Lutte Antiterroriste,Retour aux fondamentaux

Lutte Antiterroriste,Retour aux fondamentaux
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L’Armée nationale populaire se réapproprie-t-elle la conduite politique de la lutte antiterroriste ? Plusieurs indices mènent à cette grille de lecture. La sortie médiatique du général à la retraite Abderrezak Maiza, ancien chef d’état-major du secteur opérationnel d’Alger (SOAL), pourrait en être un.

Le général à la retraite n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour dénoncer le laxisme d’Etat observé depuis quelques années par rapport à l’activisme criminel des phalanges du GSPC devenu Aqmi.

A bien décortiquer les assertions du militaire, on peut même y déceler des accusations gravissimes. «Il est clair, en ce qui concerne les observateurs avisés, que les quelques vérités lâchées par l’officier supérieur ne sont que le reflet du climat qui prévaut dans les rangs. Les citoyens observent impuissants les marchandages politiques auxquels se livraient, sans honte, les clans au pouvoir sur la conduite à tenir par rapport aux salafistes armés», nous confia, un jour, un homme politique consterné par ce qui se passait sur le terrain. Lors de sa sortie médiatique, le général Maiza, qui occupait, ne l’oublions pas, un poste au cœur d’une structure stratégique dans la lutte contre les éléments du GSPC puis d’Aqmi, met le doigt sur la plaie et liste les motifs de son indignation : patriotes marginalisés, voire agressés moralement, des potentialités républicaines acquises à la lutte anti-islamistes, marginalisées, des «émirs» devenus des stars médiatiques et enrichis avec des financements douteux, des terroristes qui ont commis des génocides passibles de la CPI (Cour pénale internationale) se pavanent dans les villes algériennes et narguent les familles des victimes du terrorisme. Il n’y a pas qu’un seul cas de Gharbi dans le pays. Cette fois-ci, ce véritable réquisitoire n’est pas l’apanage d’une presse indépendante vouée aux gémonies par le pouvoir pour indocilité, mais il est l’œuvre d’une haute personnalité très au fait du fonctionnement des appareils politiques.

Descente aux enfers

Ce processus de dégénérescence politique, qui a mis sur la touche le citoyen et la classe politique, a commencé le lendemain de l’élection présidentielle de 1999. Aussi bien les votes que les consultations référendaires qui s’en étaient suivies, tous outrageusement manipulés et, surtout, la mise en place de la loi portant réconciliation nationale ont élargi le fossé entre la population et l’autorité politique.

Ce fossé s’est élargi à la suite de ce que les spécialistes considèrent comme un viol, en 2008, de la Constitution pour installer Bouteflika au palais d’El Mouradia. Cette démarche réprouvée par l’opinion publique a effectivement créé un sentiment de frustration et de lassitude au sein de la population. Rien n’est inventé, tout le monde le sait. Il faut vraiment entendre ce que nous confient régulièrement, à ce propos, des citoyens au-dessus de tout soupçon.

Ces Algériens pointent leur doigt accusateur sur le régime dans sa globalité. Les conséquences sont malheureusement désastreuses et c’est la lutte antiterroriste qui en pâtit le plus. Pour cause, les citoyens sont devenus méfiants à l’endroit des services de sécurité. S’installe par la suite dans la mentalité de tous, le principe de djeha : takhti rssi. (que ma personne soit épargnée.). Souvenons-nous en 2001, le monde horrifié découvre de quoi sont capables les adeptes d’El Qaïda. Finalement l’Algérie n’est plus seule. Sa résistance contre l’internationale islamiste qui finance et encourage les GIA, AIS et GSPC et son martyr ont été salués par ceux-là même qui affirmaient en Occident que ces organisations insurrectionnelles menaient une résistance armée contre un régime despotique. Ces moralisateurs occidentaux, qui occultaient les massacres de dizaines de milliers de civils commis par ces organisations, ont fini par revenir à la raison. C’est un moment historique à saisir pour lancer l’assaut final contre l’islamisme armé en Algérie.

Le pouvoir algérien a commis l’irréparable. Il s’est conduit à l’opposé de ce qui est attendu de lui en tant responsable de l’avenir du pays. Il s’est fourvoyé dans une suite de compromissions. Ce vide politique a été, par ailleurs, une immense brèche laissée aux salafistes pour se refaire une santé. En 2005 et 2006, combien de fois des citoyens désemparés et apeurés par la tournure des événements dans le pays nous appelaient pour dénoncer la dérive politique. «Ecoutez Monsieur, je vous jure que les recruteurs des terroristes travaillent publiquement. Les réseaux de soutien se constituent au su et au vu de tous. La situation est grave ! Faites donc quelque chose !» L’appel, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, émanait, en 2006, d’un Patriote de Sidi-Daoud, dans l’est de la wilaya de Boumerdès, devenu désormais l’un des fiefs d’Aqmi en Basse-Kabylie. Vaincus militairement, les djihadistes algériens ont eu le temps de reconstituer, à l’ombre de la réconciliation nationale, leur potentiel militaire. Ils ont par ailleurs marqué fortement leur retour sur le terrain de la terreur par une attaque dirigée contre une entreprise algéro-américaine de pétrole basée à l’ouest d’Alger.

Le film de l’attaque a servi de support de propagande pour les recruteurs des islamistes. A partir de l’attaque en question contre cette entreprise pétrolière, la violence intégriste est allée crescendo pour atteindre son paroxysme avec les terribles attentats en 2007 contre le Palais du gouvernement et le siège de l’ONU. En effet, à la faveur de l’allégeance des «émirs» du GSPC à Oussama Ben Laden, la violence terroriste est montée de plusieurs crans. C’est le temps des carnages que commettent les kamikazes. Hélas, la fin de ce cauchemar n’est malheureusement pour demain et les experts sont formels à ce sujet ; le terrorisme s’est saisi des hésitations du pouvoir et de la situation politique et sociale délétère du pays pour jeter de solides tentacules. Les projections disent qu’il durera. Devant les drames qui s’abattent sur notre pays, une question s’impose au commun des observateurs de la scène sécuritaire algérienne : un pouvoir politique faible, délégitimé et montré du doigt pour des problèmes liés à la violence politique et à la corruption et qui plus est n’a quasiment plus d’emprise sur la population, pourrait-il imposer son leadership à la lutte contre Aqmi ? Cette question en entraîne chez les mêmes observateurs une autre : ayant constaté la limite et les errements d’une politique de prise en charge de la sécurité du pays, des forces républicaines ou des groupes qui craignent pour leurs intérêts, ne tentent-ils pas de mettre le holà pour revenir à l’essentiel, c’est-à-dire la lutte organisée et efficace contre les islamistes armés ?

Le danger à venir

On observe ces dernières années la régénérescence conséquente du terrorisme. Les «émirs» d’Aqmi ont choisi deux régions pour concentrer leurs forces afin de rentabiliser leur activisme. Ils sont fortement présents dans les pays du Sahel où ils imposent le contrôle des flux financiers venant de divers réseaux de trafic (drogue et armes). Les intérêts économiques de certaines puissances occidentales, particulièrement la France, représentent une énorme source de financement par les rapts. Les actions terroristes organisées dans les pays du Sahel contre des agents des services secrets européens et des cadres d’entreprises d’exploration et d’exploitation des matières premières – uranium — sont la garantie d’un fort impact politico-médiatique en Europe.

En focalisant en outre leurs attaques sur la partie centrale du nord de l’Algérie, plus particulièrement la Kabylie, Droukdel et consorts ont réussi à introduire le ver dans le fruit : c’est le temps de la suspicion. Malheureusement, la conjoncture nationale et l’accélération des événements au Maghreb ne poussent pas à l’optimisme et les quelques réunions diplomatiques opaques ou bien les accusations sans preuve contre les révolutionnaires libyens ne résoudront pas les problèmes que le pouvoir algérien a lui-même créés. Manquant visiblement d’anticipation et de capacités de communication, le pouvoir algérien, n’ayant pas accompagné les mouvements citoyens maghrébins s’est au contraire mis en leur travers. Il exacerbe ainsi l’antipathie des populations et par conséquent accentue son isolement et fait par la même le lit de la propagande des islamistes. Aqmi s’est saisi de l’occasion pour faire de l’intox surtout auprès de jeunes en fustigeant, dans un communiqué rendu public sur le web, le pouvoir algérien pour son soutien à Kadhafi. C’est la guerre de communication que les autorités algériennes ont perdu d’avance.

Pour mener leur guerre contre les services de sécurité et la population dans le centre du pays et autour de la capitale, les chefs d’Aqmi ont adapté leur tactique aux possibilités du terrain. Cette stratégie est basée sur la mobilité de ses éléments, la collecte de renseignements et la mise en place de réseaux de soutien financés par l’argent du racket et des kidnappings. Ces groupuscules se rassemblent pour mener leurs actions et se dispersent dans les montagnes ou se terrent dans les centres urbains attendant un autre appel ou récoltent des informations sur les mouvements des services de sécurité ou sur les futurs cibles. Il est par conséquent très difficile pour les forces de l’ordre de repérer, d’identifier, de poursuivre et d’éliminer des groupes terroristes légers et très mobiles, d’autant que les katibates d’Aqmi n’ayant pas les effectifs nécessaires pour mener des attaques à l’armes, privilégient donc les attentats à l’explosif avec moins de risques, alors que les bombes font plus de victimes et causent plus de dégâts. Au plan de la motivation idéologique, c’est connu, l’émir des djihadistes n’acquière et n’assoit sa légitimité sur le groupe dont il a le commandement que par sa férocité et par le grand nombre de victimes civiles ou militaires qu’il fait dans les rangs de ceux qu’il considère comme ses ennemis.

C’est la surenchère macabre. Les réseaux efficaces de collecte d’informations sont la seule arme fiable contre ces petits groupes mobiles. Or, les aléas d’une politique qui exclut la participation citoyenne dans cette lutte ont tari cette source. C’est le problème que doivent résoudre les autorités sécuritaires qui ont un autre problème à prendre en compte. Il s’agit de l’apparition d’une nouvelle génération de terroristes prêts à tout. Les recruteurs d’Aqmi ciblent les jeunes marginaux sans formation, psychologiquement et socialement fragilisés pour en faire des kamikazes. Comme nous l’avons vu, la nature des attentats a évolué de façon à faire plus de victimes et plus de dégâts. De la pose de bombes sur les bords des routes que les terroristes font exploser à l’aide un câble électrique relié à une batterie, ces derniers ont innové en 2006 pour passer aux véhicules piégés qu’ils faisaient sauter devant les institutions. En 2007, ils sont passés aux attentats kamikazes. Ces mêmes attentats passent en 2011 aux doubles attentats kamikazes sur un même lieu (Bordj-Menaiel, Cherchell et la tentative avortée à Thénia). Il y a également l’apparition des kamikazes circulant à pied. Un homme portant une ceinture d’explosifs peut circuler incognito au milieu de la foule et sans passer par les barrages de contrôle disposant du fameux appareil de détection d’explosifs.

C’est, semble-t-il, la parade mise en place par Aqmi pour contrer le dispositif de contrôle installé sur les routes. A court terme, il faut malheureusement craindre l’augmentation de ce type de kamikazes. Pour revenir à ce dispositif de contrôle, fort contraignant pour la population, il donne la nette impression que c’est Aqmi qui a l’initiative sur le terrain plaçant les services de sécurité et les autorités politiques en situation d’assiégés. Ce n’est pas bon politiquement et le moral de la population en prend un coup. C’est ce l’on pourrait constater auprès des citoyens.

Est-ce le temps des discussions ?

Il est évident que l’Algérie est à la croisée des chemins en matière de lutte contre les islamistes armés. Eux sont résolus à détruire l’Etat et la République. Est-il venu le temps des décisions ? La sortie médiatique retentissante du général Maiza serait-elle un préambule préparant d’importantes décisions ? L’opinion publique nationale et étrangère est irritée par cet attentisme des autorités algériennes qui ne déploient pas, selon elles, assez d’efforts pour mettre fin à la nuisance des salafistes. En matière de décisions, il y a, par exemple, celle qui, par le biais d’un arrêté interministériel daté de 2011, confère à l’ANP l’exclusivité de la gestion de la lutte antiterroriste. Des confrères, suspicieux, ont vu à travers cette décision une lutte de clans au sommet du pouvoir pour le contrôle des services de sécurité. L’explication est également d’ordre juridique : l’ANP se substitue aux autorités (GN, Police et DRS) ayant eu des prérogatives sécuritaires spéciales attribuées par le biais du décret instaurant l’état d’urgence. On peut également faire une autre lecture à cet arrêté : l’ANP assume désormais seule devant l’opinion publique nationale et internationale, la responsabilité de la lutte contre Aqmi. Elle est, en outre, seule source de directives en la matière. Rien ne justifiera à l’avenir des défaillances. Sur le terrain, le rappel précipité d’un spécialiste de la lutte antiterroriste à la tête de la police de Boumerdès et la désignation de nouveaux officiers d’unités de l’ANP dans cette région, située entre la Haute-Kabylie et la capitale qu’écument les deux plus importantes katibates d’Aqmi (El Arkam et El Ansars) causant de grandes pertes humaines en se préparant avec rage à commettre des attentats à Alger sont probablement des indices sur le recentrage pour plus d’efficacité de la lutte contre les terroristes. Les prochaines semaines nous éclaireront davantage.

Abachi L.