Deux facteurs expliquent cette poussée inflationniste pour l’année 2012, à savoir l’augmentation du SNMG et l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages.
Au cours de la dernière décennie, l’inflation a été contenue à un niveau modéré de 4% en moyenne grâce aux subventions pour les produits de large consommation, de l’énergie et du carburant dont le prix n’a pas bougé depuis 10 ans. L’année 2012 est différente.
Selon l’ONS, l’indice des prix des mois de décembre 2011 et décembre 2012 sont respectivement de 152,9 et 167,3. L’inflation est donc de 9,4% pour l’année 2012. C’est gigantesque, surtout au vu des subventions étatiques. Nous faisons face à un énorme incendie qu’il faut absolument éteindre. Cette forte inflation a eu deux vagues. D’abord l’augmentation du SNMG (+20%) et des différents salaires a eu un impact fort sur les prix. Ensuite, l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages a augmenté la demande des biens, créant de fortes tensions sur les marchés dont les offres sont limitées.
Deux autres vaguent arrivent. D’abord, le dinar est en train de se déprécier mécaniquement à cause de la différence entre l’inflation nationale et l’inflation de nos partenaires économiques (Etats-Unis et Europe) où l’inflation est autour de 2%. Ainsi, un dollar américain valait début janvier 75,6 DA, ensuite 82,2 DA fin juillet, et a miraculeusement baissé depuis puisqu’il valait fin décembre 78,4 DA. Le dinar a donc baissé de 3,7% par rapport au dollar américain au cours de l’année 2012. Le dinar a aussi baissé de 7% par rapport à l’euro. Ces baisses du dinar par rapport au dollar et l’euro vont se répercuter sur les prix de tous les produits importés ainsi que les produits locaux qui utilisent des intrants importés, prix qui vont augmenter, ce qui créera de l’inflation. L’autre vague sera l’augmentation des salaires dans le secteur privé qui sera lente et se fera par le marché du travail. A un moment donné, le secteur privé sera obligé d’augmenter les salaires quand il aura du mal à débaucher les meilleurs cadres du secteur public et à recruter les meilleurs jeunes diplômés qui préféreront le secteur public à cause des récentes augmentations salariales. La boucle sera bouclée.
Yed wahda matsaffek. C’est particulièrement vrai en économie puisque ce sont l’offre et la demande des biens qui fixent leur prix. Les arguments que donne la Banque d’Algérie (BA) depuis des mois pour expliquer l’inflation de 2012 concernent principalement l’offre (dysfonctionnement des marchés, spéculation). Or, nous avons assisté en 2012 à de très fortes augmentations salariales avec des rappels sur plusieurs années pour certains fonctionnaires, créant un énorme choc de demande. La politique monétaire de la BA pour lutter contre l’inflation consistant à retirer des liquidités est clairement un échec au vu de l’ampleur de l’inflation, et elle nuit à la croissance économique puisque une partie de cet argent est enlevé des crédits distribués. Quand à l’augmentation de 9 à 11% du taux de réserves obligatoires pour les banques, son effet est nul car les banques sont en surliquidité.
Augmenter la rémunération des dépôts à terme
Pour lutter efficacement contre l’inflation actuelle, les pouvoirs publics doivent prendre de manière urgente des décisions de grande ampleur. Il faut mettre en place des mécanismes pour inciter les ménages à épargner. La première chose à faire est d’augmenter la rémunération des dépôts à terme. Cette rémunération doit être au-dessus de l’inflation anticipée à court terme. La loi de finances qui vient d’être votée se base sur une inflation de 4% pour 2013. La prévision du FMI est de 5%. En tout état de cause, la rémunération des dépôts devrait être supérieure à 4%.
Cette rémunération est anormalement faible en Algérie. Les banques publiques se comportent comme une seule banque et rémunèrent les dépôts à terme de 2%, ce qui est nettement plus faible que l’inflation (4% en moyenne au cours de la dernière décennie). C’est particulièrement vrai en 2012 où l’inflation est de 9,4%.
Les banques privées rémunèrent mieux les dépôts à terme (3 à 4%), mais moins que l’inflation. La faiblesse de la rémunération des dépôts à terme par rapport à l’inflation dissuade les ménages et les agents économiques de déposer leur argent dans les banques, ce qui renforce l’économie informelle. Elle les dissuade aussi d’épargner et les incite à consommer, ce qui tire l’inflation vers le haut.
Au Maroc, qui a le marché financier le plus développé du Maghreb, l’inflation est actuellement autour de 1% alors que la rémunération des dépôts à un an est autour de 3%. Plus précisément, la rémunération des dépôts par la première banque marocaine (AttijariWafa Bank, AWB) est de 2,50% pour les dépôts à 3 mois, 2,75 % à 6 mois, et 3% à un an. Lorsque le montant du dépôt est de un million de dirhams marocains (soit 90 000 euros), AWB rajoute 0,25% de rémunération. Il faut noter que le taux directeur au Maroc est de 3%, c’est-à-dire qu’une banque marocaine doit payer 3% ses emprunts auprès de la Banque centrale marocaine.
Un représentant de la BA a récemment écrit qu’augmenter la rémunération des dépôts à terme n’était pas dans les prérogatives de la BA et que les banques commerciales étaient indépendantes. Cet argument d’indépendance est une mauvaise blague, c’est-à-dire une blague qui ne fait rire personne au regard de l’ampleur de l’inflation. Quand aux prérogatives de la BA, je pense que ce qui intéresse nos concitoyens est de savoir si une telle augmentation lutterait ou pas contre l’inflation. Si c’est le cas, la BA devrait s’adresser aux autorités compétentes pour prendre les dispositions nécessaires car l’actionnaire unique des banques publiques (qui dominent le marché) reste l’Etat, c’est-à-dire le peuple. Notons aussi que le FMI a aussi recommandé dans le communiqué de presse concluant sa mission faite en novembre dernier d’augmenter les taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation.
L’Etat pourrait privatiser certaines entreprises ou banques
Néanmoins, augmenter la rémunération des dépôts à terme ne sera pas suffisant pour lutter contre l’inflation car il faut que les épargnants aient des opportunités d’investissements. L’Etat doit les procurer en vendant certains de ses biens. Il pourrait privatiser certaines entreprises ou banques mais ceci prendrait beaucoup de temps. En plus, on parle depuis des années de privatisations sans que rien d’important se passe. Le plus simple serait de vendre par anticipation une partie importante des centaines de milliers d’appartements que l’Etat s’apprête à construire au cours des prochaines années et qui ne soient pas destinés au logement social. L’Etat pourrait exiger le paiement d’une partie substantielle (par exemple 30%) du prix d’un appartement dès la signature de la vente sur plan, quitte à mettre une forte pénalité en cas de non-livraison de l’appartement dans les délais. Par exemple, réclamer un million de dinars pour 100 000 logements permettrait de retirer des circuits financiers 100 milliards de dinars, soit 1 milliard d’euros.
La BA s’est focalisée depuis dix ans sur le retrait de liquidités pour lutter contre l’inflation. Les énormes investissements publics de la dernière décennie sont à l’origine de l’abondance de liquidités dans les banques algériennes. Ainsi, les banques n’ont plus utilisé les prêts de la BA à partir de 2001 pour se financer puisqu’elles disposaient de suffisamment de dépôts des agents institutionnels comme Sonatrach et des épargnants individuels. Ces liquidités ont considérablement augmenté depuis 2011 à cause des importantes augmentations salariales et des rappels sur plusieurs années. Néanmoins, ces raisons ne sont pas les seules. D’abord les banques ne prêtent pas assez. En plus, une bonne partie de ces prêts est à court terme (36,6% pour 2011), ce qui veut dire que cet argent est réinjecté rapidement dans le système bancaire. Je pense que ces excès se résorberont naturellement si les montants des crédits et la part des prêts à moyen et long terme augmentaient. Mais si ce n’est pas le cas ou pas suffisant, une autre solution existe.
L’Etat devrait emprunter massivement cet argent pour financer son déficit au lieu d’utiliser le Fonds de régulation des recettes (FRR). C’est aussi ce que recommande le FMI dans le communiqué de presse cité ci-dessus où il est écrit que la lutte contre l’inflation devrait être “soutenue par un recours accru du Trésor au marché financier pour le financement des déficits publics”. Ces prêts coûteraient peu d’argent, puisque les dépôts à terme sont rémunérés 2% par les banques publiques et que l’inflation est de 9,1%. Une vraie aubaine ! En plus, l’utilisation du FRR pour financer le déficit augmente mécaniquement la masse monétaire M2, ce qui accentue la pression inflationniste. En empruntant les excès de liquidités, l’Etat répondrait au vœu de la BA de diminuer les liquidités, et pour une fois ces retraits de liquidités serviront l’économie.
Notons que l’Etat pourrait rembourser par anticipation cette dette si nécessaire, par exemple en cas d’une forte demande de prêts productifs. Le plus simple serait de passer par la BA, c’est-à-dire que c’est la BA qui achèterait les bons du Trésor en empruntant l’argent auprès des banques au taux des reprises de liquidités ou de la rémunération des dépôts.
Il faut aussi dire qu’actuellement, l’inflation fait deux gagnants. D’abord, tous ceux qui ont un crédit et qui payent un taux inférieur à l’inflation. C’est le cas cette année de tous les emprunteurs auprès des banques publiques, mais ce n’était pas le cas dans le passé. Le second gagnant est l’Etat. En effet, l’inflation déprécie mécaniquement la valeur du dinar contre les devises étrangères. Ainsi, en cas d’inflation, la contrepartie en devises de la masse monétaire baisse, alors que le montant des devises ne bouge pas. Cette différence (près de 4,7 milliards de dollars en 2012) est un bénéfice pour la BA qui gère les réserves de change, qui normalement doit le verser au Trésor sous forme de dividendes. Autrement dit, l’Etat taxe les citoyens et les entreprises à travers l’inflation. Si l’Etat empruntait auprès des banques algériennes pour financer son déficit, il rendrait en fait une partie de ces taxes générées par l’inflation aux épargnants individuels et institutionnels.
Le traumatisme de la dette extérieure des années 80
Le traumatisme de la dette extérieure des années 80 est toujours présent dans les esprits. Il est néanmoins important de signaler que, pour un Etat, être endetté intérieurement est très différent que de l’être extérieurement, et que la dette intérieure est beaucoup plus facile à gérer en cas de situations difficiles.
Il faut aussi noter qu’une forte croissance de l’économie que tout le monde espère pour les années prochaines créera nécessairement des pressions inflationnistes, ce qui pourrait amener les pouvoirs publics à arbitrer entre une forte inflation ou une forte croissance économique. La situation actuelle est inacceptable, car la croissance est plutôt faible (autour de 2,5% et 2% de moins que la moyenne de la zone MENA), alors que l’inflation est très forte.
L’inflation pénalise fortement Sonatrach. La société pétrolière se trouve à un tournant de son histoire car elle doit faire face à plusieurs défis technologiques et économiques. Elle a connu récemment de graves problèmes de gestion. Sonatrach a besoin du maximum de sérénité, en particulier pour ses finances.
A cause de la forte inflation, Sonatrach perd beaucoup d’argent. En prenant comme référence ses dépôts de 2011 qui étaient de 1 031 milliards de dinars et en supposant que son argent est rémunéré 2% par la BEA, qui est aussi la rémunération actuelle des obligations américaines, Sonatrach va perdre cette année 490 millions de dollars américains puisque ses dépôts de 2011 valaient début janvier 13,65 milliards de dollars contre 13,16 milliards de dollars actuellement. C’est gigantesque. C’est l’équivalent de cinq forages en mer. Comme je l’ai déjà dit ci-dessus, l’argent que perd actuellement Sonatrach à cause de l’inflation ne se volatilise pas. Sa contrepartie en devises est dans les réserves de change que gère la BA. Tout l’argent perdu par Sonatrach à cause de l’inflation est en fait un bénéfice pour la BA et donc l’Etat. On pourrait donc dire que c’est Moussa-Hadj et Hadj-Moussa. Non, ce n’est pas la même chose pour Sonatrach.
D’abord, pour ses plans de financement, cet argent est une vraie perte. Ensuite, la situation actuelle crée de mauvaises incitations. Elle incite Sonatrach à investir massivement à court terme et à anticiper des dépenses futures pour que son argent actuel ne soit pas grignoté par l’inflation. Les pouvoirs publics devraient permettre à Sonatrach de déposer une partie de sa trésorerie dans un compte en devises géré à la BEA ou à la BA, argent qui serait placé comme les réserves de changes. Un autre avantage à cette solution est qu’elle diminuerait la masse monétaire et donc les pressions inflationnistes.
Pour conclure, la lutte contre l’inflation nécessite des décisions de grande ampleur de la part des pouvoirs publics. Il me semble fondamental d’augmenter la rémunération des dépôts à terme qui doit être supérieure à l’inflation anticipée à un an, de procurer des opportunités d’investissement aux épargnants et d’emprunter les excès de liquidités pour financer le déficit budgétaire au lieu d’utiliser le FRR.
N. M.