“L’école responsable de toutes les perversions”
Ce fléau, qui a gangrené la société, trouve son origine dans le contexte sociopolitique des années 1980.
À la veille de la célébration de la Journée internationale de l’élimination des violences à l’encontre des femmes (le 25 novembre prochain), le centre d’études diocésaine Les Glycines a organisé, vendredi en fin d’après-midi, à Alger, une conférence-débat sur ce phénomène, animée par le Dr Faïka Medjahed, responsable du service santé femmes à l’Institut national de santé publique (INSP), également militante féministe et psychanalyste active au sein d’un groupe d’études travaillant sur les “souffrances psychosociales des femmes, des enfants et des hommes de ce pays”.
Dans son exposé, l’intervenante a reconnu que les violences subies par les femmes sont “un des sujets les mieux gardés”. Au point où ce phénomène prend aujourd’hui “l’ampleur d’une pandémie” qui porte “gravement atteinte à la santé publique” et constitue “un terrible affront aux droits humains”.
“Partout dans le monde, des femmes subissent régulièrement des violences sexuelles et des coups infligés par leur partenaire intime, des membres de leur famille, des voisins ou des inconnus.
Elles sont aussi des victimes toutes indiquées pendant et après les conflits et les guerres”, a précisé Mme Medjahed. Selon elle, ce fléau qui a gangrené la société trouve son origine dans le contexte sociopolitique des années 1980 jusqu’à ce jour.
Un contexte marqué par “la remise en cause de la mixité, du sport féminin, des études et du travail des femmes”. Plus explicite, la conférencière est revenue sur les “contextes familial et cultuel” et les ravages du “formatage” qui prédisposent la fille et la femme à l’acceptation de “toutes les agressions stoïquement comme allant de soi”.
Elle a revisité les années 1980, qualifiées d’“années de misogynie”, impliquant l’école dans la propagation de “toutes les perversions”. “Ce déficit de sens à l’endroit de la femme va imprégner un processus de dévalorisation dans l’esprit des élèves, qui ne peuvent comprendre un quelconque rôle joué par les femmes dans la société présente ou passée”, a souligné le Dr Medjahed.
Cette dernière a, en outre, attesté que c’est dans les années 1980 qu’est apparu “subrepticement” le port du voile dans les établissements scolaires, transformant petit à petit l’école du savoir en une place réservée “au profane et aux islamistes”, visant à rendre les femmes “invisibles”.
Quant aux étudiants, elles subiront “les pires agressions physiques de la part de certains individus érigés en milices”, dira-t-elle, avant d’observer que “les années 1980 n’ont fait que préparer les femmes, les hommes et les enfants aux années sans nom de 1990”. La preuve, soutiendra-t-elle, les années 1990 sont celles des “viols et des folies meurtrières” qui ont laissé place à “l’irréparable” en 2001, à travers les “viols innommables” à l’encontre de femmes travaillant à Hassi-Messaoud.
Plus loin, la responsable fera remarquer que quelque chose a cependant changé dans le regard porté sur ces femmes victimes, puisque les viols individuels ou collectifs des années 1990 “ont rendu visibles les autres violences ciblant les femmes et l’hétérogénéité des débats au sein de la société”. Désormais, des gens vont s’investir de plus en plus dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes.
Par ailleurs, des enquêtes, études et recherches sont engagées, dont la première, lancée par l’INSP et à laquelle a participé le Dr Medjahed, a été menée en 2002-2003. Plus encore, l’Algérie s’est nouvellement dotée d’un ministère chargé de la Femme qui vient d’élaborer une “planification stratégique de lutte contre les violences fondées sur le genre”. Il n’empêche, le dossier sur les violences faites aux femmes “ne bénéficie pas toujours d’appui financier”.
Un constat paradoxal dans un pays qui affiche une embellie financière, mais qui en dit long sur l’étendue du travail à faire, y compris sur le registre de l’ijtihad.
Hafida Ameyar