La lutte contre la corruption ne doit pas constituer une source de paralysie du développement du pays, elle doit, de ce fait, également intégrer la nécessité de protéger les agents de l’Etat contre toute forme de délations et de manipulations ».
C’est là la déclaration faite, mardi, par le nouveau président de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, M. Bouzeboudjen Brahim qui a assuré que « les missions dévolues à l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption seront menées avec sérénité sans alarmisme ni laxisme ».
Celle-ci (la déclaration) met en avant toute la problématique que génère cette opération anti-corruption. Elle contribue certainement à paralyser le développement du pays en tétanisant les gestionnaires qui craignent d’être potentiellement « de futures victimes ».
Comment alors protéger deniers publics et managers qu’il faut rassurer sans bloquer le développement économique du pays ? Quelle est d’abord la définition de la corruption, de la mauvaise gestion ou de dilapidation de deniers publics ?
Face à la Cour des comptes, à l’IGF, à l’observatoire de lutte contre la corruption et, tout récemment, la création de l’organe que préside M. Bouzeboudjen, quels sont les mécanismes pour protéger le gestionnaire algérien contre cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête ? Pourquoi pénal et non civil, un acte normal de gestion ? Comment préserver le gestionnaire contre la manipulation et la délation ? Les codes de l’éthique édités par la Sonatrach et la Sonelgaz incitent et encouragent le recours à ce procédé.
Le magistrat est-il assez formé en droit des affaires ? Autant de questions qui minent ce sujet auquel il va falloir s’intéresser et dédiaboliser. Le cas des cadres de Sider emprisonnés, dans les années 90, est un cas d’école, où la justice a eu à démontrer ses failles dans le traitement de cette affaire.
Deux avis d’experts tentent de répondre à ces interrogations. Pour le Dr es Droit Lies Hamidi, directeur de l’Institut de développement de l’entreprise et de gestion « le gestionnaire n’est pas assez protégé déjà par le fait que l’acte de gestion est pénal et qu’il faut d’abord commencer par dépénaliser les actes normaux de gestion afin de protéger le manager ».
Pour cet universitaire, « cette situation fait peur aux différents gestionnaires appelés à assumer la responsabilité de la gestion d’une entreprise ». Le Dr Hamidi considère que « c’est une menace omniprésente » et met en cause, entre autres, le nouveau code des marchés qui paralyserait « les entreprises » selon lui. « C’est l’institutionnel qui doit y être soumis, l’Etat et ses démembrements mais pas l’entreprise publique qui obéit aux règles de la commercialité en tant que personne morale de droit privé », dira-t-il.
A propos de la capacité des magistrats à traiter ce genre de questions, il dira : « Quant au magistrat, ce dernier n’est pas assez formé en matière de droit des affaires, il est beaucoup plus bon en statut personnel et ne maîtrise pas le concept du droit des affaires, ce qui le mène à porter des jugements parfois sévères, donc la formation des magistrats en la matière est un acte indispensable ».
Un autre son de cloche parvient du côté de Me Mustapha Bouchachi qui considère la question de lutte contre la corruption « beaucoup plus politique ». Ce dernier avocat et président de la Ligue des droits de l’Homme en Algérie estime que « le fonctionnaire algérien, en général, n’est pas protégé.
Il peut être à la tête d’une responsabilité durant des décennies pour ensuite se voir inculpé de corruption et poursuivi en justice pour des motifs de dilapidation de deniers publics ». Maître Bouchachi s’interroge sur le « partage de la responsabilité » et soutient que « la responsabilité n’est pas assumée pénalement ou politiquement » et que « les poursuites judiciaires sont sélectives ».
Rompu aux arcanes de la justice pour avoir vu déferler des plaignants clamant leur innocence, le président de la Ligue des droits de l’Homme pense à propos de « la compétence des magistrats » que « ce n’est pas une question de formation, bien sûr que c’en est aussi une cause, mais le magistrat est beaucoup plus soumis aux considérations politiques ».