance n’était pas nombreuse, certes, mais les moudjahidine, universitaires et fonctionnaires présents ont suivi avec beaucoup d’intérêt l’intéressante communication de l’historien, dans laquelle il a particulièrement mis l’accent sur les conditions historiques qui ont donné lieu à ce haut-fait du peuple algérien face à l’occupant colonial ainsi que les conséquences avantageuses qui en ont résulté de la marche victorieuse de la Révolution de Novembre, à l’ONU et dans le monde.
Dans ce contexte, le conférencier s’est longuement arrêté sur les conditions politiques de l’époque en Algérie et en France, leur influence réciproque sur le cours des évènements, sans oublier de souligner les hautes qualités dont ont fait montre les dirigeants de la glorieuse Révolution pour faire aboutir les revendications légitimes du peuple algérien à la liberté et à l’indépendance. En effet, a rappelé M. Boussaâd, les autorités coloniales, dans un nouvel effort pour maîtriser la situation désastreuse dans laquelle elles se sont engagées militairement et politiquement, ont fait venir le général de Gaulle, le nouveau chef d’Etat français en Algérie, afin de promouvoir une nouvelle politique coloniale, basée cette fois sur le bâton et la carotte. C’était sans savoir que cette Révolution armée, qui entamait victorieusement sa sixième année de lutte, maîtrisait parfaitement le terrain, en zone urbaine ou rurale, et, donc, capable de mobiliser des centaines, voire des milliers de personnes pour revendiquer pacifiquement les droits légitimes du peuple algérien à la liberté et à l’indépendance. Après les attaques armées de l’ALN contre les positions et les convois militaires français, depuis le 1er Novembre 1954 partout à travers le pays, les efforts soutenus dans la diplomatie de la Révolution pour sensibiliser la communauté internationale sur le peuple algérien, les grandioses manifestations populaires du 11 Décembre 1960 ont fini par faire plier l’occupant colonial et le contraindre à s’asseoir à la table des négociations de paix, a ajouté le conférencier en rappelant également le coût de plus en plus pesant pour la France de la guerre d’Algérie (1,1 milliard de francs, début des années 1960 !), les changements politiques qu’elle a entraînés (chute de 6 gouvernements et 2 coups d’Etat).
Il a ensuite précisé que ces manifestations, qui ont éclaté les 9 et 10 décembre par hasard, ont été ensuite bien encadrées par la Révolution de Novembre, à Alger et dans les autres villes du pays, comme en témoignent d’ailleurs les slogans lancés : “L’Algérie musulmane”, “Vive le FLN”, “Vive le GPRA”, l’organisation des rangs des manifestant(e)s, leur caractère pacifique.
Le conférencier n’a pas oublié de déplorer le nombre important des victimes de ces manifestations (entre 800 et 1.200 chouhada, 1.500 personnes arrêtées et emprisonnées) en ajoutant que la Révolution de Novembre compte en vérité plus de chouhada qu’elle en a déclaré officiellement (1,5 million), et de conclure que leurs sacrifices n’ont pas été vains, que l’Algérie est aujourd’hui libre et indépendante.
Mourad A.