Lutte contre les incendies de forêts: Et si on s’inspirait de nos ancêtres?

Lutte contre les incendies de forêts: Et si on s’inspirait de nos ancêtres?

Beaucoup de personnes rencontrées dans le cadre de notre article se souviennent de ces temps-là où les villageois s’attendaient inévitablement aux feux de forêts.

Depuis les premiers temps, les habitants de l’Afrique du Nord ont cherché les meilleurs moyens d’apprivoiser le climat de la région, rude en hiver et paradoxalement très sec et très chaud en été. Ils ont observé le soleil, la lune, la faune et la flore durant des siècles. Et ils sont parvenus par leur génie à apprivoiser et dompter le climat et vivre en harmonie au rythme des saisons.

En compagnie de l’animal, de l’arbre, du vent, du feu, de l’eau et du soleil, nos ancêtres ont vécu les périodes glaciales des rudes hivers et les canicules de l’été. La relation de nos ancêtres à la nature était gagnant-gagnant. Le savoir-faire et la science de nos ancêtres s’inspiraient de ce lien originel avec la terre et la nature.

Qu’en est-il aujourd’hui?

Contrairement aux anciens, nous nous sommes aujourd’hui égarés dans l’horloge temporelle. On sait compter les années, mais on ne sait où commencent ni ou se terminent les saisons. Le lien qui assure l’harmonie entre l’homme et la nature est rompu. Preuve en est que le calendrier, fruit du génie des anciens, est aujourd’hui méconnu. Ceux qui connaissent la date de début de «Smayem» (période de canicule) sont tous morts, sauf quelques-uns. Et ils se comptent sur les doigts d’une seule main.

Pis encore, les institutions de l’Etat en charge de ce chapitre ne donnent aucune importance à ce calendrier, pourtant vital pour l’agriculture mais pas seulement. Aujourd’hui, on se retrouve l’oreille collée au téléviseur pour se renseigner sur la météo de demain. Le calendrier de nos ancêtres mentionnait ces périodes caniculaires et les situait dans leur contexte temporel, avec une précision, sans commune mesure. On s’étonne aujourd’hui, des grandes chaleurs estivales alors que «Smayem» chez les anciens signifiai justement la période des grandes canicules. Le calendrier la situait entre le 25 juillet et le 2 septembre. Les premières 20 journées sont appelées «Smayem Unavdhou» et la dernière vingtaine, moins caniculaire, «Smayen N lkhrif».

En fait, dans cet égarement, il demeure encore quelques personnes comme des phares qui montrent le chemin à qui sait voir. Les vieux qui connaissent encore ces dates précises et ses périodes faites généralement de sept, de 10 et de trois jours s’en vont l’un après l’autre. Des vieux, comme des bibliothèques, ont su garder ces dates tels que Meziane N’Ali et son fils Moh Akli Meziane, aujourd’hui partis tous les deux. Il y a aussi à Mizrana, un vieil homme, Akli Mouh N Si M’hand Kaced qui a grandement contribué à la sauvegarde de ce patrimoine en aidant les jeunes. Fort heureusement certains sont encore en vie tel que Akli Semani dans le village Tarihant. Il n’a jamais mis les pieds à l’école, mais il lit et écrit dans plusieurs langues. Il est le concepteur d’un calendrier agraire circulaire suivant le mouvement de rotation du soleil et le rythme des saisons.

Qui connaît aujourd’hui la signification de «l’Ansla» Chaque été, des milliers d’hectares partent en fumée. Des milliers d’arbres fruitiers disparaissent et des forêts sont dévastées par les feux. Pourtant, jadis, la forêt était plus dense et sa superficie beaucoup plus vaste. Il est vrai que les facteurs déclencheurs de ces feux sont, aujourd’hui, plus nombreux qu’avant mais il n’en demeure pas moins que la relation entre l’homme et la nature s’est dramatiquement détériorée. Les organismes qui sont en charge peuvent s’inspirer pour élaborer des stratégies de lutte contre les feux de forêts. Connaître le fonctionnement des saisons est sans nul doute la clé de toutes les solutions.

«Lansla» coïncide avec le 7 juillet. Dans les temps anciens, ce jour-là avec celui qui le précède la veille, les gens sortent dans les champs pour pratiquer les fumigations. «On ramasse les branches mortes, les herbes inutiles, les feuilles mortes et toute la broussaille qui déborde de son espace et on brûle tout ça. La fumée se répand dans le ciel et tue les microbes qui risquent de retomber sur les récoltes des arbres fruitiers», explique un vieux de Boudjima.

«Nous faisions ce travail aussi pour limiter les risques d’extension des feux de forêts qui se déclarent inévitablement en période de «Smayem», ajoute-t-il.

Beaucoup de personnes rencontrées dans le cadre de notre article se souviennent de ces temps où les villageois s’attendaient inévitablement aux feux de forêts. Ils n’avaient aucune crainte de ce phénomène qu’ils ont fini par apprivoiser. «Ce que nous faisons le jour de ‘L’Ansla » est juste la dernière touche de tout une stratégie appliquée à la lettre durant toute l’année. Les restes qu’on brûle à quelques jours de «Smayem», qui commence le 25 juillet ne sont qu’une infime partie de tous les travaux déjà effectués. On ouvrait les chemins qui traversaient les broussailles. Pour ce faire, on n’était même pas obligé d’appeler au volontariat. Chacun connaît la période et il est obligé de faire le travail sur la partie des chemins qui longent ses parcelles de terres. D’autres villageois, procédaient à l’ouverture et le nettoyage des chemins menant vers les fontaines. Il

y en avait beaucoup autrefois», raconte un autre vieux rencontré dans la forêt de Aguemoun à Ouaguenoun. Il tient à ces travaux comme à ses propres yeux.

Beaucoup de voix s’élèvent en effet aujourd’hui pour dire que les méthodes appliquées par nos ancêtres sont les plus adaptées aux réalités et spécificités du terrain. Il est vrai que les temps modernes connaissent un réchauffement climatique global et il est incontestable, mais, les peuples sont appelés obligatoirement à s’adapter.

Aujourd’hui, l’Algérie possède les moyens modernes nécessaires pour la lutte contre les feux de forêts. Mais a-t-elle les stratégies adéquates?

Jusqu’à cet été, des centaines de milliers d’hectares de forêts sont décimés par les incendies. Le couvert végétal de l’Afrique du Nord est en train de diminuer à vue d’oeil faisant ainsi avancer, chaque minute, le désert de quelques centimètres. La Protection civile a les moyens d’affronter les flammes, mais est-il de son rôle de sensibiliser et de prévenir les feux? C’est justement à ce chapitre qu’apparaît l’importance de l’expérience des anciens. Connaissant mieux la nature du milieu, leurs méthodes ont fini par limiter considérablement les feux de forêts.

Faire parler les anciens sur les moyens utilisés jadis est un capital expérience qu’il ne faut pas sous-estimer. Les forêts étaient plus vastes autrefois avec peu de moyens techniques, mais les feux de forêts faisaient moins de dégâts. La clé réside dans l’expérience et la connaissance du terrain et du rythme des saisons. C’est dans cet esprit justement que nous avons profité de sa présence pour faire parler Dda Akli Semani, un vieux de 71 ans qui possède une connaissance parfaite des méthodes utilisées par les anciens et surtout le calendrier agricole avec ses dates précises et qui, jusqu’à présent, n’ont pas été démenties par le temps. Il vient de concevoir un calendrier circulaire portant toutes ces petites et courtes périodes de l’année. Une oeuvre de génie qui tourne dans le sens de la rotation du soleil.