Fidèle à son franc-parler, maître Mustapha-Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH (Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme) s’exprime sur quelques questions d’actualité dans cet entretien. Nous abordons avec lui notamment le cas du jeune sportif (14 ans) Islam Khoualed en prison au Maroc qui sera incessamment libre selon lui, les manifestations des chômeurs des régions du Sud, la révision de la Constitution, la présidentielle 2014 et sa position quant à l’appel à un front contre un 4e mandat pour l’actuel locataire du Palais d’El-Mouradia. Le président de la commission déclare apporter son soutien au candidat Bouteflika.
Le Soir d’Algérie : Vous venez de remettre le rapport annuel de la CNCPPDH au président de la République. Quelle en est l’idée force sachant la situation des droits de l’Homme régulièrement dénoncée par les autres organisations ?
Mustapha-Farouk Ksentini : L’idée force du rapport qui nous a été demandé par le Premier ministre, dont une copie a été transmise par politesse au président de la République, c’est que les jeunes du Sud ne sont pas embauchés par les entreprises pétrolières et les sociétés multinationales qui se trouvent sur place. Ces jeunes souffrent terriblement d’un chômage endémique alors qu’il y a des opportunités d’emploi.
Les pouvoirs publics auraient dû anticiper ces révoltes sociales contre la mal-vie, pour les droits fondamentaux. C’est toujours en pompiers qu’ils réagissent mais le bâton à la main dans ce cas. Incompétence ou méconnaissance d’une réalité qui leur échappe ?

Ils auraient pu éviter que cela ne dégénère depuis longtemps. Je n’ai pas de commentaire à faire sur ça, je fais un constat, c’est tout. Mais je dois dire qu’il y a un manque d’anticipation sachant que chaque année un grand nombre de jeunes arrivent sur le marché du travail. Il s’avère que les entreprises dans ces régions font volontairement ou pas de la discrimination en favorisant les gens du Nord. Ceci dit je ne suis pas là pour faire leur procès. Les officines chargées de l’emploi pour ces entreprises jouent aussi un rôle totalement négatif.
L’on vous accuse de relativiser votre constat sur des questions sensibles et de faire ainsi le jeu du pouvoir.
Mais pourquoi voulez-vous que je dramatise une situation qui l’est déjà ! C’est quand même terrible. Il faut faire le diagnostic du problème et y apporter les solutions qui s’imposent. Mon rôle n’est pas d’envenimer davantage une situation mais de contribuer à son règlement
Les Algériens ne comprennent pas l’impunité dont jouissent certaines personnalités impliquées dans des scandales de corruption et d’autres malversations comme c’est le cas de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil. L’on dit que le pouvoir les protège.
Honnêtement, je ne crois pas que le pouvoir aille s’aventurer à protéger des gens qui ont commis des malversations. C’est inconcevable.
C’est dans les prérogatives de la justice de s’auto-saisir dans ce type d’affaires qui portent préjudice aux intérêts de la communauté. Pourquoi ne le fait-elle pas ?
Je ne sais pas si elle l’a fait ou pas. Il se peut aussi très bien qu’elle l’ait fait mais pas publiquement, que des instructions aient été données et ne sont pas portées à notre connaissance. Quant à Chakib Khelil, ce monsieur doit avoir suffisamment de respect pour lui-même pour ne pas s’enfuir comme un malfaiteur. De toute façon, l’avenir nous le dira. Mon avis est que si on l’a laissé partir à l’étranger et qu’il ne revient pas ce ne serait pas compréhensible.
Pour l’opinion publique, il y a un lien de causalité entre ces affaires et les incendies qui ont touché certaines institutions judiciaires dont la cour d’Alger. A votre avis ?
Les citoyens ont le droit de penser ce qu’ils veulent. Je n’appuie pas la thèse de l’accident mais je ne l’infirme pas non plus car je n’ai pas les moyens et les données pour le savoir. Mais c’est à juste titre que l’opinion publique se pose des questions. J’observe que si le gouvernement faisait l’effort d’informer la situation serait autre. Le gouvernement a le devoir d’informer et de clarifier les sujets qui l’interpellent.
Cela rajoute davantage au discrédit du régime déjà malmené pas des tensions sociales récurrentes. C’est un régime déliquescent, disent des acteurs de l’opposition.
L’absence de communication est totalement contreproductive. Si le gouvernement prenait la peine d’expliquer l’opinion publique serait moins inquiète qu’elle ne l’est actuellement. La démocratie, c’est la transparence et donc l’information.
Le régime dans l’impasse ?
Non, sincèrement je pense qu’il s’agit beaucoup plus de maladresse, d’inexpérience que d’une volonté délibérée de camoufler. Vous savez, en politique, on ne peut pas cacher des choses pour longtemps. La vérité finit toujours par éclater au grand jour.
Quel est votre commentaire quant à l’appel à faire front contre un 4e mandat pour Bouteflika lancé par Mechatti, Benbitour et Soufiane Djilali ?
C’est une position purement politique. Personnellement, je ne me place pas sur ce terrain. Je ne suis pas du tout d’accord avec cet appel. Il est alarmiste. Ces gens ont le droit de s’exprimer comme ils l’ont fait, c’est incontestable. Mais personne n’a le droit de s’opposer à quiconque de se présenter ou de se représenter.
M. Farouk Ksentini est-il favorable à la réélection de Abdelaziz Bouteflika ?
Je ne sais pas où en est le président avec cette question. S’il le fait ou pas, c’est son droit. Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’on veuille lui interdire de se représenter, ce n’est concevable ni moralement ni légalement. Par ailleurs, je rappelle que les mandats ne sont plus limités. A ceux qui sont contre, je dis si vous n’êtes pas d’accord entrez en compétition ou ne votez pas pour lui.
Alors pour ou contre un 4e mandat ?
Bien sûr, c’est son droit !
Les opposants au 4e mandat affirment que ce serait la catastrophe pour le pays si malgré tout Bouteflika venait à être reconduit à la tête de l’Etat.
(Enervement !) Mais pourquoi, comment a-t-il mené le pays à la catastrophe ? Qui a fait la réconciliation nationale, c’est eux ? Qui a ramené la paix civile dans ce pays, c’est eux ? C’est trop facile de critiquer le président de la République en étant dans un salon assis dans un fauteuil. Le dernier mot revient au peuple, c’est le bulletin de vote. Je rappelle à ces messieurs qu’aux Etats- Unis, Roosevelt a fait 4 mandats et personne n’a trouvé à redire. Maintenant si vous êtes contre sa politique ou que vous estimez qu’il est malade, ne votez pas pour lui et demandez à vos amis d’en faire de même. Vous ne pouvez pas vous arroger le droit de lui interdire de se représenter, c’est anticonstitutionnel et antidémocratique.
L’avis de l’homme de loi que vous êtes sur la réforme de la Constitution et la création d’un poste de vice-président de la République ?
La création de ce poste me semble nécessaire depuis longtemps déjà. Lors du décès du défunt Boumediène, on s’est retrouvé dans un état de vacance du pouvoir, un vice-président aurait facilité la transition. Il y a une priorité capitale, c’est la stabilité du pays qui m’importe et non les personnes. Nonobstant la personne qui sera mise à sa tête, le poste de vice-président assure la stabilité. C’est une mesure de sécurité qui s’impose par elle-même et donc nécessaire.
Pour clore cet entretien, où en est la CNCPPDH avec le cas du jeune Islam Khoualed injustement emprisonné au Maroc et votre initiative pour le rapatriement des détenus algériens en Irak ?
Nous suivons de près l’affaire du jeune Islam et nous faisons confiance aux juges marocains qui vont mieux la réexaminer. L’affaire va être rejugée dans les 15 à 20 jours à venir. Il faut éviter d’enflammer cette affaire comme cela a été fait. Après tout, c’est une affaire mineure qui n’a aucune importance particulière en elle-même. Je pense comme en Algérie, la loi marocaine est pleine de mansuétude. A court terme, nous nous attendons à sa libération par le juge des mineurs. Si cela n’advient pas, nous nous faisons fort à la CNCPPDH de saisir par écrit le roi du Maroc pour demander la grâce.
B. T.