Madjer : «En 1988, Cruyff voulait m’associer à Van Basten à l’Ajax

Madjer : «En 1988, Cruyff voulait m’associer à Van Basten à l’Ajax

Comme à chaque fois qu’on le sollicite, Rabah Madjer s’est montré disponible à répondre à nos questions, en nous confiant même des détails sur sa carrière de footballeur qu’il n’avait jamais révélés auparavant. L’ex-capitaine des Verts nous parle aussi de la cérémonie du Ballon d’Or qu’il a trouvée exceptionnelle, de sa relation avec Johan Cruyff et du tout nouveau lauréat du Ballon d’Or, Sofiane Feghouli. Entretien !

Que pensez-vous du lauréat du Ballon d’Or 2012 ?

Sans conteste, Feghouli mérite le Ballon d’Or. Il a réalisé une très belle saison, que ce soit avec son club ou l’Equipe nationale. Ses performances plaident pour lui, il a fait étalage de tout son talent et a été de loin le meilleur joueur algérien cette saison. En tout cas, le Ballon d’Or Le Buteur /El Heddaf a toujours été décerné au meilleur.

Pensez-vous qu’il aura un grand avenir ?

Oui, il a d’énormes qualités et sa façon de jouer déstabilise souvent l’adversaire. Il s’affirme dans son club et parvient à se faire une place dans un grand club européen. Je suis sûr que s’il continue comme ça, il ira très loin.

Même ses débuts en Equipe nationale ont été réussis. Il a d’ailleurs marqué un but lors de sa première apparition avec la sélection et le public algérien l’a tout de suite adopté. C’est un signe, selon vous ?

Ça c’est vrai, il a la tête sur les épaules comme on dit, il sait ce qu’il veut et sait comment l’obtenir. Vous savez, rares sont les joueurs qui réussissent dès leur première apparition en sélection. Cela prouve qu’il a beaucoup de qualités. Tout le monde s’accorde à le dire et je lui souhaite beaucoup de réussite.

Vous qui êtes un habitué de la cérémonie du Ballon d’Or, que pensez-vous de cette 12e édition ?

En toute sincérité, c’était une grandiose cérémonie, comme vous nous avez habitués à le faire. Chaque année, Le Buteur et El Heddaf organisent une cérémonie de très haut niveau et on les en remercie. D’ailleurs quand nous étions dans la salle, la question de savoir si on était à la hauteur de cette cérémonie ne s’est guère posée. Personnellement, je considère Le Buteur et El Heddaf comme une fierté pour la presse algérienne et le football algérien en général. Il y a une chose qui m’a beaucoup touché durant cette cérémonie, pour laquelle je ne vous remercierai jamais assez, c’est d’avoir honoré Mhamed Talbi et Omar Kezzal. Le premier était un ami et un frère pour moi, c’était un grand homme. En ce qui concerne Omar Kezzal, je n’oublierai jamais ce qu’il a fait pour moi. C’est grâce à lui que je suis parti au Racing de Paris, je le considère comme le meilleur président que la Fédération algérienne de football ait connu. Il faudra songer à ériger une stèle à sa mémoire au siège de la FAF. J’ai été également touché quand notre cheikh Kermali a été honoré, c’était un grand moment d’émotion.

Et notre invité d’honneur, Johan Cruyff ?

Je dois dire tout d’abord que Feghouli a été très chanceux d’avoir reçu le Ballon d’Or des mains d’une légende du football mondial. Cruyff est l’idole de plusieurs grands joueurs du monde. Personnellement, c’était mon idole et j’ai été très heureux de le rencontrer. C’est une très bonne chose qu’une grande personnalité comme lui vienne en Algérie. C’est la première fois d’ailleurs qu’il est venu dans notre pays. Franchement, vous avez mis la barre très haut et on ne sera plus surpris la prochaine fois, car votre statut vous obligera désormais à faire toujours mieux.

Cruyff n’a pas tari d’éloges à votre égard, il semblait bien vous connaître. Quelle est votre relation avec lui ?

Je dois d’abord vous dire que j’ai été agréablement surpris lorsque j’ai appris qu’il état l’invité d’honneur de cette édition. Comme je viens de vous le dire, il était mon idole. Il m’est arrivé, en effet, de l’avoir rencontré à plusieurs reprises et je lui voue un immense respect.

De quoi avez-vous discuté pendant la cérémonie ?

Il m’a parlé de l’Algérie et il m’a dit qu’il se plaisait ici. Il a également demandé de mes nouvelles et de mes projets. Nous avons discuté des sujets en relation avec le football et j’ai senti en lui qu’il était très à l’aise dans notre pays. Il rigolait avec tout le monde, c’est un monsieur qui a une forte personnalité et qui sait rester très humble.

Quand l’avez-vous rencontré pour la dernière fois ?

Je crois que c’était en 1994, quand j’étais sélectionneur de l’Equipe nationale. C’était à Barcelone, j’étais accompagné de mon fils et il nous a reçus dans son bureau. Nous avons longuement discuté et nous avons même pris des photos souvenir ensemble. Depuis, je ne l’ai plus revu. Cela fait donc 18 ans, et vous comprenez pourquoi j’ai été très heureux de le revoir.

Comment avez-vous fait connaissance auparavant ?

Je vais vous raconter comment j’ai connu Cruyff, et c’est la première fois que je vais le faire. Cruyff me voulait aux côtés de Van Basten à l’Ajax Amsterdam, en 1988. Il m’avait vu lors d’un tournoi que nous avons joué en Espagne à l’époque, un tournoi que j’avais remporté avec le FC Porto. J’avais marqué deux buts et j’ai été élu meilleur joueur de ce tournoi. C’est là où j’ai attiré l’intérêt de Cruyff pour moi. Il est venu me voir par la suite à l’hôtel et il m’a soumis l’idée de rejoindre l’Ajax qui jouait la Coupe des coupes d’Europe. Il m’a expliqué qu’il voulait m’associer à Van Basten en attaque.

Que vous a-t-il dit exactement et pourquoi n’êtes-vous pas allé à l’Ajax ?

Il  m’avait demandé si j’étais prêt à changer d’air, je lui avais répondu que j’étais lié avec Porto par un contrat, mais qu’il y avait une clause qui obligera Porto à me libérer en contrepartie d’une certaine somme d’argent. Il m’a demandé mon numéro, je le lui ai donné, et quelque temps après, quand je suis rentré à Porto, j’ai reçu un appel  téléphonique de Cruyff en personne, et là, je vais vous raconter une anecdote.

Allez-y…

Quand le téléphone a sonné, j’ai décroché, et à l’autre bout du fil, une voix me fit : «C’est Johan Cruyff avec vous.» J’ai répondu : «C’est qui Cruyff ?» Il a rétorqué : «Cruyff, l’entraîneur de l’Ajax Amsterdam.» Je ne l’ai pas cru et je lui ai dit d’arrêter de se moquer de moi. Mais quand je me suis rendu compte que c’était réellement lui, je n’ai pas cru mes oreilles et j’ai été très content. Il m’avait fait savoir qu’il allait venir me superviser à Porto et qu’il allait discuter avec mes dirigeants. Hélas, les deux parties n’ont pu trouver un accord et je suis parti par la suite jouer à Valence.

En parlant de Valence, pourquoi voulez-vous attaquer ses responsables en justice ?

(Rire) Je discutais avec Feghouli dans les coulisses et je lui ai dit que je vais attaquer Valence en justice, parce tu portes mon maillot. Mais j’ai renoncé à cette idée, car il mérite de porter ce maillot, il lui va bien et lui fait honneur.

On va parler, si vous voulez bien, de l’Equipe nationale. Lors de la cérémonie du Ballon d’Or, vous avez demandé à ce que la sélection puisse accrocher une deuxième étoile sur son maillot. Vous ne pensez-pas que vous avez mis la barre très haut ?

Non, pas du tout ! Je vais vous expliquer pourquoi je l’ai dit. C’est sorti du fond du cœur, car j’aime l’Algérie et la sélection nationale. Il ne faut pas que l’Algérie aille faire de la figuration ou jouer les seconds rôles. Je crois vraiment qu’il est temps d’accrocher une deuxième étoile, c’est la moindre des choses.

Vous pensez donc que l’Algérie est capable de gagner la CAN ?

Il s’agit de football, ce n’est pas de la science exacte. Tout peut donc arriver lors d’un match de football. Aussi, une rencontre se joue sur un terrain pendant 90 minutes où tout est possible. Je pense  que nous avons les moyens pour réaliser cela. Ce qui est sûr, c’est qu’aucune sélection n’avait bénéficié de moyens aussi importants. Cet investissement ne doit pas être fait pour rien. Il faut y aller pour gagner, mais il y a une chose dont j’aimerais parler.

Laquelle ?

Le problème, c’est que l’Equipe nationale n’a pas bien préparé cette CAN. A mon avis, la sélection nationale n’est pas prête pour cette compétition, Nous n’avons pas joué beaucoup de matchs et je n’ai pas vu un noyau dans cette équipe autour duquel repose l’équipe. A ce niveau, il faut avoir un groupe compact avec des joueurs qui ont l’habitude de jouer entre eux afin que la cohésion soit la plus parfaite possible. Il aura fallu en ayant affronter des équipes de haut niveau, à l’instar de celles qu’on rencontrera en Afrique du Sud. Or, ça n’a pas été le cas et c’est ce qui me fait peur. Mais je l’ai dit, ce n’est pas une science exacte, tout peut arriver sur un terrain de football.

Peut-on rattraper ce déficit d’ici au début de la compétition ?

Non, ce n’est pas possible, on ne prépare pas une CAN en un mois. Elle nécessite une préparation de plusieurs mois, mais on peut combler ce déficit avec la volonté et l’envie des joueurs qui peuvent faire la différence.

Comment voyez-vous alors nos chances dans un groupe constitué de la Côte d’Ivoire, de la Tunisie et du Togo ?

C’est un groupe très difficile car nous allons affronter les meilleures sélections africaines du moment. Le Togo, quoi que l’on dise, ses joueurs et ses responsables jurent qu’ils n’iront pas faire de la figuration et qu’ils y vont pour un truc bien précis. Pour la Côte d’Ivoire, qui est la plus forte équipe du groupe, elle sera devant une occasion qui ne va sans doute pas se répéter pour les joueurs actuels dont la majorité disputeront leur dernière CAN. C’est peut-être la dernière chance pour cette génération de gagner cette CAN, après avoir échoué de peu à plusieurs reprises. Vous comprendrez pourquoi ils seront difficiles à battre. Il ne faut pas oublier aussi qu’ils ont un joueur qui s’appelle Drogba qu’il va falloir surveiller de près. Enfin, la Tunisie est une équipe qui a le même jeu que nous, mais qui a un noyau constitué de joueurs locaux et autour duquel s’articule l’équipe. C’est ce qui pourrait nous créer des problèmes, à mon avis. Bref, toutes les équipes de ce groupe ont leurs chances et l’Algérie devra croire pleinement en ses chances et les jouer à fond. Elle est capable de passer le premier tour, elle doit y croire.

Quel commentaire pourriez-vous faire sur la liste des joueurs qui prendront part à cette CAN ?

Il ne faut pas commencer à discuter les choix de l’entraîneur qui est le seul à connaître ses joueurs et le seul à savoir ce qu’il veut et ce qui correspond à sa philosophie de jeu. Ça ne sert à rien de dire qu’il fallait prendre tel joueur ou tel autre, ce sont ses choix, il doit les assumer, et c’est tout !

Avant de terminer, nous voulons savoir qui souhaiteriez-vous voir comme invité d’honneur de la cérémonie du Ballon d’Or de l’année prochaine ?

(Rire) On ne peut pas savoir de quoi vous êtes capables, mais je ne serai pas étonné de voir Messi ou Maradona. Par contre, j’ai une demande à vous faire.

Allez-y…

Vous avez honoré tout le monde, vous n’avez oublié personne, mais il y a une génération qui été oubliée à mon avis, celle des années 1990 qui a ramené le seul et unique trophée à l’Algérie. Il faut penser à honorer cette génération et je vous félicite pour tout ce que vous faites.