Lutte antitabac, trafic de cigarettes… Entretien avec le DG de Philip Morris Algérie

Lutte antitabac, trafic de cigarettes… Entretien avec le DG de Philip Morris Algérie

Dans cet entretien, Christian Akiki, nouveau directeur général de Philip Morris en Algérie, revient sur ses principaux objectifs pour le pays, dont la lutte contre le tabagisme, mais aussi sur le trafic de cigarettes vers la France.

Qui est Christian Akiki?

Je suis né au Liban et j’ai étudié à l’Université Américaine de Beyrouth. J’ai commencé ma carrière à PMI Liban en 2006 entant que responsable du merchandising avant d’être muté à Dubaï en 2008, pour rejoindre l’équipe en charge de la planification commerciale pour le Moyen-Orient. Trois ans après, j’ai occupé le poste de responsable marché au Bahreïn.

A partir de 2012, j’ai occupé différents postes, tout d’abord en Suisse, en tant que responsable de marques pour la zone Moyen Orient, avant d’étendre mes responsabilités aux marchés d’Europe de l’Est, Afrique et Moyen Orient jusqu’en 2015 où je me suis installé en Afrique du Sud pour prendre en charge la direction de la Stratégie et sa mise en œuvre.

Ensuite on m’a confié la direction du département digital en Russie, avant que je sois nommé en 2018 à la tête des équipes en charge du développement de la commercialisation des produits à risque réduit et sans combustion de PMI à l’échelle mondiale.

Vous avez été nommé à la tête de Philip Morris Algérie. Quelle est votre vision pour le pays ?

Ma vision pour l’Algérie n’est pas différente de la vision globale de PMI visant à créer un avenir sans fumée. L’Algérie, qui est un pays très important pour PMI, compte plus de 5.7 millions de fumeurs adultes, qui méritent d’avoir accès à des alternatives à risque réduit et sans combustion, représentant un meilleur choix que de continuer de fumer.

Comme vous le savez, l’Algérie est un pays pionnier dans plusieurs domaines, et j’espère qu’il sera également parmi les premiers pays Africains à introduire ces alternatives.

Ces dernières années, PMI s’est lancé dans la lutte contre le tabagisme. Parlez-nous un peu de votre stratégie?

Lorsque notre ancien PDG a déclaré, il y a sept ans, que nous espérions un jour ne plus vendre de cigarettes, personne ne s’attendait à un tel revirement stratégique. Depuis, PMI a investi plus de 8 milliards de dollars au cours des dernières années dans l’innovation scientifique, a créé des installations de R&D de pointe en Suisse et ailleurs et a recruté plus de 450 scientifiques de haut niveau pour développer le produit le plus révolutionnaire de l’histoire de l’industrie du tabac, un produit qui transforme non seulement le business de PMI, mais également l’industrie du tabac elle-même.

Aujourd’hui, notre technologie de tabac à chauffé est commercialisé dans 69 marchés et ils sont près de 20 millions d’anciens fumeurs adultes qui utilisent notre produit sans combustion.

Plus important encore, la FDA américaine a terminé son examen de l’ensemble des preuves scientifiques de PMI – et des études indépendantes – et a décidé dans sa récente ordonnance de modification de l’exposition pour le système IQOS que le fait de passer complètement des cigarettes conventionnelles au système IQOS réduit considérablement l’exposition aux produits chimiques nocifs ou potentiellement nocifs.

En Algérie, beaucoup ne connaissent pas votre nouvelle technologie de tabac chauffé. C’est quoi ? Ce produit est-il réellement moins nocif ?

Notre produit de tabac chauffé vient en forme de bâtonnets de tabac, et représente «le consommable» à insérer dans l’appareil IQOS (nouvelle technologie servant à chauffer le tabac), conçu par PMI. En chauffant le tabac, le dispositif conserve le rituel et la satisfaction que les fumeurs adultes recherchent, tout en générant 95% de substances nocives en moins que la fumée des cigarettes, puisqu’il chauffe le tabac et ne le brûle pas.

Dans tous les pays où il a été lancé, ce produit de tabac chauffé est destiné aux fumeurs adultes qui autrement auraient continuer à fumer. Dans ce sens, il est important de souligner que la source principale du danger de la cigarette provient de la combustion qui génère du goudron et du monoxyde de carbone et non la nicotine comme certains le pensent. Cette dernière est certes addictive, mais ne représente pas la source principale des maladies liées au tabagisme.

Le rituel est simple : un fumeur allume une cigarette et inhale plusieurs bouffées, jusqu’à ce que les feuilles de tabac et le papier aient complètement brûlé. La combustion d’une cigarette produit un mélange complexe désigné communément sous le nom de fumée de cigarette.

Ce processus de combustion génère plus de 6.000 substances chimiques. 100 d’entre elles sont considérées comme causes possibles de maladies liées au tabagisme, notamment le cancer des poumons, les maladies cardiovasculaires ou l’emphysème.

Le « IQOS » peut-il remplacer un jour la cigarette traditionnelle ?

Notre objectif est celui d’arrêter la production et la vente de cigarettes à terme pour les remplacer par des produits sans combustion à risque réduit. D’ailleurs, l’ancien président de Philip Morris International avait déclaré publiquement en 2016, qu’un «monde dans lequel les cigarettes sont obsolètes est à portée de main.

En fait, avec le cadre réglementaire adéquat et le soutien de la société civile, nous pensons que les ventes de cigarettes peuvent cesser d’ici 10 à 15 ans dans de nombreux pays». Dans ce sens, un objectif ambitieux a été fixé: Accompagner 40 millions de fumeurs adultes afin de changer de la cigarette vers des produits à risque réduit sans fumée et sans combustion d’ici 2025.

Nous sommes pleinement engagés dans la réalisation de notre objectif, où 98% de nos dépenses en Recherche et Développement sont dédiés aux produits sans fumée à risque réduit. Nous avons revu totalement et de manière proactive nos propres activités, afin d’assurer un avenir meilleur pour tous les fumeurs adultes. Et nous progressons rapidement.

La lutte anti-tabac de PMI est-elle une stratégie marketing pour lancer vos produits alternatifs, dont le IQOS ?

L’OMS prévoit qu’il y aura encore plus d’un milliard de fumeurs d’ici 2025, soit à peu près le même nombre qu’aujourd’hui. Actuellement, ces personnes n’ont qu’un seul choix s’ils n’arrêtent pas : la cigarette. Et nous savons tous que la cigarette est l’un des moyens les plus nocifs de consommer de la nicotine.

Si nous continuons à encourager les fumeurs à arrêter de fumer, leur proposer des alternatives aux cigarettes, moins nocives et scientifiquement fondées, est donc une solution dans le bon sens pour améliorer la santé publique.

Un nombre croissant de gouvernements, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, et des experts de la santé publique autour du monde croient en cette approche pragmatique fondée sur des preuves scientifiques.

Les cas du Japon et du Royaume-Uni sont emblématiques. Au Japon, des recherches indépendantes montrent que la baisse des ventes de cigarettes s’est accélérée d’environ 5 fois avec l’introduction de produits de tabac chauffé en un peu plus de 3 ans. Au Royaume-Uni, les e-cigarettes ont incité près d’un cinquième de la population à abandonner la cigarette.

C’est un phénomène sans précédent, qui va bien au-delà de ce qu’ont permis jusqu’à présent les mesures traditionnelles de lutte contre le tabagisme. Avec un cadre réglementaire approprié et le soutien de la société, certains pays peuvent se débarrasser des cigarettes en moins d’une génération. Mais tout le monde – et pas seulement nous – doit prendre cette opportunité au sérieux et jouer son rôle pour accélérer le rythme d’un changement positif.

Revenons au marché du Tabac en Algérie. Selon-vous, où en sera ce marché dans dix ans ? Avez-vous quelques chiffres à avancer sur ce sujet ?

Selon l’étude réalisée, par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en décembre 2019, la prévalence de la consommation de tabac en Algérie chez les 19 à 69 ans est de 16,5% et la quantité moyenne de consommation journalière est de 15 cigarettes. Selon la même étude , deux tiers des fumeurs, soit 60,3% ont déclaré avoir tenté d’arrêter de fumer au cours des 12 mois précédant l’enquête, et ils devraient être encouragés à cesser de fumer.

Toutefois pour les fumeurs adultes qui, autrement, continueraient à fumer, la science et la technologie peuvent et doivent jouer un rôle on leur proposant des solutions. En d’autres termes, des alternatives à risque réduit à même de contribuer positivement à l’amélioration de la santé publique en l’Algérie.

Comme je l’avais déjà mentionné, l’Algérie est un pays pionnier dans plusieurs domaines et les décideurs publiques travaillent d’arrache-pied pour faire avancer les grands chantiers dont la santé. Ainsi je suis convaincu que le gouvernement Algérien emboitera le pas des pays comme le Japon, l’Angleterre et les Etats-Unis en soutenant l’approche de réduction des risques en espérant voir l’Algérie un jour, un pays sans cigarettes et sans fumée.

La contrebande de cigarettes traditionnelle entre l’Algérie et la France ne cesse d’augmenter ces dernières années. Selon vous, quelles sont les principales raisons de ce fléau ?

Le flux de produits du tabac de l’Algérie vers la France existe depuis longtemps et est majoritairement représenté par des cigarettes achetées des points de vente et transportées en petites quantités par des passagers voyageant entre les deux pays qui exploitent le différentiel de prix considérable entre l’Algérie et la France. Par ailleurs, la dernière étude effectuée par KPMG en 2020 démontre une baisse considérable des flux de cigarettes algériennes vers la France. Cette baisse reflète les restrictions de voyage liées au Covid.

Avez-vous proposé des solutions pour mettre fin à ce phénomène ?

Nous sommes en train de moderniser l’usine de production en déployant des solutions techniques de traçabilité digitale, visant à surveiller les mouvements de nos produits à travers la chaîne d’approvisionnement. Dans le détail, notre partenaire effectue un suivi mensuel des ventes sur le marché algérien afin de détecter rapidement les écarts qui serait éventuellement inexplicables et de mettre en place des actions correctives si nécessaire. Nous soutenons d’ailleurs régulièrement toute activité de formation ou d’information afin de sensibiliser toutes les parties prenantes sur l’importance de la lutte contre le commerce illicite.

Entretien realisé par Massin Amrouni