Lutte contre la corruption, Vers une opération «mains propres» ?

Lutte contre la corruption, Vers une opération «mains propres» ?

Confiné sous la tutelle du ministère des Finances, l’office central de répression de la corruption avait pour mission de constater seulement. En passant sous la coupe du ministère de la Justice, on attend de lui un rôle nettement plus actif.

Beaucoup d’observateurs ont salué le récent changement de tutelle de l’office central de répression de la corruption. Ce dernier, selon un récent décret publié au Journal officiel, est passé de la tutelle du ministère des Finances à celle du ministère de la Justice. Pour certains, il s’agissait ainsi de corriger une « anomalie ». Mais quelle est la nouveauté ? D’abord, l’office en question, en plus de changer de tutelle, n’est plus du ressort d’un seul ministère mais de plusieurs.





En effet, l’article 8 du décret présidentiel n° 14-209 stipule que « le nombre d’officiers, d’agents de police judiciaire et de fonctionnaires mis à la disposition de l’office, est fixé par arrêté conjoint du ministre de la Justice, garde des sceaux et du ministre concerné ». Cela sous-implique que les effectifs de cet office peuvent s’étendre à la sûreté nationale et à la Gendarmerie nationale, des corps comprenant des officiers de la police judiciaire. Ce qui signifie aussi que l’instance en question sera gérée conjointement par le ministère de la Justice en collaboration avec l’Intérieur et la Défense nationale.

Auparavant, en étant sous la tutelle du ministère des Finances, c’est l’esprit et le regard du législateur sur la corruption qui étaient différents. On considérait, en effet, que pour lutter contre la corruption, il s’agissait pour l’Exécutif de la constater. Puis, au pouvoir judiciaire de faire le reste, c’est-à-dire d’instruire les dossiers présentés par les services du ministère des Finances, dont cet office central de répression de la corruption.

On aurait voulu disposer d’un bilan d’activité de cet office depuis sa création, ou à défaut d’un débat général à l’APN sur les différents dispositifs (lois, structures, moyens humains et techniques, coopération, etc.) mis en oeuvre par le gouvernement. Mais il ne faut sans doute pas trop demander à l’heure où les partis siégeant à l’APN ont autre chose à faire que de reproduire la demande sociale.

Le fait est que l’on considérait jusque-là, après avoir confié l’OCRC au ministère des Finances, que le meilleur moyen de lutter contre la corruption était d’en détecter le produit. Ainsi, on s’attendait depuis à une large opération d’inventaire des biens et des fortunes douteuses ou provenant d’un enrichissement sans cause et qui sont généralement blanchies dans l’immobilier et les véhicules, deux domaines où la transparence des transactions échappe totalement au contrôle de l’Etat. Il semble que l’on ait désormais changé de fusil d’épaule après l’option d’un retour aux méthodes classiques : soupçons, enquête de police, instruction judiciaire, mise en accusation puis procès.

De la sorte, le mot « répression » prend tout son relief en donnant à l’OCRC et il faut s’attendre, d’ailleurs, à ce que le profil de la personne à qui sera confiée la direction de cette instance, sera une personne qui jouera un rôle politique et pas seulement administratif ou technique. C’est une sorte de FBI, c’est-à-dire une police aux pouvoirs d’enquête étendue, dont les prérogatives risquent d’être tellement grandes que seule sa mise sous la tutelle du ministère de la Justice, avec tout ce que cela comprend comme message politique autour de la légalité et du respect de la Loi, sous-entend aux yeux de l’opinion nationale.

La question de la corruption est, il faut le dire, un dossier explosif chez nous, comme on a pu s’en apercevoir lors de la campagne électorale de la dernière présidentielle. Bien entendu, le Directeur général de cet office sera nommé par le président de la République, sur proposition du ministre de la Justice, mais on devine bien au vu des récentes expériences passées, que c’est à un homme de confiance du président que la délicate mission de piloter cet organe sera confiée.

En tout état de cause, il ne faut pas exclure que le gouvernement se lance dans une opération « mains propres » à la faveur de cette réforme qui n’a pas été décidée pour rien. Il faudra attendre plus, et notamment quelques déclarations du ministre de la Justice, visiblement accaparés par d’autres réformes plus urgentes, pour en savoir plus sur les intentions du gouvernement.

Du reste, ces changements n’ont pas été annoncés ni explicités publiquement, car en principe, avec la forte revendication sociale et politique d’une véritable action politique contre la corruption, les autorités auraient tout à gagner à mettre en avant la réforme de l’OCRC comme une décision personnelle du président Bouteflika, d’apporter le coup de balai dont tout le monde parle. Mais il est à parier, par ailleurs, que l’absence de toute opération de communication sur le sujet peut s’expliquer par le fait que les précédents dispositifs n’ont pas vraiment obtenu les résultats avérés. Encore faut-il se mettre d’accord dans le cadre du débat sur la corruption pour définir la véritable étendue de ce qu’on qualifie souvent de « gangrène ».

Car la corruption, accusation d’abord brandie par les islamistes dès le milieu des années 1980, et aujourd’hui par une opposition qui espère bien profiter quelque part, de ce qui reste du « printemps arabe », est aussi un grand enjeu politique en Algérie. Dans la plupart du temps, on emploie le même mot pour parler des « détournements de fonds » qui ne sont ni aussi nombreux, ni aussi énormes qu’on veut bien le faire accroire.

Et, en même temps, on escamote la vraie corruption, celle généralisée qui voit les responsables, dans le public comme dans le privé, profiter de leurs positions pour s’adjuger des avantages indus, mais devenus parfaitement normaux par la force des choses, et qui malheureusement, font partie d’une culture de plus en plus dominante.

N. B.