Lutte contre la criminalité en col blanc : La guerre de mille ans

Lutte contre la criminalité en col blanc : La guerre de mille ans

Dans le réseau complexe que tissent les fraudeurs, il est des pièces maîtresses, sans lesquelles le crime n’est pas possible. Il s’agit des fonctionnaires corrompus.

La criminalité en col blanc n’est ni une spécificité algérienne ni un phénomène passager. Le blanchiment d’argent, le détournement de deniers publics et l’évasion fiscale sont le «côté cour» de toutes les économies de la planète. Aucun pays n’en réchappe et les chiffres fournis par les organismes internationaux donnent le tournis. L’évasion fiscale à elle seule, pèse 1000 milliards d’euros en Europe et plus de 2 500 milliards de dollars à l’échelle du monde. Dans cette impressionnante planète de la fraude que l’affaire dite des «Panama Papers», n’en a dévoilé qu’une infime partie, l’Algérie est embarquée comme la totalité des pays, dans une course que beaucoup disent perdue d’avance. Et pour cause, il est question de s’attaquer à la faune de criminels en col blanc qui se recrutent dans absolument toutes les couches de la société. Du simple agriculteur qui «planque» une partie de ses bénéfices, au grand patron qui omet de déclarer l’ensemble de ses activités, la fraude fiscale est un sport national. Il est même arrivé à un patron «d’inventer» des charges imaginaires pour soustraire d’importantes sommes d’argent à l’administration fiscale. Dans le réseau complexe que tissent les fraudeurs, il est des pièces maîtresses, sans lesquelles le crime n’est pas possible. Il s’agit des fonctionnaires. Et à ce niveau également, tout le spectre de la responsabilité y passe. Tout commis de l’Etat susceptible d’être corrompu, est recruté par les patrons. Le réseau est d’une puissance financière telle qu’il est difficile d’imaginer une riposte rapide. Et pour cause, rien que la fuite des capitaux, suite logique à l’évasion fiscale, on l’estime à 1,5 milliard de dollars annuellement. Tout cet argent quitte le pays dans des cabas en petites sommes, par le biais d’opérations fictives d’importation ou par le procédé de la surfacturation des importations. A force d’affaires révélées à l’opinion nationale, le commun des Algériens connaît désormais les combines et sait, par la même occasion, qu’il n’est pas donné au premier venu, d’intégrer le club select d’une maffia qui n’en n’est pas une, en réalité, mais qui en a les effets, à voir ce qui semble être l’emprise qu’elle exerce sur nombre d’administrations. La difficulté dans la lutte contre la criminalité en col blanc est certainement liée à la nature de cette maffia qui n’a pas de tête identifiée, mais plusieurs petits caïds, avec chacun son propre réseau, mais en connexion avec d’autres maffieux, sans qu’il ne soit possible de démanteler l’ensemble de l’organisation. Pour tout dire, il n’existe pas d’organisation à proprement parler. La nature même des fraudes et les failles de l’administration a favorisé la multiplication de «petits criminels», à la tête de «business» lucratifs, mais limités dans l’espace et l’ambition. Il n’y a pas de guerre de maffias en Algérie et il ne risque pas d’y en avoir, dans la conjoncture actuelle.

La chute de Kamel El Boucher peut parfaitement illustrer cet état de fait. L’homme a monté son affaire et en tombant, il emportera avec lui quelques hauts et petits fonctionnaires. Mais il ne faut pas voir dans la fin de Chikhi un coup dur porté à l’organisation du crime en Algérie. D’autres Chikhi continuent de faire tourner leurs commerces illégaux et la place qu’il a laissée, dans l’immobilier et autres secteurs où il a investi, sera naturellement occupée par ses «collègues». Cette affaire rappelle celle, révélée en 1992, de Hadj Bettou, le grand trabendiste qui opérait au niveau des frontières sud du pays. Son arrestation, hypermédiatisée, a en réalité, à peine égratigné le trafic dans cette région du pays. Les autres trafiquants avaient leur propres réseaux, «achetaient la route» auprès d’autres personnes et le volume du trafic n’a pas baissé après le démantèlement de l’organisation de Hadj Bettou.

Cela pour dire que les chiffres ahurissants de l’évasion fiscale et du blanchiment d’argent, la taille impressionnante du marché parallèle, quasi exclusivement alimenté par le produit du crime financier et économique, ou encore la bulle immobilière où se déversent les milliards de l’argent sale destiné au blanchiment, ont encore de beaux jours devant eux.

Par Saïd BOUCETTA