Les Etats-Unis d’Amérique ne semblent pas partager la même démarche que celle de la France dans la lutte contre les groupes terroristes de l’AQMI, opérant dans les pays du Sahel, a affirmé hier à Alger le professeur Yahia Zoubir.
Dans un entretien accordé à l’APS sur la situation sécuritaire dans les pays du Sahel et les approches prônées dans la région, pour juguler le phénomène du terrorisme, le Pr Zoubir, directeur de recherche en géopolitique à Euromed Management (Marseille), a relevé que les Etats-Unis semblent avoir une vision « similaire » à celle de l’Algérie qui consiste à dire que « la présence militaire étrangère dans la région risque de donner une légitimité, aux yeux des populations locales, aux actions de l’AQMI contre les intérêts occidentaux dans la région ». Les Etats-Unis, qui reconnaissent un leadership de l’Algérie dans les pays du Sahel, selon cet analyste, ont compris à partir de leur expérience en Afghanistan et en Irak, qu’une présence militaire étrangère visible dans les pays du Sahel « ne ferait qu’aggraver la situation actuelle et attiser la haine des populations locales envers ces forces étrangères quel que soit le motif avancé pour justifier leur présence ». Contrairement à ce qui a été annoncé lors du sommet Obama-Sarkozy à Washington, le 10 janvier dernier, où les deux chefs d’Etat avaient décidé, rappelle-t-on, à être alliés au sujet de la lutte antiterroriste, la position actuelle des Etats-Unis sur cette question paraît, pense Pr Zoubir, coïncider avec celle de l’Algérie « qui souhaite coordonner les efforts des pays de la région dans la lutte antiterroriste ». L’approche de la France, qui repose sur « une intervention militaire directe, assez précipitée, a subi deux échecs successifs », a-t-il affirmé.
« Il est évident, aujourd’hui, que le traitement musclé de la question sécuritaire employé par la France dans les pays du Sahel, même si la protection de ses citoyens est légitime, risque d’être contre productif », a constaté ce spécialiste qui lie cette approche à la protection des intérêts économiques français « considérables » dans la région, à savoir « l’exploitation des gisements d’uranium par la compagnie française AREVA ». Des militaires français ont participé à deux opérations combinées, notamment, en Mauritanie, vers la fin du mois de juillet 2010, se soldant par la mort du français Michel Germaneau, et au Niger, durant la première semaine du mois courant et qui s’est soldée, elle aussi, par la mort tout aussi tragique des deux jeunes touristes français enlevés à Niamey, à savoir Antoine Léocour et Vincent Delroy. C’est ce qui explique, a noté le professeur Zoubir, que quelques voix s’élèvent actuellement, « certes timidement », en France même, appelant le gouvernement à réduire la présence militaire de cette ancienne puissance coloniale dans la région et se focaliser plutôt sur les problèmes qui sont à l’origine de la situation précaire dans cette région. Cette présence militaire « risque fort de projeter l’image d’un néocolonialisme » qui pourraît, selon lui, alimenter les fondements idéologiques de l’AQMI. Ce qui justifie les recrutements d’éléments locaux par l’AQMI, une tendance, a-t-il expliqué, qui « semble s’être accélérée ces derniers temps ». Si les Etats-Unis soutiennent la proposition algérienne pour la criminalisation du payement des rançons, souligne encore le Pr Zoubir, certains responsables de la région se trouvent « en contradiction avec la volonté de beaucoup de membres de l’ONU sur cette question ».
Cette contradiction est cultivée à travers le discours prôné dans la région privilégiant la lutte sur le terrain pour affaiblir les groupes armés de l’AQMI et le payement des rançons qui permet à ces mêmes groupes de s’armer et d’organiser des réseaux de soutien parmi les populations locales.
L’argent des rançons n’est pas utilisé uniquement pour l’achat d’armes mais aussi pour acheter des loyautés au sein des populations déshéritées de la région et vraisemblablement même de certains responsables locaux », a relevé le professeur Zoubir. Il a estimé que l’approche de l’Algérie, dans la lutte contre les groupes de l’AQMI, « semble vouloir mettre en avant une coordination entre les armées et les services de sécurité des pays du Sahel », en plus « d’efforts de développement des zones fragiles de la région ». « Seule la combinaison des deux options peut contribuer à réduire l’influence des groupes de l’AQMI dans les pays du Sahel », a-t-il dit, insistant sur le fait que l’Union européenne a exprimé récemment sa préférence pour cette approche. « Certains pays faisant partie de cette coalition antiterroriste dans cette région ne sont pas fermement engagés » dans la mise en œuvre des recommandations de la réunion des chefs d’états-majors des armées des pays du Sahel, tenue à Tamanrasset. « Peut-être existe-t-il une interférence ayant empêché que cette démarche de se matérialiser », s’est demandé le Pr Zoubir qui ne cache pas son « inquiétude » quant à « l’attitude de certains responsables » des pays de la région manifestant leur accord avec l’intervention militaire française dans la région « sans toutefois en calculer les retombées ». « L’absence d’une approche régionale concertée conduirait tôt ou tard à des interventions militaires étrangères qui conforteraient la position de l’AQMI », a-t-il encore averti. Au sujet l’opération militaire marocaine dans la localité d’Amgala au Sahara occidental, qui aurait permis, durant la première semaine de janvier, le démantèlement d’un réseau de terroristes composé de 27 membres qui projetteraient d’organiser une base arrière pour l’AQMI, le chercheur a rappelé que la localité d’Amgala est située principalement dans la zone du territoire contrôlé par le Front Polisario. « Toute présence marocaine dans cette zone est strictement interdite sous l’accord signé en 1991 par le Maroc avec l’ONU », a-t-il rappelé, précisant que l’ONU supervise les deux parties au conflit à environ 30 km de la zone de cessez-le-feu de chaque côté de la zone tampon. « Amgala se trouve précisément dans cette zone. Ceci soulève la question suivante : où exactement les forces marocaines ont-elles
trouvé cette présumée cache d’armes ? Si l’AQMI est active dans cette zone, pourquoi est-ce que la MINURSO, opérationnelle dans cette zone, n’a-t-elle pas rapporté une telle présence », s’est interrogé l’universitaire. Par conséquence, il s’est demandé sur les raisons « qui auraient bien pu empêcher » les autorités marocaines d’informer la MINURSO, organisme onusien habilité à surveiller la zone tampon délimitée dans les Accords de cessez-le-feu entre le Polisario et le Maroc.
Selon ce spécialiste de la question sahraouie, le Maroc « voudrait plutôt établir à tout prix un lien entre le Front Polisario et l’AQMI », une liaison que les autorités marocaines ont tenté en vain de faire valoir depuis 2007.
« Le Polisario n’a aucun intérêt à s’associer à l’AQMI », a-t-il souligné, rappelant que les Sahraouis « font tout pour empêcher tous genres de trafics (armes, drogues) dans la région afin d’éviter que ceux-ci nuisent à leur cause ». Les Etats-Unis « n’ont à aucun moment évoqué une prétendue collusion entre le Polisario et l’AQMI, a-t-il soutenu, ajoutant que ceci a été confirmée par les câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks.