Maître Ali Haroun, éminent juriste et homme d’Etat, était hier l’invité d’El Moudjahid, dans le cadre d’une conférence-débat autour de son récent ouvrage L’éclaircie paru aux éditions Casbah. L’auteur relate son vécu politique d’événements compris dans une tranche particulière de l’histoire de notre pays, particulièrement douloureuse et tragique à la fois, et dont Me Ali Haroun a été un des acteurs. Dans l’ouvrage, l’auteur a voulu restituer le fil des événements.
Il évoque une situation extrêmement grave, dès mai 1991. La proclamation de l’Etat de siège, en juin, par le Président de la République de l’époque, M. Chadli Bendjedid. La création au lendemain de ce prononcé, du gouvernement Ghozali Sid Ahmed dans lequel figure pour la première fois un ministère des Droits de l’homme, dont l’auteur en assure la responsabilité. Ce ministère n’était doté d’aucun personnel, note Me Ali Haroun. J’étais seul à bord avec pour tout instrument, mon attache-case. Nous démarrions à zéro, note l’orateur. L’histoire de cette institution commence à partir d’une période dramatique, obscure et trouble, relève-t-il. Après la formation du gouvernement, les choses semblent se calmer, est-il relevé, et on s’affaire à préparer les élections législatives.
Le coup de tonnerre
Le coup de tonnerre viendra en décembre 91 avec une victoire écrasante du parti islamiste, le FIS. Me Ali Haroun affirme avoir rédigé L’éclaircie, terme qu’il attribue à la période de relative accalmie ayant prolongé la création du gouvernement Ghozali, à partir de ses notes personnelles, sa propre expérience, des rapports existants. Les faits sont donc réels, suivis bien sûr par des commentaires qui sont de la paternité de l’auteur. Dans l’ouvrage, la création du ministère des Droits de l’homme est évoquée, Maître Ali Haroun, relate la discussion qu’il a eue avec avec le Chef de gouvernement, M. Sid-Ahmed Ghozali, au moment des consultations, où il fait remarquer que le citoyen n’a pas acquis réellement des droits, des droits concrets.
Rapport de force administration-citoyen
Entre les pouvoirs publics et les citoyens, il n’y a eu, affirme l’orateur, que des rapports de force. Il rappelle la douloureuse affaire Chaabani, la création de la Cour des infractions économiques, dont les décisions étaient sans appel, la question de la peine de mort qui n’a pas encore été abolie, bien que bénéficiant d’un moratoire depuis 1993, alors qu’il est tout de même souhaitable qu’une position conforme aux usages internationaux devrait être adoptée, en procédant à son abolition. La création de la Cour révolutionnaire est également citée, pour faire remarquer qu’elle ne favorisait pas un procès équitable pour tous les accusés. Pour Me Ali Haroun, on ne peut aller de l’avant si on ne dit rien sur ce qui ne va pas. Si l’on pense à des réformes, c’est que le corps est malade.
Le bon diagnostic
Il faut donc un bon diagnostic à partir duquel on peut trouver la bonne thérapie. En revenant à l’objet de L’éclaircie, l’orateur note que ce qui est relaté correspond à une période particulièrement difficile vécue par le pays. D’un côté il y avait le pluralisme politique, de l’autre, l’existence du FIS avec tout ce que cela suppose comme tensions politiques. Globalement l’image de l’Algérie à l’extérieur n’était pas bonne, d’autant que le pays était sous état de siège.
Ce fut la mission confiée au ministère des Droits de l’homme, nouvellement créé, d’expliquer à l’étranger, la situation et tenter de rassurer les interlocuteurs éventuels. Le ministère fera alors ce qu’il est possible de faire dans une période difficile.
Le résultat des élections législatives en janvier 91 pose alors un vrai dilemme : fallait-il accepter le résultat et permettre au FIS d’accéder au pouvoir, ou fallait-il s’y opposer ?
Première et grande mission pour le ministère des Droits de l’homme
C’est ce qu’il fallait expliquer, entre autres, aux interlocuteurs extérieurs, note Me Ali Haroun, dans la mission qui lui était dévolue au sein du ministère des Droits de l’homme. Cette campagne d’explication a été menée en France, en Grande-Bretagne, en Belgique, aux Nations unies, etc. On sait quel fut le choix décisif et les conséquences sur le plan sécuritaire. Aujourd’hui, affirme Me Ali Haroun on ne veut plus revenir à une opposition violente et encore moins arriver à une situation telle que vécue par l’Irak, l’Afghanistan, aussi. œuvrer au retour de la démocratie et de l’Etat de droit, se mettre d’accord sur des règles immuables : liberté d’expression, l’égalité entre tous, respect des droits de l’homme, la tolérance, c’est cela l’objectif. C’est un minimum pour l’instauration de la démocratie. C’est aussi respecter l’expression de la volonté nationale et que celle-ci corresponde au schéma minimum définissant la démocratie, une démocratie réelle, mais pas seulement formelle.
Une démocratie apparente
En Algérie, il existe aujourd’hui une démocratie apparente mais pas réelle, note l’orateur en répondant dans le débat à des question. Pour Me Ali Haroun, la démocratie, c’est d’abord une affaire de culture, c’est aussi une affaire de formation, 50 ans se sont écoulés depuis la proclamation de l’indépendance, nous sommes en face d’une démocratie apparente qui peut avoir une explication à travers l’histoire mais aujourd’hui, si l’on voit ce qui se passe dans les pays arabes, on peut dire que les peuples ont compris que la démocratie qui leur a été appliquée n’est qu’apparente et qu’elle ne satisfait pas, d’où nécessité de modifier le système. Ce qui a été réformé en Algérie ne l’a pas été suffisamment, ont estimé les autorités politiques. C’est pour cela que l’on cherche à aller vers des réformes plus profondes, ce qui se passe à l’extérieur s’impose aussi à nous.
Un processus normal
Concernant une question sur la période coïncidant avec l’ouverture politique dans notre pays et la prolifération de partis politiques, c’est un processus qui a été vécu ailleurs, souligne Me Ali Haroun qui cite le Portugal, dans la période post-Révolution des œillets, où l’on a vu émerger 80 à 100 partis politiques, en Tunisie après la Révolution du jasmin, toute récente. Après une période de présidentialisme dure, c’est donc un phénomène presque normal avec l’ouverture politique. La prochaine loi sur les partis politiques devrait prévoir les conditions à partir desquelles un parti politique peut se constituer avec, au préalable, sa représentativité.
La démocratie a ses règles
La démocratie a ses règles, note à ce propos Me Ali Haroun. A propos d’une question sur l’alternance au pouvoir, l’orateur souligne qu’il faut en tirer les leçons qui nous viennent de l’extérieur. Tout doit être précisé dans le texte constitutionnel et d’abord dans le préambule de celui-ci sachant que les articles dans le texte ne pourront contredire le préambule ou être contraire à celui-ci.
Pour autant, Me Ali Haroun estime que l’alternance est une des conditions de la démocratie. Si on est président à vie, on ne peut favoriser le choix des citoyens.
Certains hommes politiques pensent que si un président est bon, il n’y a aucune raison de ne pas lui renouveler la confiance populaire chaque fois que nécessaire. C’est faux, note l’orateur qui rappelle que dans de pareilles scénarios, nous nous trouvons dans un pays où l’élection est l’œuvre de l’administration publique et où toute la chaîne dépend du responsable en chef de cette administration. Si ce chef est candidat, l’administration n’est forcément pas libre.
Il y a des pays, comme la Russie qui ont un système alternatif, l’ancien Président peut se représenter après un mandat accompli par son concurrent. Sur une question concernant les moyens de parvenir à une réelle démocratie, l’orateur observe qu’il s’agit d’un problème de culture. Aujourd’hui, il y a un vent de liberté qui souffle sur le monde arabe et qui va certainement avoir des effets bénéfiques. La démocratie s’acquiert, est-il noté. Elle s’acquiert par le sacrifice populaire. Il y a des garanties qui en sortent après en avoir payé le prix. Ce qu’il faut à travers les réformes c’est assurer le respect de l’Etat de droit.
Tahar Mohamed Al Anouar