Création d’un office central de la répression de la corruption, dynamisation de la Cour des comptes, de l’inspection générale des finances (IGF) et de la Banque d’Algérie, révision du code des marchés publics sont entre autres mesures dont le président de la République exige la mise en oeuvre par le Premier ministre.
Les nombreux scandales de corruption qui ébranlent pra- tiquement l’ensemble des institutions de l’Etat ont amené le chef de l’Etat à instruire Ahmed Ouyahia de mettre en oeuvre «sans délai» un certain nombre de mesures institutionnelles et organiques. C’est ce qu’on relève dans sa directive n°3 datée du 13 décembre dernier. «Certaines indications recueillies font état de l’existence à l’étranger d’un véritable marché d’études virtuelles et fictives que des opérateurs étrangers font payer en devises, à des opérateurs non informés ou complices.»
C’est le seul constat précis que Bouteflika note dans sa directive. Les autres scandales semblent simplement sous-entendus lorsqu’il écrit que «les constats établis et l’analyse des facteurs favorisant ce fléau imposent le renforcement des moyens de lutte, à la fois sur le plan de la réglementation, de la prévention et de l’action gouvernementale.»
A cet effet, il souligne à son Premier ministre que «le combat contre la corruption devra être également renforcé et conforté par toutes les dispositions qui seront mises en place en matière de contrôle et de lutte contre les formes de fraude ou de dissipation du patrimoine et des deniers publics.»
Bouteflika reconnaît que «le risque de corruption est d’autant plus que celle-ci cherche à tirer profit des capacités financières du pays, à travers ses programmes de développement qui comptent plusieurs milliers de projets et l’exécution d’un budget de fonctionnement de l’Etat de plus en plus substantiel.» Pour tout cela, le chef de l’Etat ordonne «la centralisation des études de faisabilité et d’opportunité réalisées, afin de constituer une banque de données utile pour les programmes gouvernementaux futurs.» Il rappelle l’obligation faite désormais aux cocontractants de marchés «nationaux et étrangers ainsi qu’à leurs sous-traitants» de signer une déclaration de probité.
Il demande au Premier ministre d’élaborer «une assise légale» à ce document. Il explique que «compte tenu de ses effets positifs, le principe de la déclaration de probité devra être systématiquement appliqué à chaque fois que les deniers publics sont utilisés, concerner tous les opérateurs (publics, privés, nationaux, étrangers) et tous types de marchés, du niveau local au niveau central (…).»
UN OFFICE CENTRAL DE LA RÉPRESSION DE LA CORRUPTION
Pour ce qui est du contrôle et de la prévention contre la corruption, Bouteflika exige du gouvernement «de mobiliser davantage les ordonnateurs, les premiers concernés, les contrôleurs financiers et les comptables publics.» Pour se faire, le gouvernement devra au plan institutionnel procéder, écrit Bouteflika, à l’installation «immédiate» de l’organe national de prévention et de lutte contre la corruption, créé en novembre 2006.
Organe qui devra, souligne-t-il, «contribuer activement à la mise en oeuvre d’une politique de prévention sur le plan national, et à la politique de coopération internationale en la matière.» Il demande, en outre, la création d’un office central de la répression de la corruption, en tant, estime-t-il «qu’outil opérationnel, qui mutualisera les efforts pour agir et riposter légalement aux actes criminels de corruption.» Sur le même ton, il demande de renouveler «sans délai, la composante de la cellule de traitement du renseignement financier dont le mandat est statutairement venu à expiration.»
Le président instruit, par ailleurs, son Premier ministre de «dynamiser davantage le rôle de la Cour des comptes, de l’inspection générale des finances et de la Banque d’Algérie, en matière de lutte contre la corruption.» Au plan opérationnel, Bouteflika se rend compte que «les cadres législatif et réglementaire d’ordonnancement, d’exécution et de contrôle de l’économie et des finances publiques ont besoin d’une actualisation et d’une modernisation qui permettront de limiter les effets de la bureaucratie et de tarir les sources de la corruption.»
LA DÉCLARATION DE PATRIMOINE DE L’ÉPOUSE ET DES ENFANTS
Il évoque à cet effet, les instances judiciaires et ordonne «l’adaptation permanente et rigoureuse» des textes en question afin, souligne-t-il, que «les affaires de corruption jugées par la justice soient sanctionnées en fonction de la gravité des faits.» Il exige la révision des lois existantes. Révision qu’il qualifie «d’impératif primordial.»
Aux côtés des cellules spécialisées (pôles financiers) au niveau de la justice et des services de police judiciaires, il recommande l’aide «de consultants spécialisés permettant d’élever l’efficience du traitement des dossiers au niveau des juridictions.»
Abordant l’épineuse question des marchés publics, le chef de l’Etat exige, indique-t-il dans sa directive, «la mobilisation des potentialités humaines disponibles au niveau national (juges, procureurs, avocats) pour créer, auprès des administrations publiques, des postes et/ou fonctions de conseillers juridiques capables d’expertiser les procédures utilisées en matière de marchés publics et, le cas échéant, d’alerter les autorités en temps requis.» Il veut en outre que soit délimité le domaine qui justifie le recours à des cocontractants étrangers. «Cette délimitation, note-il, permettra de contenir le recours abusif à l’opérateur étranger et une capitalisation de l’expérience par les opérateurs nationaux.»
La révision du code des marchés publics, Bouteflika la voit à travers «la conception d’une architecture réglementaire actualisée, assurant à tous les niveaux le contrôle effectif et optimal des procédures relatives aux marchés publics.» Une conception qui, à ses yeux, «doit pouvoir améliorer les conditions de la transparence et du contrôle préventif.» Les contrôleurs financiers et l’IGF se doivent, demande-il, «de jouer un rôle d’observateur actif et offensif, en étant habilités à vérifier toute procédure d’engagement des dépenses liées aux marchés publics.» Autre mesure d’urgence contenue dans la directive présidentielle, l’actualisation de la procédure légale de déclaration de patrimoine à tous les agents de l’Etat. «La déclaration de patrimoine doit être appliquée au cadre (à tous les niveaux) qui doit également déclarer les biens appartenant à l’épouse et aux enfants», exige-t-il. Il tient en outre à ce que les cadres présentent «régulièrement des mises à jour de leurs déclarations de patrimoine, en fournissant les justifications des évolutions de leur patrimoine individuel et familial.»
LA DÉCLARATION DE REVENUS REVISITÉE
A titre préventif, Bouteflika veut «un traitement approprié des indices de corruption, tels les signes d’enrichissement rapides du fonctionnaire». Les transactions immobilières doivent être encadrées par un dispositif réglementaire «adapté» parce que, est-il souligné, «elles revêtent un caractère sensible dans la mesure où elles permettent le blanchiment d’argent.» Sont aussi évoqués, le renforcement de la traçabilité des opérations bancaires et la consolidation de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui oblige, selon lui, à une adaptation «rapide» du système fiscal, «en comblant les lacunes qui sont exploitées par les différentes formes de criminalité.»
La déclaration de revenus doit, elle aussi, subir des transformations à travers, comme demande le chef de l’Etat, «une nouvelle réglementation qui doit (en) consolider la procédure.»
Ceci «pour lutter contre les méthodes de camouflage de l’économie informelle, facteur majeur d’évasion fiscale et de prolifération de l’activité illicite.» Des banques de données fiscales, financières et douanières doivent être créées pour permettre, lit-on dans la directive présidentielle, «un maillage de l’espace et le contrôle des activités et des mouvements des acteurs économiques.»
Ces mesures de lutte contre la corruption concernent, note le président, l’ensemble des secteurs. «Cette lutte aura, cependant, davantage d’efficacité, si elle donne la priorité aux secteurs les plus exposés au phénomène, de par la nature de leurs prestations et des interfaces directes et variées qu’ils ouvrent aux citoyens.» Bouteflika demande en même temps au gouvernement «d’établir une cartographie des postes sensibles où le risque de corruption est possible et de les soumettre à un suivi particulier, à titre préventif, y compris pour assurer la protection des cadres et serviteurs honnêtes de la nation.»
Il tient à faire savoir que «le programme de lutte à engager contre la corruption ne revête pas, pour les ordonnateurs, les opérateurs et pour l’opinion publique, le caractère d’une simple campagne.» Il s’agit, écrit-il, «d’une décision politique sereine, structurée et permanente qui vise la protection et la préservation du développement du pays.»
Ghania Oukazi