Qu’on le reconnaisse, sans diagnostic vital de cette pathologie collective dont souffre le pays, il serait pour le moins compliqué d’en dépister les germes ni d’en dresser un tableau aussi exhaustif que consensuel.
L’Etat post-colonial est une imposture entretenue par une caste de militaires au pouvoir depuis 50 ans.
Mais à qui appartient vraiment la responsabilité de cet échec national ? Pourquoi notre peuple s’est-il résigné au désespoir ? Pourquoi nos universités ne produisent-elles pas un savoir en osmose avec leur temps ?
Pourquoi nos officiels ne pensent-ils jamais à passer la main à cette jeunesse qui préfère les affres de l’exil, la voracité des mers et le délire des flammes à la chaleur du bercail? Pourquoi laisse-t-on la marge de plus en plus large à cette fixité, cet immobilisme et ce retard à tous les niveaux sans que personne ne s’en offusque outre mesure? Poser les termes d’une myriade d’interrogations d’une telle ampleur après plus d’un demi-siècle du recouvrement de la souveraineté nationale est plus qu’une gageure pavée de tant de points d’exclamations. En réalité, j’ai été poussé à en faire l’esquisse d’une réponse sous les suggestions et l’insistance d’un ami sexagénaire qui, ayant vécu en gamin les flonflons et les joies débordantes de l’indépendance en est revenu loin de ses illusions d’antan, l’Algérie selon lui régresse et régressera encore! Je ne crois pas disant et répétant cela me laisser gagner par un fatalisme passif mais avoue volontiers que l’Algérie est si prise dans un tel engrenage qu’elle ne s’arrête pas de s’auto-complaire dans sa dégringolade! Car, lamentablement, les masses assistent d’une part, à la destruction de l’espace public en tant que scène de réflexion et de débat collectif auquel tout citoyen peut accéder et s’exprimer sur tout sujet d’ordre social. D’autre part, on pressent une insensibilité citoyenne grandissante qui rime avec «une mort sociale» sur fond d’un laisser-aller collectif généralisé.
Sans l’ombre d’un doute, la faillite de la génération de la guerre et de nos ancêtres en général dans la transmission du flambeau générationnel a mûri la vermine de la dégénérescence dans la mesure où ceux-ci n’ont pas su ou pu tirer profit des apports tant oriental qu’occidental en les fondant de façon pragmatique dans le creuset national sans priver bien sûr celui-ci de sa substance réelle. On peut ajouter, ne serait-ce que pour la justesse du raisonnement, les inextricables problèmes apportés par la colonisation.
En effet, la nation, ce «construit social» qui se nourrit des métabolismes, des mouvements et des fluctuations de masse s’avère être dans le contexte tiers-mondiste, africain ainsi qu’arabe en général, et algérien plus particulièrement inerte, vide de sens, sans finalité, voire déviée de sa trajectoire initiale quant à la construction d’un savoir-vivre collectif. Force est de reconnaître à ce propos que dans une certaine mesure, l’État post-colonial dont notre pays est un spécimen fut presque une fiction, voire, en quelque sorte, une imposture ayant débouché inéluctablement sur une banqueroute tout azimuts (culturelle, politique, économique, sociale… etc), le leader sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001) a déjà dépeint dans l’un de ses ouvrages et de manière on ne peut plus lucide cet état des lieux lamentable et typique de l’Afrique « …une indépendance uniquement nominale est une fausse indépendance. Elle peut satisfaire l’orgueil national ; elle ne supprime même pas la conscience de l’aliénation, le sentiment de frustration, le complexe d’infériorité puisqu’elle ne résout pas les problèmes concrets qui se posent aux pays sous-développés : loger, vêtir, nourrir, guérir, éduquer les masses… » (Voir L.Sedar Senghor, Nation et voie africaine du socialisme, Paris, présence africaine, 1961 cité par Soulyemane Bachir Diangne, Bergson Postcolonial, C.N.R.S éditions, 2011).
En ce sens et parlant de l’Algérie, l’État indépendant était comme parti dès son commencement d’une «tabula rasa» avant même que les bases de la nation ne se mettent réellement en place dans le mesure où ses appareils se sont vite affaissés sous le poids des luttes du pouvoir, des penchants tribalo-régionalistes des dirigeants et des complicités interétatiques dépassant parfois le cadre local (la Françalgérie et la Françafrique à titre d’exemple).
De même, cet État-là ne fut pas en mesure de satisfaire les attentes socio-politiques pressantes du citoyen algérien dans le contexte fort bouillonnant de la décolonisation, ce qui a arrosé d’essence cette braise mourante de l’émeute dans ses veines.
Or, comme l’aurait bien affirmé le sociologue critique Pierre Bourdieu (1930-2002) dans son célèbre ouvrage (Misère du Monde, éditions le Seuil 1993), « toute politique qui n’offre pas de possibilités, si réduites soient-elles, à l’action […] est considérée comme coupable de non-assistance à des populations en danger ». Il est toutefois vrai qu’indépendamment des points cités ci-dessus, le cas pathologique algérien est très complexe vu d’un côté, la nature exemplaire du colonialisme qu’elle avait subie (colonisation du peuplement). D’autre côté, le primat d’une grande muette puissante, rodée aux manigances, organisée, influente et bien aguerrie sur les leviers de décisions a mis aux oubliettes toute conciliation ou médiation de type politique.
Ainsi la logique de la force continue-t-elle de régenter les rapports institutionnels jusqu’à nos jours. Chose qui a crée d’inextricables imbroglios, des cacophonies et des dysfonctionnements à telle enseigne que, présentement, même la loi, la toute-puissance de l’État et le sacerdoce constitutionnel ne représentent presque rien aux yeux de ceux qui tiennent le gouvernail du bateau algérien! C’est pourquoi, un réexamen à la fois scrupuleux et dépassionné par les élites de tout l’itinéraire que le pays a jalonné depuis juillet 1962 est nécessaire afin de désamorcer cette chape du flou qui paralyse les mécanismes de gouvernance étatique et soigner ce «désamour» que vouent les algériens à la chose politique. Cette démarche est d’autant plus sérieuse que l’Algérie semble également une contrée au profil psychologique brouillé (un pied dans la modernité et un autre dans la tradition, un jalon dans la citadinisation et un autre dans la ruralité!).
Pour cause, l’approche compréhensive qui devrait présider à la structuration sociale à l’aube de l’indépendance a été substituée par une dynamique de domination, de coercition et d’accaparement idéologique.
Les polémiques, les joutes verbales, les discussions, le dialogue et l’échange d’opinions qui font partie de ce que cohabiter voulait signifier ont été réduits pendant une trentaine d’années à une unicité de pensée paralysante, puis ont, à partir des années 90, viré, pluralisme de façade oblige, en manipulations successives de tout ordre (langagière, conceptuelle et politicienne).
La nébuleuse intégriste a quant à elle parachevé ce travail de sape par la terreur sanguinaire. Or, l’histoire et la sociologie des nations nous enseignent que c’est au processus démocratique, lui seul, de porter sur les structures de la société les possibilités de prévenir les coups de force, la corruption et les abus de pouvoir en permettant, pour ainsi dire, le passage ordonné de «la dictature coutumière» à «la démocratie permanente»!
Les États modernes qui mêlent pour reprendre les mots du politologue français Bertrand Badie territoire et identité, territoire et terroir, territoire et ethnicisme ont déjà mené à terme cette œuvre gigantesque de mise en condition régulatrice et directrice de leur cheminement historique alors que l’Algérie rêve encore ou, plutôt dire, n’arrive même pas comble de l’ironie à se départir de cette culture de «l’homme providentiel»! Inutile de ressasser à ce propos que s’habituer au partage du pouvoir politique et apprendre de ses échecs constituent cet aquarium du sens (culture) dans lequel évoluent les mentalités censées être en phase avec le monde et prédisposées au changement. Il est fort consternant d’affirmer néanmoins qu’en Algérie l’idée de «l’aggiornamento» des appareils institutionnels et leur mise en adéquation avec les besoins populaires reportée sine die à plusieurs reprises n’a pas aidé à la protection collective des valeurs, cette base minimale de l’État de droit.
Certes, toute histoire est un condensé de progrès, d’affirmation, d’incertitudes, de tensions, de chocs et de crises qui, au bout du processus, produisent des affinités intergénérationnelles en blindant le ciment de l’union mais n’en reste pas moins, je souligne, la consécration de l’effort intra-social, de l’amour patriotique, et du sacrifice élitiste. Selon le philosophe allemand Herder (1744-1803), chaque nation porte par devers elle-même son propre système de valeurs qu’il serait, quoiqu’en fassent les circonstances et les contingences, impossible de juger ni encore moins jauger d’après des critères objectifs d’un regard extérieur.
Car, c’est à la nation elle-même de s’estimer à sa juste valeur, de se voir dans son miroir à l’aune de ses caractéristiques propres, ses aspirations, ses métamorphoses et ses évolutions dans le kaléidoscope de la diversité. Herder appelle cela «le principe de la singularité organique» de «l’organisme vivant» qu’est la société. Autrement dit, les époques historiques ont un caractère clos et déterminé dans le temps et l’espace, raison pour laquelle, le philosophe insiste sur «le cosmopolitisme pluraliste». En ce sens que chaque culture a droit de revendiquer son individualité et partant chaque nation a sa personnalité propre.
Or, en Algérie, ce qui divise de façon irrémédiablement dissensuelle la scène politique, c’est le problème de l’identité, lequel tient résolument du casse-tête chinois depuis le mouvement national (1926-1962)! Faute de pacte républicain et de contrat de générations, les tendances nagent dans de terribles incohérences sans pouvoir s’accorder sur une forme de gouvernance immuable : statique dans ses principes et évolutive dans ses manifestations. Le régime politique ayant dès le départ dissimulé «la pluri-dimensionalité de la crise» derrière un carnaval de métaphores, d’euphémismes et de fausses propagandes (le stéréotype éculé de la main de l’étranger par exemple) a quant à lui façonné un système, du reste en trompe-l’œil, légal sans être légitime et pluraliste sans être ouvertement démocratique pour s’octroyer une pseudo-légitimité sur le plan international, le citoyen lambda qui veut réaliser le «bonheur intérieur brut» (B.I.B) comme dirait Daniel Cohen, lui, a enduré à son corps défendant des crises superposées et graduées à des échelles variées (instabilité psycho-sociale, précarité, mauvaise insertion économique…etc). Cette dissymétrie patente primo entre la forme et le contenu «systémique», et secundo entre les «inputs» et les «outputs» a forgé dans ses convulsions diverses générations qui n’arrivent pas au jour d’aujourd’hui à se comprendre, encore moins à assimiler l’univers où elles «végètent». Le déséquilibre entre le pouvoir et la société civile a été tel que l’image de l’État s’est décrédibilisée d’elle-même. Ce qui n’a pu aboutir qu’à des abus d’autorité, des détournements des fonds publics au su et au vu de tout le monde et à des dépassements. Implanter les procédures démocratiques dans le fonctionnement des institutions n’a jamais été conçu comme une priorité dans l’agenda de nos gouvernants.
L’autonomie et l’intégrité morale du citoyen ont été «ratatinées», voire gangrenées par le virus aussi omniprésent qu’omnipotent de la rente pétrolière. Et pourtant tous les pays de la planète en rêvent comme «arme verte» dans ce monde globalisé sauf nos élites qui, elles, y ont trouvé pour reprendre l’excellente expression d’un internaute anonyme, un substitut dans le corps du jeune algérien, c’est triste! En rétrospective, on se rend bien à l’évidence que ce fut la nomenclature qui a refusé d’interpréter cette situation de façon lucide et bienveillante en se contentant dans le sillage d’une lecture bornée et littérale des réalités nationales, primo, de jeter par-dessus bord les différences culturelles qui forment la mosaïque populaire, secundo, mépriser la volonté populaire, tertio, se cambrer sur une fausse légitimité révolutionnaire et au final tuer dans l’œuf la conscience et l’éveil citoyen. Ainsi, le colonel Boumédiène (1932-1978) a, sous prétexte de garantir une forme d’autarcie, de discipline et d’autosuffisance, dilapidé le gisement culturel de la mère-nation en adhérant à l’idéal «arabo-bâassiste» distillé par l’égyptien Nasser (1918-1970)! De même, il a tenté d’imiter dans un dessein à la limite de la naïveté, contexte de la guerre froide aidant, la politique des plans économiques de la Chine populaire, le paradigme soviétique de l’industrialisation forcée et surtout le modèle asiatique de «la dictature du développement» chère à la Corée.
Cette dernière a réussi, il est vrai, depuis 1960 à passer en l’espace d’une seule génération de la société préindustrielle à la société post-industrielle (migration accélérée des campagnes vers les villes). Ce qui fut une grande chimère sémantique dans «une société de paysannerie rurale» comme l’Algérie (voir à ce propos l’ouvrage du sociologue Abdelmalek Sayyad, le déracinement, le crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie co-écrit avec Pierre Bourdieu, éditions de minuit, Paris, 1964, édition revue et corrigée 1984)!
Penser à ensemencer les graines d’un dialogue social concerté, ouvrir le champ démocratique à la pluralité de visions, renforcer la société civile, jeter les jalons d’une presse indépendante, garantir la liberté d’expression et de conscience n’ont jamais été insérés dans le calendrier du défunt président mais phagocytés par l’esthétique des slogans tiermondistes dispersés pêle-mêle à travers le monde entier (soutien indéfectible aux causes justes, aspiration à un nouvel ordre mondial, revendication d’un non-alignement triomphaliste).
Le peuple en désarroi, tout juste sorti d’une guerre anti-colonialiste dévastatrice sous les slogans de (7 ans, ça suffit !) n’a aspiré de renouer quant à lui qu’à la stabilité et à la cicatrisation de ses blessures! Il est à remarquer que l’usage de la redoutable dialectique «moi ou le chaos» fut depuis longtemps l’une des tactiques d’infiltration sociale mise à contribution par le régime politique algérien. Les désaccords, source de tant de griefs, ont tout simplement été laminés par «la politique du bâton et de la carotte».
Les officiels du pays ont balayé du revers de la main tout traitement en profondeur des lésions sous-cutanées du «corps algérien brûlé au troisième degré»! A une échelle évidemment bien moindre, l’État-providence instauré par Chadli (1929-2012) avec sa P.A.P (politique anti-pénurie) et ses «souks El-Fellah» ont amélioré, ne serait-ce que dans quelques aspects, la vie matérielle du citoyen sans pouvoir toutefois régler grand-chose aux problèmes de l’Algérie profonde (culture, identité, défis d’avenir…etc).
Celle-ci offre déjà à l’époque une piteuse image car le pouvoir vacille, la rupture plébéienne vis-à-vis du domaine politique est presque consommée, les jeunes qui symbolisent l’échec du système, eux, s’initient à la révolte, l’école n’est plus perçue comme autrefois, c’est-à-dire, un ascenseur social qui miroite des lendemains enchanteurs, l’économie nationale, du reste claudicante prend un sérieux coup des suites de la crise économique mondiale de 1986, se noie dans le tourbillon du léviathan «Comprador» et se libéralise sauvagement, les villes supportent mal une sous-urabanité galopante, les élites «décognitivisées» et «cheptelisées» à bien des égards se lâchent, le «brain-drain» vers l’Europe et les pays développés s’ébauche et le président Chadli sans aura ni charisme fut affaibli par les déchirements internes qui rongent les rouages de l’État. Les événements hors proportion d’Octobre 88 ont, quoique l’on en dise, été sans incidence majeure sur ce qui est connu intra-muros sous la dénomination du «système» car «l’ouverture par effraction» du champ politique pour relayer le mot d’Aït Ahmed n’a pas été pleinement assumée par les apparatchiks-sphinx du Parti-État-F.L.N qui ne voyaient dans le changement qu’une voie de garage, plutôt dire, «une entourloupette» de nature à les ressusciter de leurs cendres et faire durer le suspens! Au reste, une société où le domaine politique n’était pas encore structuré en termes d’éthique, d’efficacité et de rentabilité prendrait assurément de la durée afin d’ajuster ses dysfonctionnements puisque l’État, la patrie, la nation, le gouvernement et le bien public tendent malheureusement à se confondre dans l’esprit du citoyen lambda qui, ne s’assurant pas que les structures sociales, les institutions publiques et les autorités fonctionnent correctement en faisant usage de procédures transparentes, ait souvent recours à des stratégies dolosives se situant à équidistance du corps légal dans le système parallèle ou «le cercle informel». Ce phénomène s’est transposé par contagion négative dans toutes les sphères (économique, sociale et culturelle) et même au-delà des mers (le phénomène des sans-papiers et en partie dans la lancinante crise à multiples facettes des banlieues françaises)! Le pays s’est transformé en «un grand bazar de trocs informels» auquel s’est accolé le phénomène islamiste. Cela dit, il n’y a eu aucun espoir d’intégration par la participation électorale, la combinaison subtile de la diversité culturelle (linguistique) avec la diversité sociale (syndicats autonomes, presse pluraliste et partis autonomes), son absorption et son «recyclage» en un savoir-vivre politico-social mais un rachat de l’assentiment et de la foi populaires au moyen de la rente viagère des hydrocarbures!
Et là on en vient à se demander où se trouve «cette identité référentielle» de nature à préserver la société civile, si tant est qu’elle existe, de la défection honteuse du champ d’action. L’interdépendance des causes qu’on vient d’énumérer nous amène forcément à traiter la question de cet échec sous un autre angle, purement culturel celui-là! En Algérie, il est un fait pathétique dont on évite si souvent de parler, l’anthropologie culturelle, branche descendante de l’ethnologie et des études ethnographiques a, pendant fort longtemps, été considérée comme étant une science coloniale de peu d’intérêt, mise à contribution par les missionnaires, les colons et les impérialistes pour mettre leur grappin sur l’héritage et le fonds identitaire du terroir, ritualisé, banalisé et vulgarisé tel un folklore. C’est pourquoi, cette discipline a été prohibée en tant que telle dans l’Algérie post-indépendante. L’attitude paternaliste, chauviniste et jacobine sous le cachet d’une quête éperdue d’authenticité, acclimatée par des réflexes d’hérisson (stratégie protectionniste du repli) adoptée par les autorités algériennes a, au lendemain de la fuite des Pieds-Noirs (cette grande intelligentsia urbaine), été renforcée par un large mouvement d’arabisation de la société initié par des coopérants culturels venus du Moyen-Orient. La mise en quarantaine de l’élite communiste par l’ex-président Ben Bella (1916-2012) n’a fait qu’empirer la situation face à l’exclusion du G.P.R.A (gouvernement provisoire de la république algérienne) et des leaders nationalistes notamment Boudiaf (1919-1992), Aït-Ahmed et Ferhat Abbas (1899-1985) des organes de décision. C’est ainsi que la tendance de gauche du mouvement national, marginalisée, retrouve refuge deux ans plus tard dans la «nostalgie révolutionnaire» d’ersatz du colonel Boumediène. Profitant de cette brèche, elle s’établit par un «entrisme aussi stratégique que pragmatique» dans la gestion administrative en s’engageant, vu ses compétences managériales, dans la restructuration de l’appareil bureaucratique à laquelle s’est attelée, non sans dévouement, Ahmed Medeghri (1934-1974), le ministre de l’intérieur (60-70) jusqu’à la promulgation du fameux article 120 sous Chadli en 1980. De tout temps, «la logique excluante» à l’origine du déclin que vit présentement le pays a été le maître mot des jeux d’influence au sein des appareils sensibles de l’État et même dans l’opposition.
Toutes ces plaies et bien d’autres encore se sont en effet putréfiées pour devenir au jour d’aujourd’hui des abcès qu’un acharnement thérapeutique par la distribution non-planifiée et à visée souvent électoraliste d’une rente pétrolière, si dense soit-elle, ne saurait au grand malheur des bas-fonds sociaux guérir. Car, il y a lieu de mettre en évidence en définitive que le problème ne se pose pas seulement au niveau de la critique des aspects contestables de l’action gouvernementale actuelle mais de faire en sorte qu’une méthode à suivre s’en dégage afin de refonder «l’infrastructure idéologique» sur laquelle celle-ci s’appuie.
L’Algérie de nos jours fait en effet du décrochage démocratique un mode de résistance au changement ! Recouvrer l’essence de la souveraineté populaire en faisant valoir la légitimité dans le cadre de la légalité est la voie idéale pour une approche pragmatique de transition démocratique. Ce qui regorge à n’en point douter d’une panoplie d’avantages, parmi lesquels, je cite : 1-le primat de la démocratie, 2-l’érection d’un État de droit, 3-la sacralité de l’alternance au pouvoir.
Kamal Guerroua, universitaire